Nous, les humbles gens

**Journal Intime**

Ma belle-mère se souvenait parfaitement de cette conversation désagréable avec cette femme qui était devenue lépouse de Théo. Elle avait tout fait pour dissuader son fils chéri de se marier. En vain, du moins au début. Et puis, cette provinciale sans éducation se permettait trop de libertés.

Écoutez, Irène. Pourquoi jouez-vous à la mère sage ? Je vois bien que vous me détestez. Tout simplement parce que je vous vois à travers et refuse de me plier à vos caprices. Depuis quand vous autorisez-vous à venir chaque soir chez nous sans invitation ? Nous ne vivons pas à vos frais, lança cette insolente petite chose à la mère de Théo.

Quoi ? Tu oses me faire la morale ? Attends davoir mon âge Irène commençait à séchauffer. Son vernis de politesse et délégance seffritait, révélant une bourgeoise mesquine, dont le seul but dans la vie était de manger sucré et vivre tranquillepeu importe qui devait en souffrir.

Irène, Théo et moi nous aimons. Et jai remarqué que vos discussions le perturbent. Ce nest pas assez davoir chassé son père et récupéré sa part de lappartement ? Vous voulez aussi lui gâcher sa vie ? Si vous ne laimez pas, laissez-moi au moins laimer à votre place, rétorqua cette effrontée de Camille.

Ah, tu chantes maintenant ! Eh bien, moi je vais te dire, petite misérable ! Doù viens-tu, hein ? De quel trou perdu ? Tu nes personne. Un jour, tu perdras ton emploi et tu finiras à la rue. Une pseudo-artiste, et tu me donnes des ordres ? explosa Irène.

Ah, cest comme ça que vous mesurez la dignité ? Si on vole un appartement, on est une grande dame, mais si on gagne sa vie honnêtement, cest mal ? Figurez-vous que je sais très bien que vous aussi, vous nêtes pas née à Paris, riposta Camille, touchant là où ça faisait mal.

Irène venait effectivement dun village reculé, sans éducation ni métier.

Tu ne seras jamais avec mon fils ! Une mère, cest sacré ! Sors !!! Ne sachant plus quoi répondre, Irène sortit son ultime argument.

Camille se contenta de ricaner. Le conflit naffecta pas leur amour. Théo et elle se marièrent malgré tout.

Mais Irène ne lâcha pas prise. Quand Camille eut un enfant, elle manœuvra pour monter Théo contre elle. Ils divorcèrent Leur petit Léo navait que quatre ans.

Pourtant, Irène craignait toujours que son fils ne retourne vers cette effrontée. Elle savait quil les voyait parfois et payait même une pension.

Ce quelle ignorait, cest que Théo et Camille vivaient toujours ensemble, élevant Léo. Irène croyait son fils dans une autre ville, occupé par son travail

Ce plan ingénieux ne venait pas seulement delle. Avant leur mariage, Théo sétait endetté lourdement. Camille lavait prévenu :

Théo, ne tassocie pas avec Vincent. Cest un requin. Tu es trop naïf. Il técrasera sans remords.

Tu exagères, Camille. Vincent est un bon gars. Entre hommes, on doit sentraider.

Il te manipule. La loyauté na pas de sexe.

Il ne lécouta pas. Vincent le plaça à la tête dune société fictive, vida les comptes et disparut, laissant Théo criblé de dettes.

Mieux valait un salaire modeste mais stable. Alors, ils imaginèrent ce plan : divorcer officiellement. Irène fut ravie. Les créanciers laissèrent Camille et Léo en paix.

Officiellement, Théo logeait dans un foyer dentreprise. Le soir, il rentrait dans leur petit nid douillet.

Il était heureux. Mais chaque mois, il devait rendre visite à sa mère, qui ne cessait de lui présenter des prétendantes.

Pourquoi ne pas lui avouer nos dettes et notre situation ? proposa Camille.

Non Ça la briserait. Trouvons une autre solution, soupira Théo.

Mais laquelle ? On ne peut pas vivre cachés éternellement !

Ils étaient pauvres, la plupart des revenus partant dans les remboursements. Théo proposa parfois de les quitter, mais Camille laimait.

Camille, pourquoi le soutenir ? Tu loues une chambre, tu le nourris Pourquoi ? Vous nêtes même plus mariés ! Sa mère, une institutrice, voulait les prendre chez ellesans Théo.

Maman, je laime. Nous avons un fils. Je ne peux pas labandonner.

Sa mère, qui lavait élevée seule, finit par céder.

***

Irène, voilà la situation. La mère de Camille, Élodie, était venue secrètement la voir.

Des dettes ? Et mon fils vit toujours avec elle ? Il ma menti ? Lindignation dIrène fut sans limite.

Ma fille laide avec ses maigres revenus. Je suis venue en parler, malgré son interdiction.

Et il prétend travailler ailleurs ? Quel vaurien !

Que pouvons-nous faire ? Nous devons les aider.

Moi ? Jamais. Mon fils est adulte. Quil se débrouille !

***

Déménagez chez moi. À cœur vaillant, rien dimpossible. Élodie se résigna, par amour pour sa fille.

Je nai pas le choix, soupira Camille.

Pardon, Élodie Ma mère et moi avons mal agi.

Théo se souvint du mépris quil avait eu pour ces provinciaux incapables de tenir une fourchette. Mais cela navait plus dimportance

***

Tu ne me manques pas. Mais Camille a besoin daide. Élodie appela son ex-mari, Yann, devenu entrepreneur prospère.

Combien ? demanda-t-il.

Elle mentionna le montant des dettes, sattendant à un refus.

Je paierai. À une condition

Laquelle ?

Une rencontre.

Si tu restes correct Élodie rit, soudain coquette.

***

Les années passèrent. À leurs 18 ans, Léo organisa une réunion familiale. Élodie et Yann, réconciliés, se tenaient la main. Théo et Camille sétaient remariésaprès quelle eut hérité dun appartement offert par son père.

Tout le monde est là ? fit Léo.

On sonna à la porte. Irène se tenait sur le seuil.

Tu las invitée ? protesta Camille.

Elle mappelait sans cesse Jai eu pitié.

Pas un mot dexcuse en toutes ces années ? interrogea Élodie.

Allons, Élodie Sans elle, nous ne serions pas ensemble, plaisanta Yann.

Maman, pourquoi ce cirque ? gronda Théo.

Je suis venue mexcuser Jattendais quon me supplie. Mais personne nest venu. Je ne suis pas si mauvaise Pardonnez-moi.

Un silence. Puis quelquun lui offrit du thé.

Ici, personne ne maîtrisait les bonnes manières. Mais on y trouvait la générosité, le bonheur et le pardon.

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Oh, un faux pas, ça arrive !