Jean, ton père nous a demandé de venir pour la journée, il a besoin daide pour réparer le toit Il ne peut plus le faire seul. Claire regarda son mari avec espoir. Allons-y, et Élodie veut voir son grand-père.
Le beau-père de Jean vivait à la campagne. Un homme solide et en bonne santé, mais les années commençaient à peser
Papa, allez, on y va ! simpliqua Élodie, quatorze ans.
Vous vous êtes concertées ? grogna Jean. Jai deux jours de repos par semaine, je peux au moins les passer comme je veux, non ?
Sa femme et sa fille baissèrent les yeux et se détournèrent. Élodie partit dans sa chambre, Claire dans la cuisine. *« Ah, voilà ! »* sourit Jean. *« Elles ont oublié qui a le dernier mot ? Je vais leur rappeler ! »*
En réalité, il navait rien de spécial prévu ce week-end. Samedi, il devait voir un 4×4 un copain le vendait. Doccasion, mais fiable. Sil négociait bien, il pourrait lavoir. Une bonne voiture pour la pêche, parfaite.
Et il avait assez mis de côté en rognant sur les dépenses de la famille. Vendre la sienne, prendre un crédit. Assez de rouler dans cette vieille Clio, cétait gênant devant les potes. Le soir, pêche et nuitée prévues avec les gars, autour dun feu, à raconter des blagues et boire un coup. Le bonheur !
Et là, partir à la campagne Plus tard, quand il aurait le temps.
Le matin, après avoir appelé le vendeur, Jean fixa un rendez-vous. La voiture était dans un garage, en banlieue.
Tu comptes vraiment changer de voiture ? Claire se mêlait encore de ce qui ne la regardait pas.
Ça te regarde ? marmonna-t-il.
Fais comme tu veux. Elle soupira. Mais Élodie grandit, on voulait lui acheter des vêtements, elle devient une jeune fille. Un manteau, des bottes Sans parler de moi
Elle peut attendre encore un an. À son âge, moi Jean allait se lancer dans ses souvenirs, mais se tut.
Au fond, il savait quil était injuste envers Claire et Élodie, mais ne pouvait se lavouer. *« Je les ai trop gâtées, voilà ! »* tentait-il de se justifier, sans conviction.
Il y avait quinze ans, étudiant fauché, il avait rencontré Claire et ce fut le coup de foudre. Une jeune femme joyeuse, mince, aux yeux bleus rieurs, qui lavait aimé en retour. Les premières années furent dures : location, puis Élodie arriva.
Ils vivaient avec le salaire dingénieur de Jean, heureusement que les beaux-parents aidaient. La maison ne manquait jamais de produits de la ferme : conserves, confitures, légumes frais. Le beau-père venait chaque semaine, déposait sacs et bocaux, buvait un thé vite fait, jouait avec sa petite-fille, puis repartait, glissant discrètement quelques billets.
Les parents de Jean vivaient loin, élevaient quatre autres enfants et ne pouvaient aider. Jean navait pas fait une carrière brillante, mais des extras avaient hissé la famille à un niveau confortable.
Évidemment, son salaire était le pilier du budget. Grâce à lui, ils avaient acheté un appartement, une voiture doccasion mais fiable. Claire, bibliothécaire, ne gagnait pas beaucoup, mais créait un foyer chaleureux, prenait soin de son Jean. Jamais il ne sortait en chemise froissée ou pantalon mal repassé, et tout limmeuble connaissait ses talents culinaires. Les voisins jaloux le lui disaient souvent.
Quand avait-il commencé à se croire indispensable ? Il ne savait plus. Désormais, seul son avis comptait. Les rires dÉlodie et les sourires de Claire se faisaient rares. Le beau-père ne venait plus avec ses cadeaux, ses blagues joyeuses. Lopinion de Claire importait moins que celle des copains. Même pour la voiture, cétaient eux qui avaient insisté. Oui, largent était pour autre chose, mais là, cétait une opportunité !
Jean trouva facilement le garage. Le vendeur nétait pas là, il attendit. Il sortit fumer, observa les alentours. Des garages séparaient les maisons individuelles des HLM. Devant, une route, puis des buissons.
De ces buissons émergea un chaton, attiré par le bruit de la voiture et les clés. Il sapprocha, mais nentra pas. Il sassit plus loin, attendant. Déçu par les humains, mais une minuscule espérance subsistait : *« Peut-être quils me remarqueront ? Peut-être quils me donneront à manger ? »*
Il attendit que les deux hommes sortent, discutant joyeusement. Une poignée de main, et lun resta, songeur. Son regard tomba sur le chaton. Celui-ci miaula, sans sapprocher.
*« Quest-ce quil fait là ? »* pensa Jean. *« Un bébé À son âge, il devrait jouer, manger à sa faim, dormir tranquille. Mais il doit survivre. Pas de chance. »*
Il écrasa sa cigarette, remonta en voiture, et jeta un dernier regard au chaton. Soudain, il vit
Lespoir séteindre dans ses yeux verts.
Le chaton se leva, retourna vers les buissons. Pour finir sa vie triste, pleine de peur, de faim, et de lindifférence des humains. Des gens forts, qui pourraient sauver cette petite boule de poils, le rendre heureux, et recevoir en retour amour, fidélité, une vie entière. Mais ils nen veulent pas
*« Jai déjà vu ce regard. »* songea Jean, essayant de se souvenir. *« Claire ! Comme hier, quand je lai coupée. Et Élodie, baissant la tête, partie sans un mot. Elles nont rien dit, nont plus rien demandé. Elles sont parties Comme ce chaton. Oui, elles mangent à leur faim, vivent au chaud, mais comme lui, elles attendent de lattention, de la tendresse. Et je ne leur donne rien. Comment ai-je pu ? »*
Il luttait encore, se traitant de faible, mais savait ce quil allait faire.
Il retrouva le chaton dans les buissons, allongé sur un bout de carton. Lindifférence dans ses yeux avait cédé la place à la peur, puis, quand Jean le prit doucement dans ses bras, à un espoir timide.
Élodie ! appela Jean en entrant. Regarde qui je tai trouvé à adopter. Tu ten occupes ?
Le regard méfiant de sa fille devint surprise, puis joie.
Papa ! Où tu las trouvé ? Il est tout petit, tout maigre Il a sûrement faim !
Affamé ! confirma Jean. Il na jamais mangé à sa faim. Occupe-toi de lui, il est à toi à nous !
Jean, je ne te reconnais plus. Claire le regarda intensément. Il sest passé quelque chose ?
Bien sûr, Claire. Ton père nous attend, et vous nêtes même pas prêtes ! Quinze minutes pour vous préparer et nourrir le petit. Le bain et les câlins, ce sera là-bas. Allez, on y va !
Malgré le ton autoritaire, la joie de ses filles le réchauffa. Pendant quelles se préparaient, Jean appela ses amis pour annuler la pêche.
Le toit fut vite réparé juste quelques ardoises à remplacer. Le beau-père, bien que vaillant, ne montait plus le vertige le prenait. Après le travail, Jean inspecta la ferme :
Tu comptes







