Cher journal,
Ce matin, en chemin du sanctuaire perché sur les hauteurs de la Vanoise, mon corps a failli mabandonner. Mes jambes fléchissaient, une brume sinstalla dans mes yeux. Il fallait encore gravir le sentier étroit, mais je navais plus la force. Jai quitté le sentier, me suis assise, puis je me suis allongée sur lherbe humide. Ma compagne, Mireille, a glissé son sac à dos sous ma tête comme un petit abri. Des randonneurs passaient, jetant un regard curieux sur moi, puis continuaient, paisibles, vers lancienne chapelle.
Quelquun ma offert un comprimé. Jai entrouvert la bouche, lai placé sous ma langue sans même connaître son nom. Cela ma un peu soulagée. Mais lidée de poursuivre la montée me déplaisait déjà. Mireille et moi avons redescendu jusquà la petite rivière de montagne, puis nous sommes retournées à notre hôtel à Annecy. Sans même me changer, je me suis glissée dans mon lit.
Un sentiment de tristesse et dincompréhension menvahissait. « Pourquoi le Seigneur ne matil pas laissé franchir les portes du sanctuaire? A-til bloqué le chemin, me disant : «Éloignetoi, Olympe, que les âmes pures entrent. Toi, pécheresse, reste ici et réfléchis à ta vie» ?
« Olympe, on se prépare un thé, daccord? » a proposé Mireille, le regard empreint de sollicitude.
« Merci, ma chère, mais pas maintenant. Plus tard. » Jai fermé les yeux, laissant échapper un soupir.
Je me suis surprise à penser à Mireille, à ses amours éphémères, à ses mariages qui ne durent jamais, à ses enfants inexistants. Elle ne saitelle pas où placer ses rêves? Elle finit toujours par se rendre au sanctuaire, craignant lenfer, comme nous tous qui aspirons au paradis, désirant brûler de passion avant de se repentir à la fin de nos jours. Le temps file, et lon ne sen rend même pas compte.
Mireille est une amie précieuse, toujours présente, indomptable dans ses élans, parfois un brin vaniteuse. On ne peut la contenir. Pourtant, parfois son oreiller est trempé de larmes, accumulées pendant quarantequatre ans, sans jamais atteindre le rivage. Tout oscille comme les vagues, se débat.
Je désire un amour terrestre, ardent, qui consume jusquà la cendre. Ma sœur, le destin me blâme sans cesse: « Un seul mari, deux enfants, des proches envahissants, la cuisine qui tourne en boucle quelle vie monotone! »
« Regarde autour de toi, Olympe, les hommes tourbillonnent. Goûte lamour, même si tu sais que tu reviendras toujours à ton Laurent. Il tacceptera telle que tu es, mais tu verras la flamme, le feu. »
Jen ai assez de menliser dans mon marasme conjugal. Laissetoi aller, ma chère! Tu ne le regretteras pas.
Je nai plus aucune envie de ces passions. En vérité, je nen veux plus du tout. Jai connu Julien. Je laimais à en perdre la raison. Le destin la placé sur ma route, deux années de romance secrète. Mon mari lavait soupçonné, mais était resté muet. Jai envisagé de le quitter, mais le charme du paramour ma paralysée. Les rencontres étaient des tremblements, des frissons, des spasmes du cœur que je ne saurais décrire.
Finalement, je suis revenue à la maison, le cœur lourd. Parfois je me demande pourquoi, car avec Julien, le bonheur était petit mais infini.
Laurent les sentiments se sont dissipés depuis longtemps, mais ils furent intenses, me coupant le souffle. Tout ce qui reste, cest la pitié et la responsabilité. Cest moi qui ai dilapidé mon amour, mon époux, ne men veux pas.
Je meublai mes souvenirs dune confusion profonde. Je nai jamais parlé de Julien à Mireille, qui croit encore que je suis une sainte. Le sanctuaire ma refusée, comme un jugement silencieux.
Oublier Julien fut difficile. Nous étions deux âmes liées, se comprenant à demimot, à demiregard. Je crains de ne jamais pouvoir leffacer, tant tout était sauvage, tumultueux, avide. Ce narrive quune fois dans une vie.
« Tu veux revivre cela, Olympe? »
« JE VEUX! Ah, mon dieu » murmure une femme de quarantecinq ans.
« Mireille, sersmoi du thé, » dis-je en riant, en serrant mon amie dans mes bras.
Dans ma tête résonne clairement : « Regarde en toi, petite, lave ton âme. Je taime. Aimetoi. Reviens »







