«Sil vous plaît, mon cher juste un quart de pain,» supplia la vieille femme au marchand de la petite boulangerie.
«Pitié, mon enfant, je nai pas touché de pain depuis trois jours, je nai plus un sou,» trembla sa voix dans lair glacé dun matin dhiver à Lyon.
Un vent fin glissait entre les ruelles pavées, portant lodeur du givre et limpression que la bonté se faisait rare. Elle se tenait devant le stand de baguettes, son manteau usé, le visage gravé de rides qui racontaient toute une vie de rêves, de peines et de résistance silencieuse.
Dans ses mains, elle serrait un sac de lin jauni, débordant de bouteilles en verre vides son dernier moyen de ramasser quelques pièces. Ses yeux rougis par le froid reflétaient des larmes qui coulaient lentement. Elle chuchota de nouveau: «Sil vous plaît juste un quart de pain. Je vous payerai demain.»
Derrière le comptoir, la vendeuse ne leva guère les yeux. Sa voix était plate, comme gravée dans la glace.
«Cest une boulangerie, pas un dépôt de consignes. Vous devez déposer ces bouteilles à la déchetterie, récupérer votre consigne, puis vous pourrez acheter du pain. Cest la règle.»
La vieille dame hésita. Elle ignorait que la déchetterie fermait à midi. Elle lavait manquée. Autrefois, elle naurait jamais imaginé ramasser des bouteilles pour survivre. Elle fut enseignante respectée, éloquent, fière. Aujourdhui, la fierté ne remplissait pas un estomac vide.
«Sil vous plaît,» recommença-t-elle dune voix douce, «je me sens faible de faim.»
«Non,» coupa la vendeuse. «Je ne peux pas donner du pain gratuitement. Je gagne à peine assez pour moi. Si je donnais à tout le monde, je naurais plus rien. Ne bloquez pas la file.»
À cet instant, un homme grand, vêtu dun long manteau sombre, savança. Le ton de la vendeuse changea immédiatement.
«Bon aprèsmidi, Monsieur Dupont!» dit-elle chaleureusement. «Nous venons de recevoir votre pain aux noix et aux fruits secs, ainsi que des chaussons aux abricots encore chauds. Vous en voulez ?»
«Donnezmoi le pain aux noix et six chaussons,» répondit lhomme dun ton distrait.
Il sortit un portefeuille épais et remit un gros billet. En attendant la monnaie, son regard se fixa, puis se figea.
Dans lombre du kiosque, il aperçut la vieille femme. Un détail la rendait étrangement familière: un grand médaillon en forme de fleur, fixé à son manteau. Il le reconnut.
Il séloigna avec ses achats, les chargea dans sa berline noire et prit la route vers son bureau, au bord de la ville. Daniel Dupont était le propriétaire dune grande enseigne délectroménager, un autodidacte qui avait tout commencé dans les années 1990, à force de travail et de persévérance, sans contacts ni coups de chance.
Chez lui, la vie était remplie: une épouse aimante, Laure, deux fils débordants dénergie et une petite fille, Maïwenn, qui devait bientôt naître. Ce soirlà, alors quil travaillait tard, le téléphone sonna.
«Daniel, lécole vient dappeler. Étienne sest encore battu,» dit Laure, épuisée.
«Jai une réunion avec un fournisseur,» réponditil, se pinçant le nez. «Si on ne conclut pas ce contrat, on perdra des millions.»
«Je suis fatiguée, Daniel. Je ne peux plus tout faire toute seule pendant ma grossesse,» murmura Laure.
Un sentiment de culpabilité le traversa. «Je vais dégager du temps, je te le promets. Et Étienne il devra faire face sil continue comme ça.»
«Tu nes jamais à la maison,» soupira-t-elle. «Les enfants tattendent. Moi aussi.»
Plus tard, il rentra pour trouver les enfants endormis et Laure qui attendait. Elle proposa de réchauffer le dîner, mais il secoua la tête.
«Jai ramené quelque chose du bureau: des chaussons aux abricots ils sont divins et du pain aux noix.»
Elle sourit faiblement. «Les enfants naiment pas trop le pain,» ditelle.
Soudain, limage de la vieille femme surgit de nouveau dans son esprit: son visage, sa posture, ce médaillon. Puis il comprit.
«Seraitce Madame Caron?» murmurat-il.
Il se souvint alors de tout. Elle avait été sa professeure de mathématiques: patiente, ferme, dune bonté discrète. Enfant, il était très pauvre, vivant avec sa grandmère dans un petit studio où le pain était un luxe. Un jour, elle lavait remarqué. Sans jamais le faire sentir quon le prenait en pitié, elle lui fit des petits boulots arroser les fleurs de son jardin, réparer la clôture qui grinçait. Et à la fin, un repas chaud lattendait toujours.
Il se rappelait surtout le pain quelle faisait, cuit dans son vieux four, avec une croûte qui craquait et un parfum qui réchauffait lâme.
Le lendemain, Daniel revint au stand. La vendeuse haussa les épaules quand il demanda des nouvelles de la vieille femme. «Elle vient parfois avec des bouteilles. Je ne lai pas vue aujourdhui.»
Durant la semaine suivante, il la chercha: près de la déchetterie, au marché, même dans les ruelles latérales. Alors quil commençait à croire quelle avait disparu, il la vit assise sur un banc de parc, comptant soigneusement les pièces dans sa main.
«Madame Caron?» demandatil doucement.
Elle leva les yeux, surprise. «







