**Journal de Pierre 12 octobre**
Je suis allé à lhôpital rendre visite à mon amie et je suis resté bouche bée en découvrant qui partageait sa chambre.
Valérie, ma chérie, tu mas fait une peur bleue ! Je suis entré précipitamment dans la chambre, un sac de fruits à la main. Quand ta fille ma appelé pour me dire que tu avais des problèmes cardiaques, jai failli mévanouir !
Valérie était alitée près de la fenêtre, pâle mais souriante.
Pierre, mon ami, merci dêtre venu ! Elle me tendit la main. Ici, cest la mort lente, je commençais à perdre la tête dennui.
Je posai le sac sur la table de nuit et jetai un regard autour de moi. La chambre comptait quatre lits, mais seulement deux étaient occupés. Sur celui adjacent à Valérie, une femme aux longs cheveux gris, tressés avec soin, était allongée, tournée vers le mur.
Et ta voisine, qui est-ce ? chuchotai-je en masseyant près de mon amie.
On la amenée hier. Elle sappelle Marie-Hélène. Très discrète, elle parle à peine. Elle lit ou regarde son téléphone. Valérie baissa aussi la voix. On dit quelle a des problèmes de tension, comme moi avec mon cœur.
À cet instant, la voisine se retourna, et je sentis mon sang se glacer. Des yeux bruns familiers, des traits fins inchangés par les années, un grain de beauté sur la joue gauche
Marie-Hélène ? murmurai-je, incrédule. Marie-Hélène Laurent ?
La femme sur le lit voisin se figea, puis se redressa lentement et me dévisagea.
Pierre Dubois ? Sa voix avait ces mêmes intonations quil y a trente ans. Mon Dieu, ce nest pas possible
Valérie regardait tour à tour Marie-Hélène et moi, perplexe.
Vous vous connaissez ? demanda-t-elle.
Oui, répondis-je brièvement, les yeux rivés sur Marie-Hélène. Très bien.
Un silence gênant sinstalla. Marie-Hélène baissa les yeux, tandis que je la fixais encore, comme pour massurer que ce nétait pas une illusion.
Mais enfin, quest-ce qui se passe ? simpatienta Valérie. Pierre, on dirait que tu as vu un fantôme !
Presque, dis-je doucement. Marie-Hélène et moi ça fait très longtemps.
Trente-deux ans, ajouta Marie-Hélène, sans lever les yeux.
Oh là là ! Valérie se redressa avec effort. Vous étiez amis denfance ?
Pas exactement, massis-je, raide, comme prêt à me lever dun instant à lautre. On avait des intérêts communs, à lépoque.
Marie-Hélène releva la tête et me regarda droit dans les yeux pour la première fois.
Comment va Antoine ? demanda-t-elle à voix basse.
Je serrai les poings si fort que mes jointures blanchirent.
Mon mari est mort il y a huit ans, répondis-je sèchement. Crise cardiaque.
Je suis désolée, je ne savais pas, murmura-t-elle en détournant de nouveau le regard.
Ce nest rien, fis-je en haussant les épaules. Cest la vie.
Valérie nous observait avec une curiosité grandissante.
Mais enfin, expliquez-moi doù vous vous connaissez ! Je suis là comme une idiote à ne rien comprendre !
Marie-Hélène et moi échangeâmes un regard. Aucune de nous deux ne semblait vouloir entamer cette histoire.
On travaillait ensemble, finis-je par dire. Dans un collège. Jenseignais le français, Marie-Hélène Quest-ce que tu enseignais, déjà ?
Lhistoire, répondit-elle. Et léducation civique.
Tu vois, Valérie, me tournai-je vers mon amie. On était collègues. Mais pas longtemps.
Pas longtemps, confirma Marie-Hélène. Juste deux ans.
Et vous vous êtes brouillés à cause du travail ? Valérie ne lâchait pas prise.
À cause dun homme, avouai-je avec franchise. Une histoire classique.
Marie-Hélène tressaillit, comme si je lavais frappée.
Pierre, pas maintenant
Pourquoi pas ? me tournai-je vers elle. Valérie finira par tout savoir, elle est comme ça. Autant tout dire maintenant. De toute façon, ce nest plus si important, non ?
Non, murmura-t-elle.
Alors racontez ! sexclama Valérie. Je vais mourir de curiosité !
Je madossai à ma chaise et regardai par la fenêtre.
Javais vingt-quatre ans. Je sortais tout juste de luniversité, javais commencé à enseigner au collège. Jeune, naïve, romantique. Et là, il y avait ce prof, Antoine Morel. Beau, intelligent, dix ans de plus que moi. Marié, bien sûr.
Oh, fit simplement Valérie.
Exactement, oh, souris-je avec amertume. On a commencé une histoire. Secrète, évidemment. On se voyait après les cours, il me racontait que sa femme ne le comprenait pas, que leur mariage nétait quune façade Les mêmes mensonges quils racontent tous.
Marie-Hélène écoutait en silence, hochant parfois la tête.
Un an plus tard, une nouvelle enseignante est arrivée, continuai-je. Marie-Hélène. Belle, intelligente, drôle. Et Antoine a dû penser quune maîtresse ne suffisait pas.
Pierre, ce nétait pas comme ça
Non ? me tournai-je vers elle. Comment alors ? Tu savais quil y avait quelque chose entre nous ! Je te lavais dit ! On était amies !
On létait, admit-elle doucement. Et je ne voulais pas Cest arrivé malgré moi.
Malgré toi, répétai-je avec ironie. Comme cest commode.
Valérie nous regardait alternativement, comme un match de tennis.
Je ne lai pas séduit, dit Marie-Hélène plus fort. Cest lui Il ma dit que vous nétiez pas sérieux ensemble, que cétait juste
Juste quoi ? coupai-je sèchement.
Que cétait passager. Que tu le savais.
Je ris, mais ce fut un rire amer.
Quel salaud ! Donc, à toi, il disait que cétait sans importance, et à moi, il racontait que tu étais une allumeuse !
Marie-Hélène devint encore plus pâle.
Il a dit ça ?
Exactement ! me levai et fis les cent pas dans la chambre. Et nous, idiotes, on la cru ! On sest brouillées à cause de lui ! Pendant quil se frottait les mains !
Les enfants, intervint prudemment Valérie, ne vous énervez pas, vous avez des problèmes de santé
Non, Valérie, ça va, agilai-je la main. Cest même bien quon se soit revus. Maintenant, tout est clair.
Je me rassis et regardai Marie-Hélène.
Et après ? Quand jai quitté le collège ?
Il est resté avec moi trois mois, répondit-elle à voix basse. Puis il a dit que sa femme se doutait de quelque chose. On sest vus de moins en moins, puis plus du tout. À la fin de lannée, jai appris quil divorçait.
Il a divorcé ? métonnai-je. Ça, je lignorais.
Divorcé, et un mois plus tard, il sest remarié avec une prof de sport







