**Journal intime Une querelle entre sœurs**
*Dimanche, 15 octobre*
« Va-ten, tu as tout gâché. » Les mots de ma sœur mont transpercée. Elle ma accusée dêtre responsable de son divorce.
Je suis restée clouée sur place, sur le seuil de son appartement parisien, les mains serrées autour dun sac en papier rempli de tartes aux pommes et dun bocal de cornichons maison. Toujours la même attention, la même tendresse. Mais en retour, rien quun froid coupant. Une douleur si vive quelle ma traversé le cœur comme une lame.
« Sophie Tu dis nimporte quoi. Tu as perdu la raison ? » ai-je murmuré.
« Bien sûr que oui. Maintenant, tout peut arriver. Il est parti. Il a pris ses affaires et a claqué la porte. Il a dit quil ne supportait plus dêtre avec moi parce que je suis comme toi. Trop parfaite, trop forte, trop indépendante. Une hystérique, daprès lui. Et tout ça parce que tu as ouvert ta grande bouche une fois de trop ! »
« Mais je nai rien dit de mal, » ai-je répondu, hésitante, ne sachant pas si je devais entrer ou men aller.
« Ah non ? Et quand tu lui as parlé de Thomas, le collègue de travail ? Cétait rien, peut-être ? »
« Je voulais juste que tu saches. Tu mas toi-même dit que tu avais des doutes »
« Je te lai dit parce que tu es ma sœur ! Mais toi, comme une grande sœur qui sait tout, tu es allée le sermonner. Tu crois quil allait rester après ça ? Il a dit quil en avait marre de vivre sous pression. Que jétais devenue ton sosie. Intelligente, autonome, insupportable » Elle a agité la main avec dédain. « Tu sais quoi ? Tu aurais mieux fait de ne jamais venir. »
Jai fait un pas en avant, puis me suis redressée. Jai posé le sac par terre et jai dit lentement, avec retenue :
« Je rentre chez moi. Je tappellerai plus tard, quand tu auras eu le temps de te calmer. »
« Ne mappelle pas. Ne reviens pas. Je ne veux plus te voir. »
Ses mots se sont logés dans ma poitrine, mempêchant de respirer. Jai hoché la tête en silence et suis partie. Lascenseur a mis une éternité à descendre, grinçant comme mon cœur déchiré par la peine. Une seule pensée martelait ma poitrine : pourquoi suis-je intervenue ? Après tout, elle ne me lavait pas demandé. Oui, jétais inquiète, mais au fond elle navait rien demandé.
Je vis seule dans un deux-pièces en banlieue, près de Nanterre. Depuis mon divorce, je nai jamais cherché à partager ma vie. Ça ne me manque pas. Mon fils est adulte, il vit de son côté et me rend visite pour les fêtes. Je travaille dans une bibliothèque, entourée de livres, de vieilles dames et de tasses de thé. Chaque soir, je rentre à huit heures, dîne en silence, regarde les infos, tricote un peu. Quand la solitude devient trop lourde, jappelle Sophie. Elle ne répond pas toujours, mais quand elle le fait, tout séclaire en moi.
Je laime, ma sœur. Peut-être même plus que mon fils. Parce quelle est la petite dernière, celle que jai toujours protégée des garçons de lécole, des professeurs trop sévères, de la vie. Puis elle a grandi, est devenue belle, libre, a déménagé à Paris et sest mariée. Mais au moindre problème, elle mappelait.
« Il rentre encore tard, » disait-elle.
« Peut-être est-il au travail ? »
« Bien sûr. Avec cette collègue, Thomas. Jai vu son numéro enregistré sous un cœur dans son portable. »
« Parle-lui, alors. »
« Comment ? Il mignore dès que jessaie. Je ne sais pas my prendre comme toi. Je fonds en larmes. »
« Tu veux que je lui parle ? »
« Je ne sais pas Non, sans doute pas. »
Pourtant, elle a fini par accepter. Et moi, naïve, croyant bien faire, jai rencontré Antoine. On sest croisés à la sortie du Monoprix. Je me suis approchée.
« On peut discuter ? »
Il a tout de suite compris. Un sourire nerveux, puis un hochement de tête. On sest assis sur un banc.
« Vous êtes sa grande sœur, nest-ce pas ? »
« Oui. Écoutez, je ne veux pas mimmiscer. Mais elle souffre. Elle ne sait pas dissimuler. Vous et Thomas »
Il a aussitôt haussé les épaules.
« Mais non, cest nimporte quoi. On travaille ensemble, cest tout. »
« Il est amoureux de vous. Ça se voit. »
Silence.
« Sophie nest plus une enfant, mais elle nest pas de marbre non plus. Si vous ne laimez plus, ne la retenez pas. »
« Je laime. Cest juste difficile avec elle. Je travaille, je rentre, et elle métouffe. Elle me soupçonne, mappelle toutes les demi-heures. Comme si jétais un criminel. Et maintenant, vous voilà. Non seulement elle me harcèle, mais vous aussi. Cest insupportable. »
Je nai rien répondu. Jai baissé les yeux. Puis je me suis levée et ai murmuré :
« Daccord. Excusez-moi pour le dérangement. »
Deux semaines plus tard, il est parti.
Après la dispute, je nai pas appelé. Je ne pouvais pas. Le visage de ma sœur, déformé par la colère et les larmes, me hantait. Mais jai fini par prendre mon courage à deux mains et suis venue, sans prévenir.
Elle ma ouverte tout de suite. En peignoir, les cheveux en bataille, les yeux cernés.
« Tu viens pour quoi ? » Sa voix était rauque, éteinte.
« Sophie Je suis désolée. Vraiment. Pardonne-moi. »
Silence. Elle me regardait sans me voir.
« Je ne voulais pas Je croyais bien faire. Si un homme fuit les explications, cest quil doute, non ? Je voulais te protéger. »
« Tu crois toujours tout savoir mieux que les autres. »
« Non. Cest juste que jai peur pour toi. »
« Il ma écrit, au fait, » a-t-elle soudain avoué. « Il sest excusé. Il a dit quil avait exagéré. Que ce nétait pas de ta faute. Quil était juste fatigué que je maccroche à quelquun. À lui. À toi. Que je devais apprendre à me tenir seule. Mais je ne sais pas faire. Sans lui, je suis comme »
« Tu apprendras. »
« Et pourquoi ? » Sophie sest assise sur le rebord de la fenêtre. « Je ne suis pas toi. Tu es forte. Tu es toujours seule. Moi, la solitude me terrifie. Le silence me donne des frissons. »
« Tu devrais manger quelque chose. Tu es blême comme un linge. » Je suis passée à la cuisine, ai ouvert le frigo, sorti les restes de soupe.
« Laisse. Ne ten mêle pas. Tu veux encore tout arranger. Ça ne marchera pas. Cest à moi de faire. Tu las dit toi-même. »
« Oui. Mais ça ne veut pas dire que je vais disparaître. Je suis ta sœur. Je resterai là. Même si tu es en colère contre moi. »
Elle ma regardée, silencieuse, puis a éclaté en sanglots. Je l







