La fumée au-dessus du toit
Y a-t-il quelquun ? demanda Jérémie en rentrant les épaules et en franchissant le seuil de bois usé. Allons, accueille ton invité, ma tante !
Derrière le paravent fleuri, un vieux lit de fer grinça. Les pivoines brodées sur le tissu bordeaux semblaient sagiter comme sous un vent invisible.
Mon petit Jérémie, cest toi ?
Oui, tante Marguerite. Je tai apporté des provisions pour lAnnonciation.
Marguerite sassit au bord du lit, ses pieds gonflés cherchant péniblement les pantoufles posées à côté. Elle se leva enfin, contourna le paravent et vint se blottir contre Jérémie, posant sa tête contre sa poitrine dans une étreinte familière.
Ah, mon petit cœur ! On ne sest pas vus depuis la Chandeleur. Et moi, jétais là, à somnoler près du feu
Tiens, voilà pour toi.
Jérémie tendit un sac en papier que Marguerite vida sur la table avec un grognement tendre, comme à son habitude.
Mais pourquoi tant de choses ? Une vieille femme comme moi na pas besoin de tout ça ! Le paquet de thé que tu mas apporté la dernière fois, je lai à peine entamé Toujours à te donner du mal pour rien !
Jérémie ignora ses reproches. Quand est-ce que sa tante navait pas ronchonné en recevant des cadeaux ? Il promena son regard autour de la vieille maison de campagne, se souvenant des étés passés ici, enfant. Marguerite était encore jeune alors, vive et alerte. Elle avait perdu son mari tôt et avait tout géré seule depuis.
Maintenant, il ne lui restait plus quun chat, mais autrefois, la cour et les dépendances regorgeaient danimaux. Ses fils, bien quinstallés en ville, connaissaient les travaux des champs : faucher le foin, arracher les pommes de terre, réparer les clôtures. Jérémie aussi venait aider, après tout, Marguerite était sa tante.
Laîné était mort après une longue maladie, le plus jeune sétait brisé le dos. Il avait passé des mois alité avant de finir en fauteuil. Difficile de voyager ainsi. Plus personne ne venait voir Marguerite, mais elle continuait à saffairer : cueillir des herbes médicinales, sécher des pommes pour les compotes, saler les concombres, tricoter des chaussettes
Autrefois, la maison était pleine de fleurs. Maintenant, il ny avait plus quun aloès à moitié gelé sur le rebord de la fenêtre. Les tâches ménagères devenaient trop lourdes.
Jérémie sapprocha du poêle et posa une main sur son flanc blanchi à la chaux.
Il fait froid ici, tante Marguerite.
Ce nest pas lété, non plus, répondit-elle évasivement, tout en grondant le chat qui lui frôlait les jambes.
Tu nas pas allumé le poêle aujourdhui ? demanda Jérémie, ne sentant pas la chaleur habituelle.
Jai fait chauffer la cuisinière ce matin, ça suffit. Il ne gèle pas tant que ça !
Ce nest pas lété non plus, répéta Jérémie. Et pourquoi as-tu enlevé les tapis ? Tu ne sens pas lhumidité et le froid qui remontent du plancher ?
Parce que je trébuche dessus ! expliqua Marguerite. Attends davoir mon âge, tu verras si tu as encore envie de danser autour.
Tu nas plus de bois ? insista Jérémie.
Jen ai pour vingt ans ! rétorqua Marguerite en rattrapant une mèche grise sous son fichu. Deux piles intactes dans le bûcher, et encore quelques rangées dans lappentis.
Elle sapprocha du poêle et planta ses poings sur ses hanches.
Une vieille couverture en coton pendait du bord, prête à tomber. Au lieu de la remettre en place, Marguerite la fit glisser un peu plus.
La cuisinière me suffit.
Montre-moi ce quil y a là ! devina Jérémie en écartant la couverture.
Une fissure sinistre zébrait le flanc du poêle.
Marguerite lavait remarquée au début de lautomne. Elle avait espéré que le conduit nétait pas touché, mais la fissure avait eu raison de ses espoirs : une fumée âcre sen échappait, traçant une ligne grise entre le plafond et le sol. Après en avoir respiré tant et plus, Marguerite nen avait parlé à personne son fils avait bien assez de soucis comme ça, sans compter quil était malade. Elle avait décidé de passer lhiver sans le poêle, heureusement que la cuisinière fonctionnait encore.
Jérémie sétonna de ne pas avoir vu la fissure en février, lors de sa dernière visite. La rusée vieille dame lavait camouflée sous la couverture, maintenue par une caisse doignons. Difficile de deviner sa présence.
Depuis combien de temps caches-tu cette merveille ? demanda Jérémie sévèrement, désignant le poêle.
Oh, je ne sais plus. Pas si longtemps, bredouilla Marguerite. La couverture bloque presque toute la fumée. Quand il gèle, je fais un petit feu je ne supporte pas le froid. Par temps de neige, la cuisinière suffit. Une vieille femme comme moi na pas besoin de tant de chaleur.
Quest-ce que tu racontes, tante Marguerite ? Je nai même pas ton âge, et mes os réclament déjà de la chaleur ! Ne sais-tu pas que rien ne réchauffe mieux les vieux os quun bon poêle ?
Jérémie fronça les sourcils, remit la couverture en place et examina la fissure. Son grand-père avait été apprenti maçon pour poêles, mais il navait pas eu le temps de transmettre son savoir. Jérémie avait appris seul, en posant des questions, et avait refait le poêle chez lui ce nétait pas sorcier.
Il ny avait plus de maçons spécialisés dans la région, il le savait. Le journal local en citait bien quelques-uns, mais les villageois se méfiaient : ils prenaient cher pour un travail médiocre. Des artisans de ville, incapables de construire un vrai poêle, chiche en chaleur.
Un poêle, cest lâme dune maison. Il vous tient chaud, il cuit vos repas, il vous soigne. Quoi dautre réchauffe aussi bien les os ? Et celui qui na jamais mangé une soupe aux choux cuite au cœur dun poêle russe ne mérite pas le paradis.
Je réparerai ton poêle à lautomne, annonça Jérémie après son inspection. Pour linstant, il fait trop froid, tu gèlerais sans la cuisinière.
Mais non, mon petit ! protesta Marguerite en agitant les mains. Ny pense même pas ! Jai presque quatre-vingt-dix ans, ce poêle me survivra !
Allons, tante Marguerite, ne tinquiète pas ! Je ne le démonterai pas entièrement, juste le bouclier thermique.
Et même ça ! insista Marguerite. Et si cet hiver était mon dernier, hein ? Tu ne peux pas savoir !
Et toi, tu le sais ?
Moi non plus. Dieu seul le sait !
Justement ! Jérémie leva un doigt, presque en guise de réprimande. Et si tu devais vivre encore vingt ans ? Quand ton heure viendra, tu iras vers Dieu avec le côté bien au chaud. En attendant, je tapporterai un radiateur électrique.
Dès le lendemain, il revint avec un radiateur gris à roulettes, gl







