Tu l’as cherché, mon gars…

**Journal intime 12 octobre**

Je ne me pressais pas de rentrer chez moi après le travail. Dailleurs, peut-on vraiment appeler « chez soi » un petit studio en location ? Juste un abri temporaire. Jai fait un détour dans les rues de Lyon. La pluie fouettait les vitres de la voiture, le vent arrachait les feuilles des arbres. Une feuille jaune sétait coincée dans lessuie-glace côté passager. Lété indien était bel et bien fini. Mon père disait toujours : « Tel été, telle femme. »

Mon père. Loin dêtre un saint, il aimait lever le coude. Maman râlait, mais moi, jadorais quand il rentrait un peu éméché. Il devenait tendre et me glissait quelques euros. Le lendemain, après lécole, je filais au tabac acheter un Opinel, comme celui de Mathieu, ou une bouteille de Coca avec des chips.

Ah, cette époque Tout semblait si simple, si lumineux. Mes parents étaient là, prêts à me protéger, à me conseiller. Et dans ce passé lointain, il y avait Élodie. Fragile, avec ses cheveux blonds et ses yeux bleu clair. Un souffle de vent un peu fort, et elle aurait pu senvoler. Alors je la tenais toujours par la main.

Mais notre histoire na pas eu le temps de mûrir. Je lai embrassée une seule fois, juste posé mes lèvres sur les siennes, très brièvement. Tout ce que je voulais, cétait marcher avec elle, sans but, en lui serrant la main.

Son père était militaire. Elle était arrivée dans notre collège en cinquième. Et en seconde, son père a été muté, toute la famille est partie à Strasbourg.

Combien de fois ai-je voulu lappeler ou lui écrire ? Mais pour quoi faire ? Ils ne reviendraient pas, et moi, je nirais jamais à Strasbourg. Alors à quoi bon nourrir de faux espoirs ? Elle devait penser la même chose, car elle ne ma jamais contacté non plus.

Pourtant, son souvenir est resté gravé en moi. Je nai fréquenté que des filles qui lui ressemblaient. Mais aucune nétait vraiment celle dont je me souvenais ou que javais idéalisée. Difficile de faire la part des choses.

Et puis jai épousé une femme qui ne lui ressemblait pas du tout. Enfin, cest elle qui ma choisi. On était dans la même promo à la fac. Elle sortait avec dautres gars, et elle nétait pas mon genre. Puis, en troisième année, on a fait un stage ensemble dans la même entreprise. On rentrait souvent à pied. Elle venait dun bled perdu, mais elle disait que cétait un « petit village ».

Lété, la résidence universitaire se vidait. Presque tous les étudiants partaient en stage chez eux. Mais pas Sophie. Un soir, elle ma invité dans sa chambre.

« Jai fait une bonne soupe à loignon, et je nai personne avec qui la partager. »

Je navais rien de mieux à faire, alors jy suis allé. Les potes mavaient prévenu : les filles de province essaient souvent de piéger un gars pour se marier et rester en ville. Elles sont trop accommodantes. « Fais gaffe, ou tu te réveilleras un matin avec une bague au doigt. »

La soupe était délicieuse, même meilleure que celle de ma mère. Et puis ce qui devait arriver arriva. Au dernier moment, jai hésité, mais elle ma dit quelle était sous pilule. On a profité de ce stage jusquau bout. Je naimais pas Sophie, mais elle mattirait pour une raison bien précise loin de ce que javais ressenti pour Élodie.

La rentrée est arrivée, et on ne se voyait plus quen cours. Un mois plus tard, elle ma arrêté dans le couloir :

« Je suis enceinte. »

« Tu mavais dit que tu te protégeais. »

« Jai oublié la pilule deux fois. Avant, ça passait, mais avec toi Jai peur de lIVG, et si je ne pouvais plus avoir denfants après ? »

Je lai plainte. Et puis, je métais habitué à elle pendant le stage. Jen ai parlé à mes parents, je leur ai présenté Sophie. Elle a aidé à mettre la table et a donné quelques conseils culinaires à ma mère, ce qui lui a valu son approbation.

« Quelle bonne ménagère ! Au moins, je sais que mon fils ne mangera pas que des pâtes. »

On sest mariés avant Noël. La totale : robe blanche, gâteau, jeux stupides. Qui a inventé cette tradition de porter la mariée sur un pont ? Les potes rigolaient derrière :

« Allez, Yann, plus vite ! Tas intérêt à thabituer, cest comme ça que tu vas marcher toute ta vie. »

Sophie était bien en chair, pas du genre fragile. Jai sué, mais je men suis sorti.

Cest là que jai compris : jétais pris au piège. Pourtant, la vie à deux a bien commencé. Mes parents nous ont aidés à acheter un studio. Sophie préparait la venue du bébé, et le frigo était toujours plein. Ma mère la complimentait à chaque visite.

Mais tout a changé avec la naissance de Lola. Sophie a pris une année sabbatique. Ma mère travaillait encore, alors elle venait le soir pour nous aider. Jai arrêté les cours en présentiel et commencé à travailler dans lentreprise où javais fait mon stage.

Je traînais au boulot comme un zombie. Lola pleurait la nuit. Dès que je rentrais, Sophie me la collait dans les bras. Mais quand ma mère arrivait, tout rentrait dans lordre. Lola sendormait dans ses bras, Sophie se reposait, et maman cuisinait en chuchotant :

« Prenez votre temps pour le deuxième. Surtout toi, mon fils. »

Après le mariage et la naissance, Sophie est devenue hyper rigoureuse avec sa pilule. Elle se réveillait même la nuit pour vérifier. Dommage quelle nait pas été aussi sérieuse avant.

Lola a grandi, le studio est devenu trop petit, et largent manquait. Jai eu mon diplôme et cherché un meilleur job. Jai enchaîné les postes, mais soit les salaires étaient bas, soit on me proposait des combines.

« On ne devient pas riche en étant honnête. Les autres sen sortent bien, fais comme eux », râlait Sophie quand je démissionnais.

Mais je ne pouvais pas trahir ma conscience. Je subvenais seul aux besoins. Sophie a fini ses études et est devenue assistante de direction. Pas bien payé, mais des perspectives. Deux salaires, et pourtant, jamais assez.

« Tu pourrais acheter moins de fringues. »

« Je travaille avec le directeur, je dois avoir une tenue correcte. Et toi, tu pourrais trouver mieux. »

Sophie rentrait tard. Réunions, rendez-vous Je jalouse, on se disputait sans cesse. Un jour, elle a dit quelle ne voyait plus lintérêt de rester ensemble.

« Tu comprends, on a une fille. Tu ne vas pas nous mettre à la rue, et on ne peut pas échanger le studio. »

« Je my attendais. Tu as tenu plus longtemps que prévu. Tas trouvé plus riche ? »

« Si tu mavais écoutée, on nen serait pas là. »

« Tu ne mas jamais aimé. Je tai juste servi à quitter ton bled »

« Tu nas jamais vécu à la campagne. Tu ne sais pas ce que cest, de devoir chauffer leau et le poêle. »

Jai souri. Enfin, elle avouait venir dun vrai trou.

« Fais-moi mes affaires, sinon je prendrai trop. »

Elle a tout plié soigneusement. Je ne suis pas allé chez mes parents, j

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Tu l’as cherché, mon gars…
Тайна, изменившая судьбы: тени прошлого