**Lappel qui a tout changé**
Élodie se tenait près de la fenêtre, scrutant les contours sombres de la cour. *« Encore une fois, les lampes ne fonctionnent pas. Il est déjà dix heures du soir, et pas de trace de Lucie. Si seulement elle savait à quel point je minquiète. Elle na que quatorze ans. Pourtant, elle manipule son père comme une adulte, et il croit tout ce quelle dit, lui donnant de largent à la moindre demande. »*
Un claquement de portail résonna dans lallée, suivi dun pas reconnaissable. *« Lucie ! »*, sexclama intérieurement Élodie en sécartant de la fenêtre sa fille ne devait surtout pas la voir, sinon les cris ne manqueraient pas.
« Maman, je suis là ! » lança Lucie dès le seuil.
« Tu as à manger ? »
« On ne dit pas bonjour ? » voulut-elle embrasser sa fille sur la joue, mais celle-ci lesquiva en fonçant vers sa chambre. « Jai faim ! Et je suis pressée ! »
« Pressée pour quoi ? Il est dix heures du soir ! » sénerva Élodie, sentant monter une nouvelle dispute.
« Toujours la même rengaine », marmonna ladolescente, assez fort pour être entendue. « Jai presque quinze ans, je ne suis plus une gamine ! »
Elle se mit à vider son placard, jetant des vêtements par terre à la recherche dune robe. Élodie la regardait, désemparée. *« Comment lui parler ? Comment larrêter ? »*
« Pourquoi tu restes plantée là comme un piquet ? » cria Lucie. « Je sors avec les filles en boîte ce soir. Cest Halloween, tout le monde fête, et moi je serais la seule à rester ? »
Elle trouva enfin la robe quelle cherchait : courte, dos nu, ornée de volants rouges.
« Lucie, doù te vient cette robe ? Elle est vulgaire. Tu sais qui porte ce genre de vêtements ? »
« Je men fiche ! Je lai achetée en solde pour Halloween. Papa ma donné de largent. »
Elle sortit des escarpins rouges à talons aiguilles.
« Super, non ? » Elle enfila ses nouvelles tenues et fit quelques pas devant sa mère, balançant les hanches. « Théo va devenir fou en me voyant. »
« Lucie, tu ne sortiras pas ce soir », murmura Élodie.
« Quoi ?! » La jeune fille se retourna brusquement.
« Oui, qui te demande ton avis ? Comment oses-tu me parler comme ça ? Regarde-toi ! Tu nes quune ratée ! Ton père ta abandonnée, et personne ne ta jamais voulu ! »
« Ratée ! » répéta-t-elle, savourant le mot blessant.
Élodie, comme propulsée par un ressort, lui asséna une gifle puis quitta la pièce en claquant la porte. Des hurlements déchirants lui parvinrent aussitôt.
« Salope ! Je te déteste ! Tu vas le regretter ! »
Élodie entra dans la salle de bains, ouvrit le robinet deau froide. Après sêtre aspergée le visage, elle se regarda dans le miroir avec amertume. *« Ratée. Pourtant, jai tout réussi. Un travail que jaime, un appartement confortable, et je ne suis pas mal non plus. Mais avec Lucie, cest impossible. Depuis ses douze ans, cest comme si on lavait remplacée. Elle me répond, elle a déjà essayé de fumer. Tout ce que je dis, elle le prend mal. Je suis allée voir un prêtre, il ma dit que cétait de lorgueil. Jai aussi consulté une psychologue, mais ses conseils nont servi à rien. Nos relations empirent chaque jour. Comme si jétais son ennemie et non sa mère. Si seulement elle savait combien je laime, combien mon cœur souffre pour elle. Je lai frappée, et maintenant, je ne sais plus quoi faire. Il ne faut surtout pas que je pleure. »*
Elle entrouvrit la porte et tendit loreille. Lucie parlait avec excitation au téléphone. *« Théo sera là. Je lui ai promis de venir »*
*« Théo Je me souviens de lui en CP, petit comme un têtard, avec ses grands yeux. Maintenant, cest un prince. Pas étonnant que toutes les filles en soient amoureuses. Et cest ma Lucie quil préfère. Bien sûr quelle lui plaît elle est magnifique. »*
Élodie soupira, verrouilla la porte dentrée et cacha la clé. *« Elle ne sortira pas ce soir. Jamais. Théo peut bien attendre. Et cette fête dHalloween, cest une histoire de sorciers, paraît-il. »*
Elle voulut regagner discrètement sa chambre, mais Lucie, entendant ses pas, jaillit dans le couloir.
« Je ne te pardonnerai jamais ! Je te ferai un procès ! » hurla-t-elle, le visage tordu par la haine. « Je sauterai par la fenêtre sil le faut, mais je sortirai ce soir ! Tu ne comprends rien à lamour ! Il mattend ! Je lui ai promis ! »
« Si Théo taime vraiment, il attendra », répondit Élodie en la regardant avec tendresse. *« Ma pauvre petite Comment taider ? »*
« Quest-ce que tu regardes, vieille bique ? » cria Lucie. « Jappelle Papa, il memmènera en boîte lui-même ! »
« Appelle-le », répliqua Élodie. « Mais tu ne sortiras pas ce soir. Jai fermé la porte. »
« Ah, cest comme ça. » Lucie se calma soudain. « Bon, ça va chauffer. »
Élodie entendit sa fille retirer bruyamment ses chaussures, puis reprendre une conversation téléphonique. Parfois, un rire sinistre résonnait.
*« Pas besoin daller loin. Halloween est venu à nous. »* Elle essuya ses larmes, prit un somnifère. *« Peut-être que demain sera meilleur »*, espéra-t-elle en fermant les yeux.
***
Le réveil sonna. Secouant les dernières brumes du sommeil, Élodie se lava et prépara le petit-déjeuner. Les disputes prolongées nétaient pas dans sa nature, et Lucie oubliait vite. Dhabitude, leurs querelles du soir se terminaient autour dun café matinal.
Mais cette fois, rien ne se passa comme prévu. Lucie passa devant la table sans un regard, shabilla rapidement et prit son acte de naissance, sans explication.
Toute la journée, Élodie chassa les pensées de leur dispute. Mais en sortant du bureau, elle ne pouvait plus penser quà une chose : *« Comment va ma Lucie ? Ma-t-elle pardonné ? Que dois-je lui dire ? Peut-être mexcuser pour la gifle ? Mais si seulement elle savait combien ses mots me blessent. Mon cœur me fait mal. Mon dernier ECG nétait pas bon. Je rentre, nous prendrons le thé avec des gâteaux, nous ferons la paix, et tout ira mieux. Il faut juste patienter. »*
Elle respira profondément, acheta des éclairs à la pâtisserie préférée de Lucie.
« Ma chérie ! Jai pris tes éclairs préférés ! Faisons la paix ! » cria-t-elle en entrant, mais personne ne répondit.
*« Bizarre »* Elle entra dans la cuisine. Lucie nétait pas là. Les tartines préparées le matin étaient intactes.
*« Mieux vaut un mauvais accord quun bon procès »*, pensa-t-elle en sortant son téléphone.
Elle composait le numéro de Lucie quand son portable sonna. Un numéro inconnu.
« Élodie Martin ? » demanda une voix féminine







