**Journal dun homme 12 octobre**
Je mappelle Théo Moreau, et depuis toujours, je voulais devenir médecin. Ce nétait pas un simple rêve denfant, mais une vocation. Pourtant, la vie sest acharnée contre moi. Dabord, la mort soudaine de mon père, qui ma laissé le cœur en miettes. Puis, la santé de ma mère, Élodie, sest détériorée à force de travailler deux emplois pour nous faire vivre. Quand est venu le moment de passer le concours de médecine, je nai pas eu la force et jai échoué.
Depuis deux ans, je travaille comme aide-soignant à lhôpital de Lyon. Je nettoie les sols, pousse les brancards dans les couloirs et cours toute la journée. Malgré tout, au fond de moi, jespère encore porter un jour la blouse blanche.
Ce jour-là commença comme les autres balai, serpillière, tâches sans fin. Mais après le déjeuner, le docteur Lefèvre, chef du service de médecine, me fit appeler.
« Théo, jai une demande délicate », dit-il en me fixant. « Nous avons une patiente, Madame Claudine Dumont. Elle est très malade. Son petit-fils, qui sappelle aussi Théo, ne la pas vue depuis des années. Elle souhaite le revoir une dernière fois avant de partir. Nous pensions que vous pourriez jouer ce rôle ? Pour lui offrir un peu de réconfort. »
Je restai immobile. Tromper une vieille femme à larticle de la mort ?
« Docteur, est-ce vraiment moral ? » murmurai-je.
Il soupira. « Parfois, un mensonge peut être une grâce. Pour elle, ce serait une dernière paix. Vous ne lui prendriez rien vous lui donneriez seulement un peu de douceur. »
Je hésitai. Ma conscience protestait, mais limage de cette femme seule me tirait le cœur. Finalement, jacceptai. Les infirmières me briefèrent : les goûts du vrai Théo enfant, ses études, ses petites phrases. Le rôle était prêt.
Ce soir-là, épuisé, je marrêtai acheter du pain et du lait. Ma mère comptait sur moi. Sur le chemin, je croisai Camille, la voisine qui mavait toujours fait battre le cœur. Joyeuse, lumineuse, avec un sourire qui réchauffait même les jours gris.
« Salut, Théo ! Où te cachais-tu ? » rit-elle.
On parla de tout et de rien, dun film au cinéma. Sur un coup de tête, je lui proposai dy aller ensemble. À ma surprise, ses yeux brillèrent.
« Samedi ? Parfait. »
En rentrant, un sourire rare fleurit sur mes lèvres. Ce rendez-vous donnait un peu de lumière à mes jours. Peut-être que le bonheur nétait pas si loin.
Le lendemain, après mon service, je me changeai et entrai dans la chambre de Madame Dumont. Mon cœur tambourinait. Et si elle voyait la supercherie ? Mais la vieille femme, frêle et pâle, me regarda et sourit faiblement.
« Théo tu es venu, mon chéri »
Un soulagement minonda. Elle y croyait. Je massis près delle, et à ma surprise, la conversation vint naturellement. Javais craint de jouer un rôle, mais je me surpris à lécouter vraiment. Elle parlait de sa vie, du passé, même de la mort avec une sérénité qui mhumiliait.
Je lui rendis visite chaque jour. Un après-midi, elle me demanda si javais une amoureuse. Je pensai à Camille et rougis. Elle sourit, malicieuse.
« Raconte-moi ce rendez-vous. Jaime encore les histoires damour. »
Mais samedi ne se passa pas comme prévu. Après le film, en marchant dans le parc, Camille devint sérieuse.
« Théo, tu es un garçon bien. Mais nous sommes différents. Je veux voyager, faire carrière. Et toi tu es aide-soignant. Cest noble, mais pas la vie que je veux. »
Je compris. Mon salile modeste, mes échecs, mon avenir incertain tout cela nous séparait.
Je la raccompagnai en silence. À la maison, ma mère demanda comment ça sétait passé.
« Rien nen est sorti », dis-je simplement.
Elle soupira. Elle navait jamais approuvé ce rôle de « petit-fils ».
« Théo, je sais que tu voulais aider. Mais tu ne peux pas porter éternellement les espoirs des autres. Certains fardeaux ne sont pas les tiens. »
Je restai silencieux, vidé. Les mots de Camille me rappelaient à quel point ma vie séloignait de mes rêves, et le reproche de ma mère renforçait ma culpabilité envers Madame Dumont.
Le lendemain, je retournai auprès delle. Elle perça mon masque aussitôt.
« Quy a-t-il, mon petit ? Cette fille ta fait souffrir ? »
Alors, je lui racontai tout mes rêves, mes échecs, ma vie qui séloignait de ce que javais imaginé. Elle écouta, puis murmura :
« Lamour, Théo, a plusieurs visages. Ne cours pas après celle qui brille. Trouve celle qui te réchauffe. »
Puis elle sortit un album photo usé.
« Prends-le. Ce sont des souvenirs de mon fils, Antoine ton père. Garde-les. Ils tappartiennent maintenant. »
Sa voix tremblait. Je compris : cétait un adieu.
Ce soir-là, je feuilletai lalbum. Un jeune homme souriait sur les photos jaunies Antoine, ce père que je navais presque pas connu. Soudain, je vis une photo de groupe, prise lors dun événement universitaire. Parmi les visages, une jeune femme au sourire radieux. Je figai. Cétait ma mère.
Mon souffle sarrêta. Ce ne pouvait être un hasard. Mes parents se connaissaient. Pourquoi ne men avait-elle jamais parlé ?
Les questions massaillirent. Je courus chez moi.
En sortant de lhôpital, jentendis une conversation près du bureau des médecins. La porte était entrouverte, et je reconnus la voix du docteur Lefèvre :
« on augmentera la dose lentement. On dira que son état saggrave. Elle a un bel héritage, et ce petit-fils officiel est pressé quelle parte. »
Une voix grinçante répondit au téléphone : « Dépêche-toi, Lefèvre. Jen ai assez dattendre. Cette vieille aurait dû mourir depuis longtemps. »
Mon cœur battit à tout rompre. Un complot ! Ils voulaient la tuer pour son argent. Ma propre grand-mère, que je venais à peine de retrouver, était en danger.
Je courus chez moi et montrai la photo à ma mère.
« Maman, qui est Antoine ? »
Elle pâlit, puis les mots jaillirent.
Antoine avait été son premier amour. Ils devaient se marier, mais sa mère, Madame Dumont, sy était opposée elle trouvait quil méritait mieux quune fille pauvre de banlieue.
Quand elle tomba enceinte, Antoine voulut la protéger. Mais il mourut dans un accident avant mes un an. Seule et sans ressources, elle me plaça en orphelinat le temps de reconstruire sa vie.
Elle écrivit à Madame Dumont, suppliant quelle reconnaisse son petit-fils, mais la vieille femme, orgueilleuse, ne répondit jamais.
En lécoutant, le monde bascula. Madame Dumont nétait pas une inconnue cétait ma grand-mère. Et on voulait la tuer.
« Maman, il faut la sauver », dis-je, déterminé.
Cette nuit-là, nous nous faufilâmes dans sa chambre. Elle était faible, mais lucide.
« Théo et qui est avec toi ? » murmura-t-elle.
« Madame Dumont







