**Le Numéro du Destin**
Depuis quelques années, Élodie Morel avait perdu sa fille. Un accident
Les premiers temps, elle fut comme absente à la vie. Ne voyait rien, nentendait rien, ne parlait à personne. Elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas.
Il lui semblait que personne ne comprendrait jamais sa douleur. Et elle nen avait pas besoin. Tout ce quelle désirait, cétait quon la laisse tranquille, seule avec ses pensées où Camille était encore vivante.
Elle sétait convaincue que sa fille était simplement partie. Pour longtemps. Mais elle reviendrait.
Et elle navait pas supprimé son numéro de téléphone. Elle ne pouvait pas. Elle le regardait en se disant : « Et si elle appelait ? »
Il était là, ce numéro. Parmi les autres.
Parmi ceux qui vivaient encore
Et puis, ce numéro lui donnait limpression quelle pouvait encore appeler Camille Quand elle le voulait
***
Un soir, comme à son habitude, elle était assise près de la fenêtre, jetant de temps en temps un regard dans la cour.
Cette habitude remontait à longtemps, quand Camille était encore au lycée.
Elle lattendait La voyait courir vers la maison et se précipitait vers la cuisinière. Pour réchauffer le dîner
Cétait il y a si longtemps
Comme dans une autre vie.
Distraite, Élodie prit son téléphone, parcourut la liste des contacts.
Et comme toujours, son regard sarrêta sur le numéro de Camille.
Machinalement, elle composa
***
« Allô ? » Une voix jeune, chaleureuse, étonnamment semblable à celle de sa fille. Vivante, douce
Élodie sursauta.
« Pardon, murmura-t-elle, confuse. Je crois que jai fait un faux numéro. »
« Ce nest rien, répondit la jeune femme avec une pointe de sourire dans la voix. Ça arrive. » Puis elle raccrocha.
Élodie resta immobile, comme assommée. Elle crut dabord à une hallucination. Puis se dit quelle exagérait. La voix de linconnue ressemblait vraiment à celle de Camille. Comment sy tromper ? Elle laurait reconnue entre mille !
Pendant des jours, elle repensa à cet appel. Et à Camille.
Des souvenirs lui revenaient sans cesse : Camille riant, racontant quelque chose, parlant au téléphone.
Sa voix résonnait presque constamment dans lesprit de la malheureuse mère. Elle ne distinguait plus le souvenir de la réalité
Et un soir, elle craqua. Elle rappela.
« Allô ? » La voix était aussi chaleureuse.
« Bonjour, fit Élodie en essayant de maîtriser son tremblement. Je vous ai appelée récemment Par erreur Et votre voix Vous comprenez Elle ressemble tellement à celle de ma fille Camille Elle est morte. »
« Je suis désolée, répondit la jeune femme après un silence. Je mappelle Amélie. Je peux vous aider ? »
« Non, répondit Élodie sans hésiter. Je nai besoin de rien Juste Parlez-moi »
***
Depuis ce soir-là, Élodie et Amélie sappelaient souvent.
Dabord, ce furent des conversations courtes, sur des choses simples, quotidiennes.
« Aujourdhui, je me suis fait surprendre par la pluie, raconta Amélie. Et ça ne ma pas du tout ennuyée ! Au contraire, je me sens plus légère »
« Moi aussi, la pluie me soulage toujours, sourit Élodie. »
Amélie lui confia :
« Cest le printemps, il y a tant damoureux partout, et moi, je narrive pas à trouver le mien »
« Attends un peu, la rassura Élodie. Il est en chemin. Chaque chose en son temps. »
***
Plus elles parlaient, plus elles se connaissaient. À chaque conversation, la confiance grandissait. Les mots portaient du réconfort, et les silences, une complicité qui navait pas besoin de phrases.
« Vous parlez toujours aussi facilement de vous ? » demanda Amélie un jour.
« Non, sourit Élodie. Cest juste quavec les années, on comprend que le silence ne guérit pas. »
« Et comment vous vivez avec ça ? Avec cette perte ? » Une question timide.
« Comment je vis, Amélie ? Je vis Un jour après lautre. Cette blessure, on ne peut pas leffacer. Elle est toujours là, à lintérieur Mais il ne faut pas désespérer »
« Je comprends, murmura Amélie. Moi aussi, jai grandi sans famille. À lorphelinat. Cest difficile. Beaucoup de solitude. »
« Maintenant, tu nes plus seule, dit doucement Élodie. Le destin ne nous a pas réunies par hasard. »
***
« Merci de mécouter, lui dit un jour Amélie. »
« Cest à toi que je dois dire merci, ma chérie, répondit Élodie, émue. De me parler, de me permettre de tentendre. »
« Cest juste Vous êtes devenue comme une mère pour moi. »
« Et toi, comme une fille pour moi, répondit Élodie sans réfléchir. Peut-être quon devrait se voir ? Je ne sais pas pour toi, mais moi, les appels ne me suffisent plus »
***
Dans le café, une musique douce jouait, les bougies scintillaient. Lambiance était chaleureuse, comme à la maison.
Élodie sinstalla près de la fenêtre, les yeux rivés sur lentrée.
Son cœur battait chaque fois que la porte souvrait. Elle simaginait que Camille allait entrer
Et puis elle arriva.
Amélie.
Pas du tout semblable à sa fille. Leurs regards se croisèrent, et elles se reconnurent aussitôt.
« Bonjour, ma petite, murmura Élodie en tendant la main. Puis elle sarrêta. Fusa vers elle et lenlaça. La serra contre elle »
Amélie ne résista pas
« Bonjour, murmura-t-elle en retour. »
Elles sassirent, un silence tendre flottant entre elles.
« Tu ne ressembles pas du tout à Camille, dit Élodie après un moment. Sa voix trembla légèrement.
« Cest normal, sourit Amélie. Je suis Amélie. »
« Et tu comptes pour moi exactement comme tu es, répondit Élodie. Merci dêtre venue. »
La conversation senvola : la vie, les rêves, la chance de rencontrer quelquun de précieux quand on se croit perdu.
Amélie parla de lorphelinat, Élodie de Camille.
« Tu sais, confia-t-elle, Camille rêvait dune grande famille. Elle avait tant de projets Des enfants, une maison avec un jardin, des soirées près de la cheminée. »
« Elle devait être une personne lumineuse, dit Amélie. »
« Oui, sourit Élodie. Et très gentille. Parfois, jai limpression quelle veille encore sur moi. »
« Moi aussi, je rêve dune famille, avoua Amélie. Parfois, ça me semble impossible. Pour moi »
« Tu lauras, nen doute jamais ! dit Élodie avec conviction. Et si tu veux, je serai toujours là. »
« Merci, chuchota Amélie en essuyant une larme. »
***
Quelques jours plus tard, Élodie linvita chez elle.
« Vous êtes sûre que vous voulez que je vienne ? » Amélie ne cachait pas sa joie.
« Bien sûr ! »
« Alors, je vous avoue : jai tellement envie de voir où vous vivez. »
Le cœur dÉlodie battit plus vite. Pour la première fois depuis des années, elle était







