Enfant de sang

Sébastien, on remet Clémence à lorphelinat!
Tu as perdu la tête? Remettre? sétonne Alexandre, les yeux grands ouverts.
Oui, on la remet! sexclame Jeanne, les boucles tremblantes. On attend bientôt notre bébé, pourquoi garder une autre?

Jeanne! Cest justement pour ça que Dieu veut nous récompenser davoir aidé cette petite orpheline à trouver une famille! Tu as même insisté pour ladopter!
Jétais déjà désespérée de ne jamais avoir denfant! Une famille sans gamin, cest incomplet! saffiche Jeanne.

Clémence, cinq ans, se tient derrière la porte de la chambre des parents, incrédule. «Je ne suis pas leur fille? On veut me renvoyer à lorphelinat?» Des larmes coulent de ses yeux. Elle sétait réjouie à lidée dun petit frère ou dune petite sœur et voilà que, à cause de cet avenir, elle pourrait perdre ses parents.

Sentant lémotion, Alexandre se lève et se dirige vers la porte. Clémence, en pleurs, se dresse devant lui.
Papa, je ne suis pas votre fille? ses grands yeux implorent Alexandre. Bien sûr, mon rayon de soleil! répond-il en la prenant dans ses bras. Bien sûr que tu es notre fille!
Mais vous avez dit que vous vouliez me renvoyer à lorphelinat! Alors je ne suis pas votre fille? insiste la petite, les joues trempées.
Nous tavons accueillie dans notre foyer, mais cela ne veut pas dire que tu nes pas notre fille! Nous taimons très fort! Cest juste maman a des hormones qui semballent à lidée du bébé Viens, je vais te bercer.

Je pars, et vous ne reverrez jamais votre enfant! hurle Jeanne. Je veux une famille normale, sans intrus!
Jeanne, calmonsnous! Nous navons pas dintrus! sefforce Alexandre. Clémence est aussi notre fille!
Je ne lai pas mise au monde! Ce nest pas ma fille! semporte Jeanne. Choisis: moi ou elle!

Alexandre aide Clémence à préparer ses affaires.
Tu vas rester chez grandmère Lydie le temps que maman se calme, ditil. Le bébé arrivera, maman reprendra ses esprits et nous te reprendrons, daccord?

Clémence hoche la tête. Elle accepte tout, pour ne pas retourner à lorphelinat. Elle adore sa grandmère, toujours prête à lui offrir un gâteau ou un biscuit.

Grandmaman, si maman veut me renvoyer à lorphelinat, je peux rester chez vous? demandetelle à la porte. Lydie, les sourcils froncés, regarde son fils. Celuici sourit, un peu perdu: «Les hormones de Jeanne!»
Bien sûr, ma petite princesse! répond Lydie en aidant Clémence à se déshabiller. Mais maman ne tenverra pas loin, cest juste le stress qui la rend nerveuse!

Deux mois passent, et Clémence vit chez Lydie. Alexandre passe de moins en moins souvent, partagé entre son travail à la banque et lhôpital où Jeanne est hospitalisée.

Un matin, pendant que Lydie prépare le petitdéjeuner, Clémence regarde par la fenêtre. Elle voit la voiture dAlexandre et crie de joie:
Papa!
Si tôt? sinterroge Lydie, étonnée; il narrivait jamais avant midi. Sentant le mauvais présage, elle demande à sa petitefille de rester à la cuisine et part accueillir son fils.

Jeanne est décédée cette nuit. Elle a commencé à accoucher et na pas tenu; je nai pas pu sauver le bébé non plus», lâche Alexandre, épuisé, en seffondrant sur le banc du hall.

Ils restent trois, assis autour dune tasse de thé tiède, oubliant les tasses.

Maman, je reprends Clémence. Il est temps quelle revienne à la maison, dit le fils.
Si tu veux, je peux rester ici un moment, propose Lydie, le regard interrogateur.
Merci, maman répond Alexandre.

Clémence admire ses nouveaux nœuds de ruban. Bientôt, elle sera vraiment écolière! Uniforme élégant, cartable coloré attendent leur tour.

Le bruit dune porte qui souvre retentit dans le couloir. Alexandre!
Papa! sélance la fille. Alexandre nest pas seul: à ses côtés se tient une femme petite et mince.
Ma fille, voici Élise, elle va vivre avec nous! sexclame Alexandre dune voix trop joyeuse. Bonjour, Clémence! sourit Élise en lui tendant un bouquet. Pour le premier septembre.

Bonjour! grogne Clémence, ignore le bouquet et file dans sa chambre.

Ne le prends pas mal, dit Alexandre à Élise, elle est vraiment gentille.
Je suis sûre que nous deviendrons amies, répond Élise.

Clémence, en colère, claque la porte de sa chambre.

Alexandre et Élise se marient modestement. Bientôt, il obtient un poste de directeur et disparaît presque tout le temps au travail. Toutes les responsabilités de Clémence retombent sur les épaules fragiles dÉlise. Elle fait tout son possible: aide aux devoirs, assiste aux réunions parentsprofesseurs, emmène la petite au cinéma et au café. Peu à peu, la fillette souvre et accepte sa bellemère. La maison retrouve une douce harmonie.

La fin dannée scolaire est marquée par une nouvelle nouvelle: Élise attend un bébé. Pour Clémence, cest un choc. Elle se renferme dans sa chambre et pleure longtemps. Élise se tient à la porte, suppliant:
Clémence! Ne pleure pas! Je taime! je ne te laisserai jamais partir! Nous serons toujours ensemble! Tu es ma fille chérie!

Vraiment? répond Clémence, le visage mouillé.
Bien sûr! senlace Élise. Tu es ma fille, je ne te livrerai à personne!

Quelques mois plus tard, Clémence tient son petit frère dans les bras, admirant sa petite taille.
Maman! Regarde comme il est mignon! sécrietelle, appelant Élise «Maman». Élise, les yeux brillants de larmes de joie, la serre.

Deux ans passent. Clémence entre en quatrième quand la tragédie frappe: un accident de voiture emporte Alexandre. Clémence et Élise, en mode automatique, soccupent du petit Kévin et se taisent, les larmes retenues. Kévin ne comprend pas, fait des caprices. Un soir, alors que le garçon dort, Élise sapproche de Clémence:
Clém, on ne peut plus continuer comme ça! Il faut vivre. Papa ne reviendra pas, la petite vie continue. On doit arrêter de souffrir, daccord?
Daccord, répondtelle. La mère avait raison: on ne ramènera pas le père.

Alors que la décision est prise, on frappe à la porte. Une grande tante, inspectrice de la protection de lenfance, se présente et exige que Clémence soit renvoyée à lorphelinat, car elle na plus de parents.
Comment? Moi? sindigne Élise. Montrezmoi les papiers dadoption! réclame linspectrice. Aucun document nest trouvé. Voilà! La grandmère est trop vieille pour subvenir à ses besoins, et vous nêtes plus là! Emmenezla, Élise!

Contrairement à Élise, Clémence ne pleure plus. Son vieux cauchemar se réalise: elle se retrouve toute seule.
Je viendrai te chercher! crie Élise, mais Clémence ne croit plus. Qui veut dune orpheline? Avant, le père vivait, elle était aimée. Maintenant, il nest plus, et Élise a son propre enfant.

Élise rend visite à Clémence à lorphelinat, mais la fillette ne répond jamais. Elle voit la femme assise sur un banc, lattendant, sans jamais la rejoindre. Le temps passe, Élise vient de moins en moins souvent, puis disparaît.

Voilà, cest fini! Se dit Clémence, avec un sourire amer.

Deux mois sécoulent.
Clém! La directrice tappelle, crie un garçon du quartier, Vasiliy. «Questce que je lui veux?» sinterroge la fillette. «Je nai rien fait!»
Félicitations, Élise, vous avez été acceptée dans une famille! sexclame la directrice. Ce nest pas vraiment une famille, mais presque!

Je ne veux aucune famille! gémit Clém, amère. Les familles? On verra plus tard, mais maintenant prépare tes affaires et va retrouver tes nouveaux parents!

Clém part, indifférente à ce qui lattend. Au seuil de lorphelienne se tient Élise.
Que faistu ici? demandetelle, détachée.
Je suis venue
Je suis déjà adoptée
Cest moi.
Toi? sétonnetelle, un sourire naît.
Oui, je tai déjà dite que tu es ma fille, je ne te livrerai à personne! Les mères seules ne sont pas toujours acceptées, mais jai prouvé que je pouvais toffrir une vie décente, les potsdevin, tout le reste Alors, nous sommes une vraie famille! Allonsnous à la maison, Kévin tattend!

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