Malheureusement pas au bon moment

**Pas le bon moment**

Au revoir ! Élodie se leva de sa chaise et se dirigea vers la sortie. Elle avait besoin de digérer les nouvelles.

Bonne journée. Et noubliez pas les vitamines. La date du prochain rendez-vous vous sera envoyée par SMS. La médecin répondit dun ton neutre, sans lever les yeux du dossier quelle remplissait.

Daccord murmura Élodie avant de sortir précipitamment dans le couloir, puis dans la rue.

Elle devait assimiler ce quelle venait dapprendre. Bien sûr, elle se doutait un peu des raisons de son malaise, mais avant léchographie et les résultats des analyses, elle refusait dy croire vraiment.

…Élodie avait quarante-quatre ans. Elle avait grandi dans une famille nombreuse, en tant quaînée. Ses parents lui demandaient souvent de soccuper des plus jeunes. Son enfance navait pas été malheureuse, mais il y avait eu ces moments où, au lieu de traîner avec ses copines, elle devait vérifier les devoirs de son frère Théo, aller chercher les jumelles Chloé et Léa à la crèche, leur préparer le dîner.

Très tôt, elle sétait promis : si un jour jai une famille, un seul enfant suffira. Son mari, Antoine, ne rêvait pas non plus dune tribu. Un an après leur mariage, leur fille Amélie était née. Élodie avait vingt-huit ans, Antoine trente-deux. Pour elle, Amélie serait lunique. Elle avait déjà donné, maintenant cétait à son tour de vivre un peu.

Amélie avait grandi. Cette année, elle terminait sa première, avec brio. Une ado sans problème, quoi. Certes, elle réclamait un nouveau portable, des écouteurs, des fringues, du maquillage mais rien de grave.

La vie des Morel était calme, bien rodée. Antoine était chef de service dans une entreprise de BTP. Élodie travaillait comme comptable dans une mairie. Amélie étudiait, faisait du cheerleading et partait parfois en compétition. Quand Antoine et Élodie sortaient ou partaient en week-end, ils la laissaient sans souci. Bref, une vie tranquille.

Assise sur un banc dans le square de lhôpital, Élodie songeait à la situation. Elle était enceinte. Trois semaines. Antoine ne savait rien. Amélie non plus. Soudain, elle simagina, épuisée, un bébé dans les bras. Et au travail ? Ses collègues allaient se moquer. Et sa copine Sandrine ? Elle allait la prendre pour une folle

Son téléphone sonna. Amélie.

Oui, ma puce ?
Maman, tes où ? Tavais un jour de congé, non ? Je pensais que tu serais à la maison.
Jai fait un tour au centre commercial, je rentre bientôt. Fais-toi réchauffer ton déjeuner, ma chérie. Elle sefforçait de parler calmement, mais un poids lui écrasait la poitrine.
Daccord. Achète-moi un truc au passage, hein ?
Bien sûr Élodie essaya de répondre avec entrain, mais sa voix lui parut tendue.

Elle raccrocha, soupira. Les questions tourbillonnaient dans sa tête. Un autre enfant, cétait des dépenses en plus. Une poussette, un berceau, des vêtements Quand Amélie était née, les prix étaient plus raisonnables. Et puis, à lépoque, tout semblait plus simple. Ou peut-être était-ce juste linsouciance de la jeunesse.

Elle soupira de nouveau. Normalement, elle aurait dû être heureuse, mais langoisse létouffait. Trop de «mais» : quarante-quatre ans, les regards des autres, les bouleversements Elle ne voulait pas quitter sa zone de confort. Ni y entraîner les siens.

Il fallait agir. Comme elle avait menti en parlant du centre commercial, autant y aller et acheter quelque chose pour Amélie.

Le soir, elle joua la comédie, malgré sa nausée persistante.

Élo, tas une drôle de tête. Tétais en congé, mais on dirait que tas déménagé des meubles. Antoine plaisanta.
Cest rien Juste un mal de tête.

Elle se décida à lui avouer la vérité quand Amélie sortit avec une amie.

Anto, jai vu le médecin aujourdhui. En fait je suis enceinte. Elle le scruta, prudente.
Purée, tu mas fait peur ! Jai cru que tétais malade ! Il éclata de rire.

Un silence.

Cest sûr ?
Sûr. Léchographie est claire
Waouh ! Je vais être papa une deuxième fois ? Trop cool ! sexclama-t-il, ravi.
Ouais
Ils ont dit si cest un garçon ou une fille ?
Non, cest trop tôt.
Alors pourquoi tu fais cette tête ? Quelque chose ne va pas ? Il se fit soudain inquiet.
Non, tout va bien. Mais on a plus vingt ans. Comment on va lannoncer à tes parents ? Et au boulot ? Tout le monde a des ados, et moi Et surtout, comment on le dit à Amélie ?
Arrête de stresser ! Tes parents vont être ravis, Amélie est presque adulte, et au boulot, si on te juge, cest par jalousie ! Il la serra dans ses bras.

Dun côté, elle était soulagée par sa réaction. De lautre, les doutes persistaient. Quarante-quatre ans, cétait un âge. Et Amélie nallait pas sauter de joie. Leur vie allait changer. Leur T3 était déjà petit à trois. Il faudrait tout acheter, et Amélie aurait le bac dans un an, puis la fac. Entre les cours particuliers et les frais, lannée sannonçait compliquée.

Plus tard, elle revint à la charge.

Anto, tu es vraiment sûr quon a besoin de ce bébé ?
Pourquoi pas ?
Tu ne comprends pas. Tout va changer. Plus de restos, plus de soirées. Les nuits en pointillés, les promenades Et si jamais il a des problèmes de santé ? Sa voix se brisa, et elle fondit en larmes.

Antoine réfléchit un instant. Elle eut limpression quil se voyait, épuisé, en jogging taché de purée.

Élo, arrête. Quarante-quatre ans, cest rien. Regarde les Martin : lui a quarante-huit, elle quarante-six, et ils ont eu un deuxième. Depuis, il a même lair plus en forme !
Cest ce quil dit !
Franchement, tu fais ta capricieuse. Cest les hormones, je connais. Tu te souviens quand je suis allé voler des pommes chez le voisin, quand tattendais Amélie ? Il sourit.
Bien sûr. Elle rit à travers ses larmes.
Cétait une belle époque Il lattira contre lui.
Oui

Le lendemain, ils annoncèrent la nouvelle à Amélie à table.

Amélie, tu voudrais un petit frère ou une petite sœur ? demanda Antoine.
Non. Sa réponse fut cinglante.
Pourquoi ?
Dites-moi pas que vous voulez un deuxième.
Si, ma puce. Maman est enceinte.
Vous êtes complètement givrés ! Jme casse. Elle se leva.
Amélie, reviens ! Mais elle était déjà partie.

La porte claqua.

Anto, on a peut-être fait une erreur
Tinquiète pas. Ça ira.

La journée fut interminable. Le soir, en rentrant, Élodie redoutait laffrontement.

Maman, attends

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