**Journal dAntoine 12 octobre**
Je me tenais dans lentrée, un bouquet dastres acheté dans le métro entre les mains, fixant la femme avec qui javais partagé cinq ans de ma vie. Petit Louis, qui venait à peine dapprendre à dire « papa », cachait son visage contre lépaule de sa mère.
« Comment ça, je ne suis personne pour lui ? » Ma voix sest éteinte. « Je lai élevé depuis quil a un an. »
« Élevé ? » Élodie a ajusté la chemise du garçon. « Tu venais le week-end jouer avec lui. Mais qui veillait les nuits où ses dents poussaient ? Qui lemmenait chez le médecin ? Qui cumulait deux emplois pour acheter ses couches ? »
Jai voulu répondre que nous étions ensemble à lépoque, que jaidais comme je pouvais, que mes études comptaient aussi. Les mots sont restés coincés. Louis me regardait par-dessus lépaule dÉlodie, comme si jétais un inconnu.
« Avec Théo, cest sérieux », a-t-elle poursuivi. « Nous emménageons ensemble. Il naime pas que tu viennes. »
« Et Louis, lui, il aime ça ? » Jai posé les fleurs sur la console. « Il est habitué à moi. »
« Il shabituera à Théo. Théo veut ladopter, lui donner son nom. Tu imagines les opportunités quil aura ? Théo est député. »
Je me suis assis sur le tabouret que javais moi-même assemblé. Mes mains tremblaient.
« Et moi ? Je ne pourrai plus le voir ? »
« Pourquoi le perturber ? » Elle a berçé Louis sur ses genoux. « Théo dit quil vaut mieux couper les ponts. Pour que Louis comprenne qui est son vrai père. »
« Mais je ne labandonne pas ! Je donne de largent, des cadeaux »
« Cent euros par mois ? » Elle a ri. « Théo gagne ça en une heure. »
Soudain, Louis a glissé de ses genoux et sest approché de moi. Il a tendu sa petite main.
« Donne », a-t-il dit.
« Donne quoi ? »
« Un bonbon. »
Jai fouillé dans mes poches, trouvé un caramel à la menthe. Il la pris, la déballé avec sérieux et la mis en bouche. Puis il a grimpé sur mes genoux.
« Ne lhabitue pas », a grondé Élodie. « Louis, viens ici. »
« Je veux pas. » Il ma serré le cou.
Elle sest levée, a voulu le reprendre, mais il sest accroché à moi.
« Tu vois bien que tu le troubles ! »
« Ce nest pas moi qui le trouble », ai-je murmuré. « Louis, tu veux voir la voiture que je tai achetée ? »
« Encore une voiture ? » Élodie sest crispée. « Je tavais demandé de ne rien acheter ! »
« Elle est rouge ? »
« Rouge », ai-je confirmé en sortant un camion du sac.
Il a sauté de mes genoux, a pris le jouet et la fait rouler sur le sol en chuchotant.
« Élodie, réfléchis », ai-je supplié. « Il se souvient de moi. Tu vois comme il est heureux ? Pourquoi le priver de son père ? »
« Tu nes pas son père ! Un père, cest quelquun de responsable. Toi ? Un étudiant de vingt-quatre ans sans travail, sans avenir ! »
« Jai mon diplôme »
« Et alors ? Tu bosses comme vigile pour quinze cents euros ? » Elle est allée à la cuisine. « Théo me loue un trois-pièces dans le centre. Louis ira dans une bonne école. »
Lodeur de soupe et de pain chaud flottait. Je me souvenais de nos soirées dans cette cuisine minuscule, où elle mapprenait à cuisiner, où Louis rampait à nos pieds.
« On avait dit quon lélèverait ensemble. Tu te souviens, quand tu as su que tu étais enceinte ? »
« Jétais idiote à lépoque. Dix-huit ans, la tête pleine de rêves. Maintenant, je sais ce quest la vie. »
Elle a ouvert le frigo, sorti le lait. Ses gestes étaient vifs, colériques.
« Théo est un homme sérieux. Il emmène Louis à la campagne, au théâtre. Lui achète des choses de qualité, pas des babioles du marché. »
« Je ne suis pas riche. Mais je laime. »
« Lamour ne suffit pas. Un enfant a besoin de stabilité. De certitudes. »
Louis est entré en courant, a fait rouler sa voiture sur la table.
« Théo dit quil a plein de voitures chez lui. Et un vélo ! »
« Tu vois ? » a triomphé Élodie. « Il shabitue déjà. »
Je me suis accroupi près de lui.
« Tu te souviens quand on mangeait de la glace au parc ? »
« Oui. Mais Théo dit que cest pas bon. »
« Ça suffit ! » Elle la soulevé. « Antoine, va-ten. Théo arrive. »
« Je peux au moins lui dire au revoir ? »
Elle a hésité, puis a hoché la tête.
« Dis au revoir à Antoine. »
« Cest pas Antoine. Cest papa. »
Un silence lourd est tombé. Élodie a pâli.
« Non, mon chou. Antoine nest pas ton papa. Ce sera Théo. »
« Où il est, mon vrai papa ? »
Jai senti ma tête tourner. Je me suis mis à sa hauteur.
« Cest moi, ton papa. Je le serai toujours. »
« Non ! » a coupé Élodie. « Ne dis pas ça ! Tu compliques tout ! »
Linterphone a sonné. Elle a sursauté.
« Cest Théo. Antoine, sors par la terrasse. »
« On est au troisième étage ! »
« Alors cache-toi dans la salle de bain ! Louis, ne dis pas quAntoine est venu ! »
« Pourquoi ? »
« Parce que Théo sera triste. »
Jai compris quelle avait peur. Peur quil découvre ma visite.
« Va-ten ! » a-t-elle chuchoté.
Je suis resté immobile. Louis suçait son bonbon, jouait avec sa voiture.
« Louis », ai-je murmuré.
Il a levé les yeux.
« Quoi ? »
« Je taime très fort. »
« Moi aussi je taime. »
Linterphone a sonné à nouveau.
« Maman, qui cest ? »
« Théo », a-t-elle répondu avant de me supplier. « Sil te plaît ! »
Jai pris ma veste. À la porte, je me suis retourné. Louis me regardait, les yeux grands ouverts.
« Papa, tu reviendras demain ? »
Élodie a figé.
« Pas demain. »
« Quand alors ? »
« Je ne sais pas, mon petit. »
Il ma serré les jambes.
« Moi, je tattendrai. »
Je lai soulevé, lai serré contre moi. Il sentait le shampoing pour enfants et le lait.
« Moi aussi, jattendrai. »
Élodie la repris.
« Cest bon. Théo arrive. »
Sur le palier, le voisin, Monsieur Legrand, fumait une cigarette.
« Elle te vire, mon gars ? »
« On dirait. »
« Dommage pour le gamin. Brave petit. Hier, je lai vu avec un type en costume. Il demandait : Quand est-ce que Antoine revient ? Lautre a répondu : Il ne reviendra plus. »
Je me suis arrêté.
« Il







