**PRÉLUDE DAMOUR**
Sur le chemin du retour, une envie irrésistible de pâtes bolognaise saisit Grégoire. Ses pas le guidèrent machinalement vers le supermarché. Avalant sa salive, il se précipita vers le rayon des pâtes.
À cet instant, son téléphone vibra. Un message de sa femme.
*« Je suis chez lesthéticienne, je rentre dans une heure. Débrouillez-vous pour le dîner. Ou attendez-moi. »*
Une « heure » chez Céline, cétait une notion bien élastique. Grégoire navait pas lintention dattendre indéfiniment. Et Théo, son fils, devait avoir faim. Il fallait vérifier ses devoirs vite fait et soccuper des pâtes.
Bon, de la viande hachée, des spaghettis, des oignons et une petite bouteille de sauce bolognaise. Théo ladorait, tout comme Céline.
Une fois les courses terminées, Grégoire pressa le pas vers leur appartement parisien.
Théo, sérieux comme un futur ministre, lui présenta ses devoirs avant de se replonger dans sa console.
*« Ce soir, cest pâtes bolognaise ! »* annonça Grégoire.
*« Avec de la sauce ? »* demanda lenfant.
*« Avec de la sauce. »*
Théo hocha la tête, satisfait, et retourna à son jeu.
Les pâtes, cétait rapide. Grégoire fit bouillir les spaghettis pendant que la viande dorait à la poêle. Il ny avait plus quà mélanger. La sauce, chacun se servirait.
Son téléphone vibra de nouveau. Encore Céline.
*« Tu es rentré ? »*
*« Oui. »*
*« Parfait. Jai oublié mon porte-monnaie. Viens me sauver. »*
Grégoire attrapa son argent et courut vers le salon de beauté voisin.
Il aurait pu marcher. Il dut patienter dix longues minutes. Pour tuer le temps, il feuilleta un magazine posé sur la table basse.
Le temps passa, mais aussi son envie détrangler lauteur de ces inepties.
De la publicité, encore de la publicité. Et entre deux pages, des articles ridicules : comment se marier riche, mincir en trois jours, séduire un homme et même comment préparer « laire de jeu » des ébats amoureux.
Pas question de démonter le lit, bien sûr, mais de sadonner aux préliminaires. La *prélude damour*, comme ils disaient. Un délire complet.
Lauteur expliquait sérieusement comment lancer des regards enflammés, effleurer une main, une cuisse Il déblatérait sur les parfums dambiance, les pétales de rose, les bougies romantiques. Comme si lamour se résumait à un conte de fées.
Dix ans de mariage avaient appris à Grégoire une toute autre vérité.
La réalité, ce nétait pas ça. Quatre-vingt-dix pour cent des femmes rentraient chez elles en pensant : *« Il faut préparer le dîner, faire la lessive, vérifier les devoirs, repasser »* Des pétales de rose ? Allons donc.
Si tu veux de la romance, commence par faire la vaisselle et aide avec les devoirs. Aucune prélude ne vaut ce geste-là.
Pas besoin de parfums ni de bougies. Et surtout, moins de migraines pour madame. Tiens, justement, la voilà.
*« Je suis prête ! Va payer. On fait un tour au magasin ? »*
Céline rayonnait. Les yeux brillants, le sourire éclatant. Le pouvoir dune manucure. Loccasion idéale pour attiser la flamme.
*« Pas besoin »*, répondit Grégoire en haussant les épaules. *« Jai déjà tout préparé. »*
*« Génial ! Et cest quoi ? »*
*« Pâtes bolognaise »*, dit-il, comme sil sagissait dune évidence.
Une seconde plus tard, cinquante-cinq kilos de bonheur se jetèrent à son cou.
En serrant sa femme contre lui, Grégoire jeta un dernier regard au magazine sur la table et adressa mentalement un doigt dhonneur à son auteur anonyme.
Voilà comment naît une étincelle damour. Et nul doute que le soir venu, cette étincelle deviendrait flamme.
Bien loin des pétales et des bougies.
Ça, cétait une vraie prélude.
