**Le Mariage Inattendu**
Lété était torride, et Aurélie arpentait son appartement en maillot de bain. Pourquoi se gêner ? Elle vivait seule, et personne ne pouvait la juger. Ses vacances tant attendues approchaient, et si ses deux amies parvenaient à obtenir une semaine sans solde auprès de leur patron, elles fileraient toutes les trois vers la mer.
Un matin, alors quelle entrait dans la cuisine pour faire chauffer de leau, Aurélie sentit soudain un regard posé sur elle. Elle leva les yeux vers limmeuble den face, à une vingtaine de mètres, et aperçut un homme dâge mûr, lobservant avec intérêt depuis son balcon. Bien quelle ne fût pas complètement nue, elle se couvrit instinctivement avec une serviette. À partir de ce jour, linconnu ne la quitta plus des yeux. Finie linsouciance : il fallait désormais enfiler un peignoir malgré la chaleur étouffante, dautant que sa cuisine navait pas de climatisation.
Un jour, elle sortit dans la rue et leva les yeux vers le cinquième étage de limmeuble voisin. Lhomme était là, comme toujours. Aurélie lui fit signe de descendre. Il pointa son doigt vers lui, comme pour dire : « Moi ? » Elle hocha la tête. Qui dautre ?
Il arriva rapidementun homme un peu rond, aux cheveux bouclés mais avec une calvitie naissante qui brillait sous le soleil.
« Quel personnage ! pensa-t-elle. Il est encore moins avenant quà travers la fenêtre. »
Bonjour, dit-il en inclinant légèrement la tête avec un sourire timide.
Salut, répondit-elle. Pourquoi tu mépies comme ça ?
On se tutoie déjà ? sétonna-t-il, déstabilisé par sa franchise.
Après mavoir vue en maillot, tu nas plus le choix : tu dois mépouser.
Pourquoi pas ? répondit-il, naturellement.
Quand est-ce quon dépose le dossier ? lança-t-elle, jouant le jeu.
Tout de suite. Jai mon passeport sur moi. Il tapota la poche de son gilet et la regarda avec attention. Aurélie vérifia son sac.
Le mien aussi est là.
Alors, on y va ?
On y va, dit-elle en haussant les épaules.
« Quest-ce que je fais ? » se demanda-t-elle dans le taxi, mais elle ne fit pas demi-tour. Ils déposèrent leur demande, et ce ne fut quà la mairie quils apprirent mutuellement leurs noms. Lhomme sappelait Gaspard. Gaspard Lefèvre.
Où allons-nous maintenant ? Dommage, ma voiture est au garage
Nulle part. Chacun chez soi. Et ne me regarde pas comme ça, pas de période romantique. Après la signature, notre vie de couple commence immédiatement.
Mais à quoi tu joues ? sexclamèrent ses amies quand Aurélie leur annonça son mariage imminent. Tu es folle ou quoi ?
Arrêtez, on peut toujours retirer le dossier.
Et lui, tu y as pensé ? Il va souffrir.
Cest son problème. Quil ne regarde pas les femmes comme ça.
Tu es libre, pas « une femme comme ça ». Aurélie, tu ne laimes même pas.
Et toi, tu as épousé ton mari par amour, non ?
Et maintenant, je le déteste.
Eh bien, moi, je ne laime pas encore mais qui sait ? Peut-être que je ne pourrai plus me passer de lui.
Gaspard continuait dobserver sa future épouse, perplexe devant son comportement étrange. Mais lui-même nétait pas moins insensé. Qui était-elle ? Une inconnue. Pourtant, il était prêt à la suivre au bout du monde. Tout ça parce quelle était magnifique. Il remarqua aussi quAurélie, consciente de son espionnage, évitait désormais la cuisine. Alors, il se cachait derrière le rideau, mais il ne la lâchait pas du regard. Et cela en valait la peine.
Un jour, il la vit partir précipitamment avec une énorme valise. Elle disparut au coin de la rue.
« Cest pour ça quelle me tient à distance ? Elle veut faire la fête une dernière fois avant le mariage. Bon, je vais voir si elle mérite vraiment dêtre ma femme. »
Il shabilla rapidement, glissa une liasse de billets dans la poche de son pantalon léger et partit pour laéroport. Il repéra Aurélie presque aussitôt, en compagnie de ses deux amies. Elles prirent un vol pour Nice. Gaspard acheta un billet pour la même destination, mais avec quelques heures de décalage.
« Mais où vais-je la trouver ? Il y a des milliers dendroits où elles pourraient loger » songea-t-il, assis au bord de la Méditerranée.
« Pourquoi suis-je venu ici pour rien ? »
Et soudain, il reconnut le maillot de bain dAurélie. Ce nétait pas une illusion.
« Quelle chance ! »
Les jeunes femmes buvaient du vin rosé sur la plage, insouciantes. Aurélie ignorait totalement que son futur mari connaissait sa destination.
Il découvrit le nom de leur hôtel et sy installa sans difficulté. Lespionner était facile, et elle ne se doutait de rien. Gaspard comprit quelle profitait simplement de la viesans aucun prétendant en vue. Cela le rassura. Mais un jour, ils se croisèrent par hasard dans la rue. Aurélie, se souvenant que la meilleure défense était lattaque, sécria :
Alors, cest comme ça quon se prépare au mariage ? On traîne sur la plage ?
Toi non plus, tu nes pas là pour le travail.
Je ne te voyais nulle part, alors jai décidé de partir seule.
Moi, jai vu ta valise et je tai suivie.
Pff Tu mespionnes ?
Pas du tout. Je profite juste de mes derniers jours de liberté.
Moi aussi. Tu as déjà été marié ?
Oui.
Des enfants ?
Non. Et toi ?
Divorcée. Aucun enfant non plus. Tu mépouses par dépit ? Parce que tu nas même pas protesté.
Non, pas par dépit. Mais à en juger par ma tête, cest plutôt toi qui le fais.
Non plus.
Alors pourquoi ?
Jen ai marre des beaux gosses et des athlètes. Pourquoi ne pas essayer avec un homme ordinaire
Un grutier.
Exactement. Au fait, ta grue ne sennuie pas sans toi ?
Je suis à la retraite.
Quoi ?!
Jai travaillé dans un atelier à haute température. Jai pris ma retraite à quarante-cinq ans.
Dieu merci. Moi, jen ai trente-huit.
Aurélie, tu ne regretteras jamais davoir épousé un simple grutier.
Je lespère.
Dix ans plus tard
Tu te souviens de notre rencontre ? murmura Aurélie en enlaçant tendrement son mari.
Bien sûr ! rit Gaspard.
Chut, tu vas réveiller les garçons.
Je tavais promis que tu ne regretterais rien. Alors, cest toujours vrai ?
Plus que jamais. Mes amies en crèvent de jalousie.
Cest normal. Elles cherchent lamour
Et cest bien comme ça. Nous, on nest pas comme les autres.
Peu importe. Lessentiel, cest quon soit heureux.
