Après cinquante ans, je suis retournée dans ma ville natale. Dans le parc, j’ai croisé un homme qui avait manqué notre rendez-vous et se souvenait encore de la raison.

Je suis revenue, à cinquante ans, dans la petite ville de SaintJeandeLuz où jai grandi. En franchissant le vieux pont qui relie les deux rives, le décor ma paru plus réduit que dans mes souvenirs, mais étrangement familier. Je me suis aventurée le long de lallée du parc de la Mairie, celle que je parcourais chaque aprèsmidi dadolescente.

Je me suis arrêtée sur le même banc de granite où, il y a trenteetun ans, jattendais un garçon qui nest jamais venu. Ce matin de mardi, le soleil se levait dun souffle doux quand je lai vu, un journal sous le bras, la même moustache fine qui le distinguait encore à seize ans. Nos regards se sont croisés et le temps sest figé.

Ce banc, cétait le théâtre de notre première déception. Il était ce jeune homme qui, à dixsept ans, avait brisé mon cœur en ne se présentant pas au rendezvous qui aurait tout changé. Javais attend

u, le cœur battant, pendant une heure, puis deux, puis jai fini par partir, sans un mot, et je nai jamais donné de nouvelles. Lui non plus. Je pensais quil avait oublié, que pour lui ce nétait quun incident sans importance. Mais aujourdhui, en le regardant dans les yeux, je voyais quil se souvenait.

Je suis désolé de ne pas être venu, at-il murmuré avant même que je ne puisse me présenter. Tu ne croiras jamais, mais ma mère a été hospitalisée ce jourlà. Il ny avait pas de téléphone portable, pas de moyen de tavertir.

Nous avons reparlé de cet été perdu, de nos vies qui se sont tissées depuis. Il avait épousé, puis perdu sa femme il y a quelques années, et deux enfants adultes occupaient désormais sa maison. Moi, après un divorce, je vivais avec ma fille aînée, Églantine, installée à Londres. Aucun de nous navait cherché cette conversation, mais une fois engagée, nous ne pouvions plus la couper.

Les jours suivants, nous nous sommes revus chaque matin : un café à la même boulangerie, une glace près de lhôtel de ville, une promenade dans le parc. Rien de grandiose, mais javais limpression de rattraper un morceau de temps brutalement arraché. Il était attentionné, délicat, posait des questions que personne ne mavait posées depuis longtemps. Et moi je retrouvais le sourire qui illuminait mon visage autrefois.

Une semaine plus tard, jai annoncé à Églantine, au téléphone, que « je crois bien être tombée amoureuse ». Elle a dabord cru que je plaisantais, puis a demandé : Mais comment, après tant dannées ?

Je nai pas su quoi répondre. Comment expliquer ce qui se passe quand le cœur, même meurtri, se remet à vibrer ?

Après un mois passé dans cette ville qui était à la fois vieille et renaissante, je me suis demandé si je voulais rester. Jai loué un petit appartement au vieux centre. Il ma aidée à installer les meubles, à changer les ampoules, à raconter des anecdotes dautrefois. Un soir, il est resté dîner, puis a passé la nuit.

Aujourdhui, trois mois se sont écoulés depuis notre première rencontre. Trois mois qui mont rappelé que la vie ne sarrête pas quand les enfants grandissent, quand le mari part, ou quand les cheveux grisonnent. Sommesnous ensemble ? Oui, sans grandes déclarations. Nous partageons simplement le temps, parfois main dans la main, parfois en silence, mais surtout je ne me sens plus seule.

Et ce banc ? Il est toujours là, sous le chêne du parc. Quand nous nous y asseyons, nous rions, en nous disant que lattente de trente ans en valait la peine.

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Après cinquante ans, je suis retournée dans ma ville natale. Dans le parc, j’ai croisé un homme qui avait manqué notre rendez-vous et se souvenait encore de la raison.
Le Sentier Familial