Oh là là, écoute-moi ça
«Si tu es si sûr que je suis une femme légère, alors dis à toute cette assemblée avec qui tu as conçu ton fils ! Après tout, cest toi qui mas révélé la vérité.»
La voix de Mathieu était basse, presque suppliante. Il se tenait au milieu de la chambre, déjà habillé dans son costume de cérémonie, tripotant nerveusement sa cravate parfaitement nouée. Aurélie ne se retourna pas. Elle continuait à fixer son reflet dans le grand miroir, traçant lentement et avec une précision chirurgicale le contour de ses lèvres dun rouge bordeaux. La soie noire de sa robe épousait sa silhouette sans laisser place à limagination, tout en restant élégante et sobre. Cétait une tenue pour une femme qui connaissait sa valeur. Une tenue de bataille.
«Quest-ce qui ne va pas, Mathieu ?» Sa voix était calme, égale, sans la moindre trace dirritation. Et cétait précisément ce calme qui effrayait le plus son mari. Il était habitué à ses éclats, à leurs disputes suivies de réconciliations feintes. Mais cette sérénité glaciale était nouvelle, étrangère.
«Enfin tu connais maman. Elle pourrait trouver ça un peu trop provocant,» finit-il par dire, choisissant un mot qui ne sonnerait pas comme une accusation directe.
Aurélie termina son maquillage, posa son rouge à lèvres et se tourna lentement vers lui. Un sourire froid et à peine perceptible jouait sur ses lèvres.
«Ta mère trouverait une burqa provocante si cétait moi qui la portais. Tu as oublié son coup de fil à tante Sophie la semaine dernière ? Quand elle lui a chuchoté, assez fort pour que tu entendes, que je faisais des avances à notre voisin retraité ? Le vieux Maurice, qui a quatre-vingt-deux ans et confond mon prénom avec celui de la factrice ?»
Mathieu tressaillit comme sil venait de recevoir une gifle. Il se souvenait de cette conversation. Il faisait semblant de chercher ses clés dans le couloir pendant que sa mère déversait son venin dans la cuisine. Ce soir-là, il avait simplement quitté la pièce et conseillé à Aurélie de «prendre de la hauteur».
«Aurélie, je ten supplie, ne commence pas. Cest son anniversaire aujourdhui. Cinquante-cinq ans. Passons juste une soirée normale. Pour moi. Fais comme si de rien nétait, daccord ?»
«Fais comme si de rien nétait.» Cette phrase était devenue le leitmotiv de leurs deux dernières années. Ignorer les remarques de sa belle-mère sur ses talents culinaires devant les invités. Ignorer le livre offert pour leur anniversaire de mariage : *Comment garder son mari à la maison*. Ignorer les sous-entendus, les regards en biais, les mensonges que Jeanne-Marie répandait avec délectation dans toute la famille. Aurélie avait ignoré. Elle avait avalé ses larmes, serré les dents. Pour lui. Pour Mathieu, quelle aimait et qui, chaque fois, la regardait avec des yeux de chien battu, déchiré entre sa mère et son épouse.
Mais quelque chose sétait brisé. Un mois plus tôt, une semaine, ou peut-être ce matin même, quand elle avait choisi cette robe. Elle sétait regardée dans le miroir et avait compris quelle nen pouvait plus. La coupe était pleine et son contenu avait gelé, se transformant en une lame tranchante.
«Daccord, mon chéri,» dit-elle avec une douceur inattendue. Mathieu soupira de soulagement. «Je ne ferai attention à rien. Je serai charmante et polie. Je sourirai à tes cousines qui me prennent pour une traînée. Jembrasserai ta mère et lui souhaiterai longue vie.»
Elle sapprocha de lui, ajusta un pli invisible sur son veston. Il voulut lenlacer, mais son corps était tendu comme une corde.
«Merci, ma chérie,» murmura-t-il. «Je savais que tu comprendrais.»
Aurélie leva les yeux vers lui. Son regard était vide de chaleur, damour. Seul un calcul froid sy lisait.
«Je porterai même un toast. Quelque chose de beau. Sur la famille, lhonnêteté, la fidélité. Ta mère appréciera, jen suis sûre.»
Elle attrapa son petit sac, et lair semplit de lodeur de son parfum. Mathieu sourit, ne percevant dans ses mots quune trêve bienvenue. Il ignorait quAurélie ne se rendait pas à cet anniversaire pour capituler. Elle y allait en bourreau. Et elle navait pas lintention dêtre la victime.
La salle du restaurant, choisie par Jeanne-Marie pour son anniversaire, regorgeait de dorures et dune luxueuse ostentation. Lair était épais de parfums, de laque et de plats chauds. Aurélie le trouvait étouffant, comme si elle respirait non de loxygène, mais larrogance concentrée des autres. Les invités pour la plupart des inconnus quelle croisait pour la deuxième fois défilaient devant leur table, offrant des fleurs à la jubilaire avec des sourires plaqués. Mathieu rayonnait, présentant sa mère comme une reine, recevant les félicitations comme si cétait aussi son jour.
Aurélie jouait le rôle dun accessoire silencieux. Dos droit, sourire poli, elle subissait les regards insistants. Tante Sophie toisa sa robe et chuchota à loreille de sa voisine. La femme dun cousin se rapprocha de son mari, comme pour le protéger de son influence néfaste.
Le venin distillé par Jeanne-Marie avait fait son effet. Aurélie était létrangère. La dangereuse. Une femme à la réputation douteuse, tolérée uniquement pour Mathieu. Et lui, son mari, son protecteur, ne voyait rien. Ou faisait semblant. Trop absorbé par son rôle de fils modèle, il entretenait la façade de cette famille parfaite.
Après le troisième plat, lanimateur un homme bedonnant à la voix trop forte frappa dans le micro pour réclamer le silence.
«Et maintenant, chers amis, la parole est à notre reine du jour, lincomparable Jeanne-Marie !»
La salle applaudit. Jeanne-Marie se leva, resplendissante dans sa robe champagne. Son regard dominant sattarda un peu trop sur Aurélie.
«Mes chers, ma famille !» Sa voix était travaillée pour les discours grave, théâtrale. «Une famille, cest un refuge. Un havre dhonnêteté, de fidélité, de pureté des intentions.»
Elle marqua une pause, laissant ses mots pénétrer les esprits. Mathieu serra la main dAurélie sous la table. Il croyait à un geste de soutien. Elle y vit lordre dun geôlier.
«Les femmes sont le pilier de la famille,» poursuivit Jeanne-Marie, son ton durcissant. «Leur sagesse, leur vertu, assurent lavenir de notre lignée. Je lève mon verre à ces valeurs intangibles ! À lhonneur et à la fidélité !»
Les applaudissements furent moins enthousiastes. Les femmes baissèrent les yeux. Les hommes toussotèrent. Mathieu sourit à Aurélie : «Tu vois, tout va bien.»
Mais lanimateur, en pleine effervescence, continua : «Et maintenant, passons la parole à notre belle-fille adorée ! Aurélie, à vous !»
Tous les regards se tournèrent vers elle. Elle se leva avec une grâce imperturbable, prit son verre de vin. Son sourire était doux, presque tendre. Le sourire de quelquun sur le point dappuyer sur un bouton rouge.
«Chère Jeanne-Marie,» commença-t-elle, sa voix claire couvrant







