**Journal intime 15 octobre**
Jai ouvert ma porte à ma mère vieillissante. Aujourdhui, ce geste me pèse comme un remords tenace, et je me sens prisonnier de ma propre décision. Mes amis me scrutent, et leur silence est un reproche muet.
Il faut que jécrive ce qui métouffe, ce poids qui me courbe comme un sac de pierres. Jai besoin dun conseil pas dune leçon, mais dune main tendue pour maider à sortir de cette boue où je menlise.
Nous avons tous nos croix à porter. Juger est facile, mais qui sait si demain, ce ne sera pas nous, perdus dans la même tempête ?
Je lai accueillie chez moi, à Marseille, dans mon trois-pièces aux murs couleur sable. À quatre-vingts ans, elle vivait encore dans ce hameau perdu près dAvignon, entre les pierres fissurées de sa maison et le vent qui gémissait sous les tuiles. Ses mains tremblaient, ses genoux flanchaient. Je la voyais dépérir, alors jai insisté pour quelle vienne. Je ne savais pas alors quelle tempête jinvitais sous mon toit.
Les premiers mois ont glissé doucement, comme une barque sur le Rhône. Javais préparé sa chambre avec des draps frais, une couverture en laine, une petite télévision pour ses soirées. Elle se contentait de son coin, discrète, presque invisible. Je cuisinais pour elle : des légumes à létuvée, sans sel, sans graisse. Ses médicaments coûtaient une fortune presque la moitié de mon salaire mais je les achetais sans rechigner. Sa pension ? Quelques centimes, à peine de quoi soffrir un café.
Puis le ciel sest assombri. La ville la étouffée, ces rues bruyantes, ces immeubles qui nous écrasent. Elle a commencé à gronder pour un rien : la poussière sur létagère, la soupe trop fade, le thé oublié au supermarché. Chaque jour, une nouvelle bataille. Elle jouait la comédie, soupirait comme une martyre, répétant quelle était mieux dans son village que dans ma « cage dorée ». Ses mots me transperçaient, mais je serrais les poings, je me taisais.
Maintenant, je frôle la rupture. Ses reproches me rongent, ses cris me suivent même dans mes rêves. Parfois, je reste assis dans ma voiture devant limmeuble, incapable de monter. Derrière la porte, ce nest plus un foyer qui mattend, mais une guerre sans fin.
La renvoyer ? Impensable. Sa maison là-bas nest plus quun tas de pierres froides. Et puis, que diraient les voisins ? « Regardez ce fils qui jette sa mère comme un vieux meuble » La honte me brûle. Pourtant, je ne tiens plus.
Comment supporter cette cohabitation ? Comment apaiser son cœur sans briser le mien ? Je tourne en rond, épuisé. Si vous avez traversé cette épreuve, dites-moi comment survivre à cette tempête. Jai besoin de lumière avant que la nuit ne mengloutisse.
**Leçon du jour :** La piété filiale est un chemin étroit, où lon trébuche souvent entre le devoir et létouffement. Peut-être que parfois, aimer, cest aussi savoir poser des limites.







