Un millionnaire réticent traînait des pieds pour rentrer chez lui auprès de sa femme mourante. Et c’est alors qu’un petit garçon sans-abri lui a nettoyé ses chaussures…

**Journal intime 15 février**

Le millionnaire traînait des pieds en rentrant chez lui, vers sa femme qui séteignait. Cest alors quun petit garçon des rues lui essuya ses chaussures.
« Vous les faites cirer, monsieur ? » Une voix grinçante, comme un violon désaccordé, surgie de nulle part. Courbé sous le poids de mon manteau, et de ma propre existence, je faillis trébucher.
« Quoi ? » fis-je, agacé, sans même le regarder, comme on chasse un moineau importun des quais de la Seine.
« Vos chaussures Je les cire ? Pas cher, monsieur. Juste un peu. »

Je me figeai. Sous mes pieds, la neige sale craquait ni hiver ni printemps, juste cette boue parisienne, cet air humide de fumée et de mélancolie. Lenfant était maigre comme un clou, les yeux noirs comme du charbon, avec une lueur dambre. Sa casquette de travers, des godillots trop grands, des mains agiles comme celles dun petit animal. Et soudain non, je ne me suis souvenu de rien. Mon enfance ? Emballée dans des papiers de bonbons suisses. Lui, peut-être, navait jamais goûté au chocolat.

« Pas besoin », dis-je en détournant le regard. Dans la vitrine, une silhouette floue un masque, pas un visage.
« Sil vous plaît, monsieur ! » renifla-t-il, sortant un chiffon graisseux.
« Daccord », soupirai-je, plus pour quil me lâche que par pitié. « Mais vite. »

Il sagenouilla devant un café chic, comme sil savait que je navais nulle part où aller. Ses ongles cassés, la crasse incrustée Pour la première fois depuis des années, jai ressenti de la honte.
« Merci, monsieur » murmura-t-il en tremblant. « Maman est malade Jachèterai du pain. »

Ma gorge se serra. Derrière la vitre, des rires, de la lumière, des plats fumants. Ce bonheur-là me transperçait.
« Arrête » Jallais dire « de mentir », mais les mots restèrent coincés. Qui étais-je pour juger ?

« Fini » Il tapota mes chaussures. « Belles comme neuves ! Mais on voit que vous êtes triste. »
« Comment ça ? » ricanais-je, forcé.
« Ça se voit », haussa-t-il les épaules. « Ceux qui ont des chaussures sales courent quelque part. Vous, non. Vous navez nulle part où aller. »

Je neus pas de réponse. Juste cette impression dêtre un étranger dans un musée.
« Bon » Il partit, puis se retourna : « Noubliez pas votre maman. Même si cest jamais trop tard. »

Et il disparut dans la foule. Moi, je restai là, à contempler mes chaussures propres soudain étrangères. Cinq minutes avec un gamin des rues avaient bouleversé mon monde intérieur. Pendant que le monde extérieur restait glacial.

Je repris ma marche. Lentement. Le vent me giflait. Je ne voulais pas rentrer. Mais je navais nulle part dautre.

**16 février**

Ce matin, un silence étrange. Je me suis réveillé en sursaut. Pas de toux, pas de bruit de cuillère. Rien. Marie était tournée vers le mur, les paupières mi-closes, son regard traversant le vide. Une peur glacée menvahit.

« Tu es vivante ? » chuchotai-je, surpris par la douceur de ma voix.

Elle hocha à peine la tête.

Jai pris sa main, cherchant dans ma mémoire des souvenirs lumineux. Des bribes : nos rires, un voyage en Bretagne, une vieille théière Autrefois, cétait tout un univers. Je voulais désespérément revenir en arrière. Juste un jour. Pour la regarder, boire du thé, lui tenir la main sans me presser.

« Tu te souviens des crayons ? » demanda-t-elle dune voix rauque.
« Quels crayons ? »
« Ceux que tu moffrais chaque année. Tu disais : *Pour que la vie soit plus colorée.* »

Jessayai de sourire. Les larmes coulèrent.

« Et toi, tu te souviens de ton rire ? » demandai-je, comme pour le faire renaître.

Marie esquissa un sourire et ferma les yeux.

**20 février**

Je suis allé sur la place où traînait le garçon. Il était encore plus maigre, sa casquette remplacée par un chiffon.

« Tu veux un chocolat chaud ? »

Il hocha la tête, grelottant.

Nous nous sommes assis sur un banc. Je lui ai versé du chocolat dun thermos.

« Comment tu tappelles ? »
« Lucas. »

Il dévorait une brioche, me regardant avec une confiance fragile.

« Tes gentil. »
« Non, Lucas. Je ne le suis pas. »
« Les méchants noffrent pas de chocolat. Les méchants oublient les visages. »

Un frisson me parcourut. Jétais, moi aussi, rempli de cette faim invisible.

« Où dors-tu ? »
« Dans une cave. Mais on me chasse. »
« Viens chez moi. »
« Tu vas me laisser tomber. Les adultes, cest toujours pareil. »

Je baissai les yeux.

« Je ne promets pas dêtre parfait. Mais ce soir, tu peux dormir au chaud. »

Il me fixa longtemps.

« Daccord. »

Ce soir-là, pour la première fois depuis des années, lodeur du pain frais a empli ma cuisine. Une soupe, du fromage, du pain grillé. Rien dextraordinaire. Mais Lucas mangeait comme sil se souvenait de quelque chose de perdu.

Je compris alors : ni largent, ni le succès ne guérissent la solitude. Javais été présent physiquement, mais absent. Ce soir, pour la première fois, jétais simplement *là*. Pour Marie. Pour Lucas. Pour moi.

**25 février**

Marie est partie doucement, comme une ombre. Sans reproches. Un matin, je me suis réveillé. Lair manquait. Je tenais sa main froide, englouti par le vide. Pas de larmes. Juste du silence.

Lucas était là, dans lentrée.

« Je peux partir si tu veux »

Je massis près de lui, posant mon front sur ses genoux. Pour la première fois, jai voulu quon me plaigne pas comme un riche, mais comme un homme seul.

« Reste Jai besoin de lumière. »

Nous sommes allés au cimetière. Jai apporté des fleurs. Jai murmuré à Marie :

« Tout va bien. On apprend petit à petit. »

La maison a changé. Des rires, des crêpes brûlées, de la musique ancienne. Lucas dessinait des têtes rigolotes quil glissait sous mon assiette.

Un soir, sous la neige, il a demandé :

« On peut faire comme si tétais mon père ? Pas obligé Juste être ensemble ? »

Je lai serré contre moi. Cétait ça, le pardon. Pas envers Marie, ni envers lui. Envers moi-même.

Mes chaussures sont usées maintenant. Je ne suis plus lhomme que je voyais dans les vitrines froid, distant. Jai une maison, et un garçon qui avait besoin dêtre aimé.

Je ne suis plus millionnaire. Jai tout donné. Il ne reste que la mémoire. Et chaque soir, je regarde le ciel et je me demande : est-il trop tard ? La réponse est toujours non. Tant que quelquun respire près de toi

Оцените статью
Un millionnaire réticent traînait des pieds pour rentrer chez lui auprès de sa femme mourante. Et c’est alors qu’un petit garçon sans-abri lui a nettoyé ses chaussures…
Maman les a placés en foyer juste après le Nouvel An…