Le premier jour de l’été commença pour le petit Théo, six ans, par une attente interminable. Son grand-père Louis avait décidé de l’emmener passer l’été à la miellerie, dont son père lui avait tant parlé ! Sa mère, d’abord hésitante, avait finalement accepté, mais pas pour tout l’été seulement jusqu’à août. À la rentrée, Théo entrerait en CP, et ses parents viendraient le chercher dans ce coin perdu des Cévennes.
Grand-père Louis arriva au petit matin dans sa vieille Renault, les bras chargés de friandises forestières, mais Théo ny jeta même pas un regard. Il tournait autour de son grand-père, tirant sans cesse sur sa manche et pressant le départ comme si, dun instant à lautre, sa mère allait changer davis. Amusé, le vieil homme lui ébouriffa les cheveux :
« Ne tinquiète pas, mon petit, cest décidé ! Mange plutôt un morceau, nous déjeunerons à la miellerie. »
Enfin, les bagages furent chargés, et ils partirent ! Pour la première fois, Théo se retrouvait sans la surveillance de ses parents. Mais avec son grand-père, cétait différent. Grand-père Louis était un ami. Jamais il ne lui faisait la morale, ne le grondait. Avec lui, on pouvait parler de tout sérieusement, sans jamais se sentir infantilisé.
En route, Théo sendormit, honteusement. Il se réveilla seulement lorsque la voiture se mit à cahoter sur le chemin de terre ils avaient quitté la route nationale. Par la fenêtre défilait une forêt de bouleaux, si proche ! Et cette odeur Jamais il navait senti cela en ville ! Les champs, parsemés de fleurs bleues, jaunes, blanches, semblaient onduler sous la brise, comme une mer que leur voiture fendait.
« On arrive bientôt, papi ? » demanda Théo en lui touchant lépaule, feignant de ne pas avoir dormi.
« Bientôt. Derrière ce bois, cest la miellerie. Marcel doit nous attendre. Et Mistigri aussi, avec son petit. »
« Mistigri, cest la maman du chaton ? » devina Théo. « Elle me laissera jouer avec lui ? »
« Si tu la respectes, et si tu aimes son petit, bien sûr. Mais si vous faites les fous, elle vous corrigera elle est bien plus sévère que ta mère. »
« Moi ? Par une chatte ? » sétonna Théo. Jamais un chat navait osé lui manquer de respect !
« Pas nimporte quelle chatte. Ne la regarde pas trop dans les yeux, elle est douce, mais cest une bête sauvage qui protège son petit. »
Enfin, ils arrivèrent. Théo découvrit deux maisons en rondins une grande, une petite. De la plus petite sortit un lynx !
Théo eut un mouvement de frayeur, mais voyant la bête se frotter contre les jambes de son grand-père, il se rassura.
« Quelle chatte ! » sexclama-t-il. Mistigri sapprocha, le renifla, puis cligna des yeux et se frotta contre lui. Quand il saccroupit, elle lui donna un coup de nez mouillé. Il éclata de rire.
« Vous voilà amis, sourit grand-père. Pour elle, tu fais partie de la famille maintenant. »
Les abeilles rayées volaient en tous sens bien plus grosses que celles de la ville. Lune se posa sur sa joue. Et là, le malheur arriva. Nentendant pas lavertissement de son grand-père, Théo lécrasa. La douleur fut si vive quil en grimaça, chancelant. Grand-père Louis retira le dard et lui tapota lépaule :
« Tu es un vrai petit homme ! Pas un cri. Cest une abeille elle ne pique que pour se défendre. »
« Enchanté, » dit un vieil homme barbu aux yeux rieurs en lui serrant la main. « Moi, cest grand-père Marcel. Toi, tu dois être Théo ? »
« Ouais, » fit Théo. « Je vais vivre avec vous maintenant. »
« Sois le bienvenu ! »
« Grand-père Marcel, une abeille est sur ton front, » prévint Théo.
Le vieil homme la prisa délicatement, murmura quelque chose, et la libéra. Elle fit un cercle avant de disparaître. Incroyable !
En une semaine, Théo apprit à éviter les piqûres, et surtout, se lia damitié avec le petit de Mistigri, quil baptisa Minet. Ils jouaient sans cesse. Mistigri grognait parfois, mais tolérait leur amitié. Minet avait trois mois, mais bientôt, il serait aussi grand que sa mère ! Ils couraient, faisaient la course dans les bois. Minet gagnait toujours à cache-cache Théo ne pouvait jamais le trouver.
Avec les hommes, cétait différent. Quand labeille lavait piqué, personne ne lavait dorloté. Grand-père Louis avait juste retiré le dard, et grand-père Marcel avait dit : « Ça arrive. » Rien de plus. Théo se sentit adulte.
Il apprit à se lever tôt, à se laver à leau froide, à pêcher. On lui donna même un couteau pour écailler les poissons.
Un jour, grand-père Marcel rapporta un faon blessé. Théo le caressa pendant que les hommes soignaient sa patte. Ils lui firent un enclos, mais un mois plus tard, sa mère revint le chercher.
Grand-père Louis lemmena cueillir des fraises des bois, des cerises sauvages, des framboises. Il apprit à distinguer les champignons comestibles. Une fois, Théo le vit parler à un loup un animal quils avaient libéré dun piège.
« Pourquoi ne vit-il pas avec vous ? » demanda Théo.
« Un loup est libre. On peut être amis, mais on ne prive pas un animal de sa liberté. »
Ces mots troublèrent Théo, qui voulait emmener Minet en ville.
Puis un matin, Minet et Mistigri disparurent. Grand-père Marcel comprit son chagrin :
« Mistigri lemmène de plus en plus loin. Elle lui apprend à survivre. Bientôt, ils partiront pour de bon. Mais il sera fort. »
En août, ses parents arrivèrent. Sa mère fut stupéfaite Théo avait grandi, muri. Il la protégeait maintenant, comme les hommes.
Mistigri, qui connaissait son père, se frotta contre sa mère et posa une patte sur son ventre.
« Elle a deviné ? » murmura la mère, rougissante.
« Mistigri ne devine pas, » répondit le père en riant. « Elle sait. »
Au départ, Minet et Mistigri ne répondirent pas à ses appels. Mais alors que la voiture séloignait, Théo les vit courir sur le chemin. Il supplia son père de sarrêter.
Minet posa ses pattes sur ses épaules, Mistigri le lécha. « Vous ne mavez pas oublié ! » sanglota Théo.
Puis, dun coup sec, Mistigri rappela Minet. Ils disparurent dans les bois.
Dans la voiture, même les parents avaient les larmes aux yeux.
« Papa, lété prochain, je reviens, » dit Théo dune voix ferme.
« Bien sûr, mon fils. Tu as encore beaucoup à apprendre deux. »
Et Théo comprit que certaines amitiés ne soublient pas, même si elles doivent un jour prendre leur liberté.







