**Mon cher journal,**
Pardonne-moi, Paul, de tavoir manqué pour ton anniversaire. Figure-toi que jai eu un accident. Je rentrais du chantier, à peine monté dans ma voiture, quand un gamin sest jeté sous mes roues. Un petit rouquin, six ans à peine, les joues couvertes de taches de rousseur. Par miracle, je roulais au ralenti.
Je sors en trombe, le cœur battant. Lenfant est là, debout, les genoux éraflés mais le sourire intact. « Ça va ? » que je lui demande. « Oui, monsieur », me répond-il avec un aplomb déconcertant. « Et tes parents ? » « Maman est à la maison, elle prépare la soupe. » Alors, je propose : « Allons la voir, on va régler ça ensemble. »
Il me guide jusquà son immeuble, un vieux bâtiment parisien, et se cache derrière moi quand sa mère ouvre. Une beauté, cette femme. Des yeux fatigués, mais une élégance naturelle, même en robe de chambre. « Excusez-moi, madame, votre fils il a couru devant ma voiture. Rassurez-vous, il va bien. Voulez-vous prévenir la police ? »
Elle soupire. « Inutile. Cest la cinquième fois quil fait ça. » Je reste coi. « Marc, va dans ta chambre », ordonne-t-elle avant de minviter à la cuisine. « Un café ? Ou un thé ? » Son thé sentait la menthe fraîche, un délice.
« Ne nous en veuillez pas », murmure Élodie cest son nom. « Marc a entendu que je me plaignais de vivre seule, alors il sest mis en tête de nous trouver un mari comme ça. Vous êtes le cinquième. Deux hommes ont failli faire une crise cardiaque. » Elle baisse les yeux. « Ma voiture ? Rien de grave. Je peux vous rembourser »
Je la regarde, et cest le coup de foudre. Je te jure, Paul, cette femme en robe de chambre, sans fard Je savais que si je la laissais filer, autant sauter de la Tour Eiffel.
« Ça va paraître fou, mais si je vous invitais au cinéma avec Marc, pour me faire pardonner ? »
« Inutile », dit-elle, gênée. « Il croirait encore à une histoire. »
« Je ne vous plais pas ? »
« Cest plus compliqué. Jai limpression dêtre une mère indigne, à envoyer mon fils se faire renverser »
« Et moi, un opportuniste », je ris. « Alors, brûlons en enfer ensemble. Un bûcher pour deux, ça vous dit ? »
Je ne sais plus ce que jai raconté ensuite, mais le lendemain, je les emmenais voir « Astérix » au cinéma. Puis dîner au bistro. Puis
Bref, Paul, voilà pourquoi je suis là. On se marie en juin. Tu seras photographe ? Regarde » Vincent sort son téléphone : sur lécran, une rousse éclatante de rire, serrant contre elle un petit diable aux dents de lait manquantes.
Maintenant, je le sais : Cupidon na pas dailes. Il a des taches de rousseur et sappelle Marc. Quant à son nom Eh bien, bientôt, il portera le mien. Ça, jen mettrais ma main au feu.
