L’Héritage Une femme grande et énergique sortit du compartiment en imposant immédiatement le silence à ceux qui gênaient le repos des voyageurs. Il faut préciser que même les hommes robustes et effrontés lui obéirent au doigt et à l’œil, sans un mot. Ses cheveux blonds étaient tressés en couronne autour de sa tête. Elle avait des yeux d’un bleu éclatant, des joues pleines de santé. Elle jeta un coup d’œil vers les toilettes, d’où surgit alors un homme menu, presque frêle, cheveux blancs comme la neige, au visage attendrissant d’enfant. — Nicolas ! Je t’ai cherché partout ! J’ai entendu du bruit, la contrôleuse n’osait pas s’approcher, je me suis inquiétée pour toi ! Avec ta douceur, on pourrait t’offenser sans raison ! s’exclama la dame. — Oh, Annie ! Mais je peux me défendre, tu sais ! Pourquoi es-tu sortie, Anna ? Tu es une vraie bourgeoise ! répondit l’homme en esquissant un sourire timide avant de rentrer dans le compartiment. La dame nous dévisagea, moi et quelques autres passagers, mais ne vit visiblement aucune menace pour elle ni son compagnon. Et elle disparut. Plus tard, nous nous retrouvâmes dans le wagon-restaurant. Comme il n’y avait plus de place, je m’installai à sa table. Son mari n’était pas là. Après avoir réglé son compte à son assiette de viande et de pommes de terre, la dame déclara d’une voix sonore : — Je m’appelle Anne Andrée. Mais vous pouvez m’appeler Anne. — Vous voyagez seule ? Votre mari va venir ? — Il se repose. Il ne viendra pas. Je lui ai enroulé une écharpe autour du cou, lui ai donné du jus de canneberge. Imaginez, tomber malade en voyage, c’est bien mon Nicolas ! Il est sorti applaudir le paysage en simple pull. J’aurais dû mieux surveiller ! — On dirait que vous l’aimez beaucoup. On vous a vue sortir pour le protéger quand il y avait du tumulte. Vous parlez de lui avec tant de tendresse ! hasardai-je rêveusement. — Oh, mais Nicolas m’est revenu en héritage, vous comprenez ? Ce n’était pas mon époux. Même si aujourd’hui, nous vivons ensemble. Il se remet, la première épouse est partie récemment vers un monde meilleur… Une sainte femme, bonne comme tout ! soupira Anne. — En héritage ? répétais-je, intriguée. Et Anne raconta… Nicolas avait vécu avec Lydie. Ils étaient amis depuis le lycée, études à la fac, puis mariage. Un homme ingénieux, inventif, talentueux. Toujours sollicité professionnellement, la vie facile matériellement. Mais dans le quotidien, Nicolas était un vrai doux rêveur, incapable de se débrouiller en société. Il pouvait oublier sa monnaie à la caisse, traverser n’importe où, ne savait pas comment on fait les choses, presque enfantin dans sa naïveté, il aurait donné de l’argent à un inconnu. — Ton mari n’est pas de ce monde, plaisantaient les amis de Lydie. On a l’impression qu’il est tombé sur terre par mégarde ! Nous, on n’arrive à rien, et lui, il attire l’argent sans effort ! Lydie ne s’en plaignait guère. Elle avait assez d’énergie et de sens pratique pour deux. Elle habillait elle-même son mari pour le travail, vérifiait ses gants, son écharpe, a fini par acheter une voiture pour l’accompagner, car un jour, il avait donné une fausse adresse au taxi sans s’en rendre compte. Ils se complétaient à merveille. Mais le jour où Lydie dut être hospitalisée une semaine, à son retour, elle découvrit que Nicolas avait grignoté des nouilles sèches et bu de l’eau, sans même allumer la bouilloire, tout ce qu’elle avait laissé au congélateur était encore là. — Sans toi, rien n’a de goût ! répondit Nicolas, tout sourire. Leur fils, André, lui ressemblait en tout point : très intelligent, mais d’une extrême discrétion, distrait aussi… On vantait le cerveau d’André, mais il choisit une épouse timide, Hélène, du village. Lydie restait le pilier de la famille, surtout après la naissance de leur petit-fils, Alexis. Pourtant, un malheur s’abattit, Lydie tomba gravement malade. La maison sombra dans la tristesse. Nicolas, perdu, ne savait plus quoi faire. Il consulta les meilleurs médecins, prêt à tout payer. Mais il ne pouvait rien contre ce mal. Le cœur de Lydie saignait, non pas pour elle-même, mais pour son mari et son fils, impuissants. Comment survivraient-ils sans elle ? C’est alors qu’Anne fit son apparition. Elle travaillait comme aide-soignante et était parente éloignée du médecin traitant. La première fois qu’Anne entra, elle fut accueillie par ce monsieur délicat, digne d’un vicomte, parlant si bas qu’elle peinait à entendre. L’appartement était dévasté, buffet de linge sale, vaisselle non faite — bien que le lave-vaisselle fût là — et atmosphère oppressante. Dans la chambre, sur le lit, Lydie, faible et émaciée, sourit à Anne qui retroussa ses manches. Le soir venu, tout brillait de propreté, la cuisine embaumait la fricassée, la tarte, le poulet rôti. Lydie, rafraîchie, s’endormit dans des draps propres. Nicolas, prêt à sortir par distraction mal vêtu, fut arrêté par la voix tonitruante d’Anne : — Minute, monsieur ! Vous n’allez quand même pas sortir habillé pour l’été en plein hiver ? Votre femme a besoin que vous restiez en forme ! Voilà la veste, l’écharpe, couvrez vos oreilles, et hop, allez ! Dans la chambre, Lydie, émue, avait les larmes aux yeux. Quel tintamarre ! Mais au moins, il y a de l’ordre, de la vie, une belle personne ! — Merci, Seigneur, maintenant ils sont entre de bonnes mains, chuchota-t-elle. Sentant sa fin venir, Lydie s’entretint avec Anne, l’air de rien, sur sa vie, où elle habitait. Anne, 45 ans, célibataire, vivait chez sa mère et sa sœur, dans un petit appartement, beaucoup de monde, elle préférait travailler que rester dans cet univers encombré. Les histoires d’amour étaient restées inachevées… Mais elle n’en souffrait pas. C’est alors que Lydie proposa : — Anne, prends soin de lui quand je ne serai plus là. Je te laisse mon mari en héritage ! Pour l’amour du ciel, veille au moins sur lui, il fait confiance à tout le monde ! Anne, interloquée, finit par promettre d’essayer… Après la disparition de Lydie, Anne pensa d’abord s’éloigner, de peur qu’on la soupçonne d’avoir profité de la situation. Mais elle se sentait liée par sa promesse, passa voir Nicolas. Il était prostré dans la chambre, étreignant la robe de chambre de sa femme, sanglotant comme un chien abandonné. — Pauvre chéri, Lydie avait raison… Courage, on va boire un thé, il faut tenir bon ! l’encouragea Anne sans hésiter. Peu à peu, le foyer retrouva la vie ; Nicolas guettait son arrivée, s’en réjouissait. — Ensuite, j’ai fini par emménager. Pourquoi laisser cet homme tout seul ? Chez moi, ça a fait de la place, tout le monde était content ! J’ai hérité d’un grand enfant brillant, pas d’un époux. Jamais de problèmes d’argent, il a insisté pour que j’arrête de travailler. Bien sûr, certains persifleurs ont essayé de médire, mais je les ai vite remis à leur place. On ramasse bien les chiens errants, mais une personne en détresse, on la laisse tomber ? Nicolas est comme une tortue retournée sur sa carapace : on ne peut pas le laisser ainsi, il lui fallait de l’aide. Je l’aide tant que je peux. Il est bon, Nicolas. Nous avions besoin l’un de l’autre. Là, nous partons chez son fils, il a besoin d’un coup de main avec son petit ! J’adore ça, je pourrais élever dix enfants si nécessaire ! conclut Anne en riant. À ce moment, la porte du wagon-restaurant s’ouvrit. Nicolas, tout emmitouflé et tenant un bouquet de fleurs des champs, entra. — Pourquoi es-tu debout ? Tu es encore faible ! Ah, il ne faut jamais le laisser seul… Allez, viens, il faut te changer ! Anne s’éloigna avec son précieux héritage vivant sous le bras. Et lui, tout bas : — Annie, j’ai acheté des fleurs pour toi chez les mamies de la gare. Ça te plaît ? Anne rougit de plus belle et posa sa main tendrement sur son épaule. Ils descendirent du train avant moi, elle tirant une énorme valise, lui, un petit sac, elle le tenant fermement par la veste, pour ne pas le perdre dans la foule. Et en les voyant sourire, il était évident qu’elle serait pour lui une seconde femme merveilleuse.

Héritage

Une grande femme énergique sortit du compartiment. En un instant, elle dispersa tous ceux qui dérangeaient la tranquillité des voyageurs. Il faut avouer que même les hommes les plus bruyants et costauds obéirent sur-le-champ, comme à un signal.

Elle avait de longues tresses blondes enroulées en couronne, des yeux bleus pétillants, les joues pleines de santé. Elle jeta un coup dœil vers les toilettes. De là surgit justement un homme fluet, assez petit, aux cheveux blancs comme du coton, avec un visage touchant denfant.

Marcel ! Je croyais tavoir perdu ! Jentends ce vacarme, la contrôleuse nose même pas sapprocher. Je commençais à minquiéter. Tu sais bien quun comme toi, on pourrait te bousculer sans scrupules ! lança la dame.

Oh, Émilienne ! Mais je pourrais leur tenir tête ! Pourquoi es-tu sortie, ma chérie ? Tu es une dame respectable ! répondit lhomme dun air timide, tout en se faufilant dans le compartiment.

Émilienne lança un regard circulaire vers moi et quelques autres passagers qui sennuyaient. Ny voyant aucune menace ni pour elle ni pour son compagnon, elle disparut à son tour.

Plus tard, nous nous retrouvâmes dans la voiture-bar du train. Il ny avait aucune place assise, alors je me glissai à sa table. Son mari était absent. Après avoir dégusté son steak-frites, la dame annonça, dune voix sonore :

Je mappelle Émilienne Delacourt. Vous pouvez mappeler Émilienne.

Vous voyagez seule ? Votre mari va nous rejoindre ?

Il se repose. Il ne viendra pas. Je lui ai enroulé une écharpe autour du cou et lui ai donné du jus de cassis chaud. Imaginez, il a attrapé froid pour le départ ! Il est sorti sur le quai avec juste son pull. Je nai pas surveillé, voilà le résultat ! soupira-t-elle.

Vous devez beaucoup laimer. Je vous ai vue tout à lheure veiller à ce que personne ne lembête. Cest vous qui le protégez, pas linverse Et vous en parlez avec une telle tendresse ! me risquai-je, rêveuse.

Mais voyez-vous, Marcel mest revenu en héritage. Ce nest pas mon mari, pas vraiment. Même si nous vivons ensemble. Il est encore dans la peine. Sa première épouse est partie il n’y a pas si longtemps. Une sainte femme. Si bonne ! confia Émilienne en soupirant.

Comment ça, en héritage ? métonnai-je.

Alors Émilienne raconta.

Marcel avait vécu auparavant avec Marguerite. Ils étaient amis depuis lécole, camarades aussi à luniversité. Ils se sont mariés. Cétait un homme très ingénieux, plein dinventions. Il avait tellement de talent que de nombreuses entreprises lui faisaient des commandes et la famille vivait à laise. Seulement, dans la vie quotidienne, Marcel était complètement perdu : il oubliait la monnaie au supermarché, traversait la rue nimporte où, ne savait ni quoi ni comment acheter Naïf au possible, capable de donner de largent à nimporte quel inconnu.

Ton mari nest pas de ce monde ! On dirait quil sest trompé de planète On peine à gagner notre vie, alors que lui attire largent sans rien faire ! sétonnaient leurs amis.

Mais Marguerite ne se plaignait jamais. Elle avait assez dénergie et de sens pratique pour eux deux. Cétait elle qui habillait Marcel pour le travail, vérifiant sil prenait ses gants, nouait son écharpe. Puis, elle avait acheté une voiture pour lemmener, après quil avait donné une mauvaise adresse au chauffeur de taxi, distrait Marguerite et Marcel se complétaient dune façon étonnante.

Jusquau jour où elle fut hospitalisée une semaine. À son retour, elle découvrit un désastre : Marcel avait grignoté des pâtes sèches, bu de leau du robinet. Il navait même pas branché la bouilloire. Tout ce quelle avait laissé au congélateur traînait encore intact.

Sans toi, je nai plus dappétit ! lui sourit Marcel.

Le fils est né, tout à fait à limage du père : Lucien, aussi brillant, mais très discret et distrait. Son intelligence était appréciée partout. Mais pour épouse, il épousa une demoiselle simple, douce, venue de province : Odile. Marguerite restait la cheffe évidente de la famille. Elle était déjà prête à tout porter sur ses épaules à nouveau, dautant que le petit-fils, Rémi, venait de naître. Mais un malheur tomba. Marguerite tomba gravement malade, clouée au lit.

La maison sombra dans la panique. Marcel ne savait quoi faire : il consulta les meilleurs médecins, prêt à dépenser tout ce quil avait en euros Mais ce mal-là nétait pas soignable.

Ce qui déchirait Marguerite, ce nétait pas pour elle, elle souffrait sans se plaindre. Mais, sans elle, son mari et son fils comment allaient-ils sen sortir ? Comme jeter une orchidée en plein automne au jardin dans lespoir quelle survive, quelle refleurisse !

Marguerite priait, implorant Dieu non pour elle, mais pour quil protège Marcel, Lucien et le petit Rémi. Cest alors quÉmilienne fit son apparition. Cétait une parente éloignée dun des médecins de Marguerite, et elle travaillait comme aide-soignante à domicile.

La première fois quÉmilienne poussa la porte, elle rencontra un homme presque frêle, à lélégance dun vicomte dune autre époque, parlant dune voix si douce quelle devait lécouter attentivement. Tout autour, la maison sombrait dans le désordre et le chagrin : piles de linge sale, vaisselle entassée malgré le lave-vaisselle, une impression de malheur dans lair vicié.

Dans la chambre, sur le lit : une femme affaiblie, très mince, qui, pourtant, adressa un sourire à Émilienne. Cette dernière eut un soupir de pitié et retroussa ses manches.

Le soir-même, lappartement avait totalement changé : tout reluisait de propreté et dair frais. De la cuisine montaient des senteurs merveilleuses de boulettes, tartes et poulet doré. Propre, apaisée, Marguerite sendormit dans des draps frais. Marcel, qui voulait sortir en course, en simple veste de mi-saison (il ne pensait jamais aux vêtements), fut arrêté net par la voix grave :

Arrêtez-vous ! Quest-ce que cest, cher monsieur, de sortir si légèrement vêtu par ce froid ? Ce nest vraiment pas le moment de tomber malade, votre femme a besoin de vous en forme ! Tenez, mettez cette parka, lécharpe, et je vous couvre les oreilles du bonnet. Allez, en avant, et avec bonne humeur ! déclama Émilienne.

Dans la chambre, Marguerite en pleura démotion. Quel chambardement avant, et maintenant, la maison en ordre. Cette Émilienne parle fort, marche comme un éléphant en magasin de porcelaine, mais elle fait tout avec talent et, surtout, quelle belle personne !

Merci, mon Dieu. Maintenant, ils sont entre de bonnes mains murmura-t-elle.

Quand Marguerite se sentit vraiment mal, elle choisit de parler à Émilienne. Elle amena dabord la conversation sur la vie, lhabitation. Émilienne vivait avec sa mère et la famille de sa sœur, dans un petit appartement : deux pièces, à létroit évidemment. Elle essayait de passer plus de temps au travail car il y avait beaucoup de monde chez elle et, dailleurs, elle navait pas les moyens dacheter son propre logement, pas même de louer. Elle annonça son âge sans fard quarante-cinq ans. Jamais mariée, quelques histoires mais rien de sérieux, et cela importait peu, elle vivrait bien sa vie seule.

Alors Marguerite lui proposa :

Émilienne, tu veilleras sur lui quand je ne serai plus là. Je te laisse mon mari en héritage ! Enfin, en quelque sorte Je te le lègue ! Il attrape toujours froid, fait confiance à nimporte qui!

Émilienne en resta sans voix. Mais quand elle voulut refuser, Marguerite insista, raconta, expliqua. Émilienne fronça les sourcils et écouta.

Ne refuse pas ! Au moins, promets-moi de passer voir comment il va ! Je ten supplie, Émilienne, à genoux si je le pouvais murmura Marguerite.

Émilienne promit.

Peu après, Marguerite séteignit. Émilienne pensa : cest absurde, ils vont sûrement jaser, dire quelle sest rapprochée de Marcel pour lappartement Dailleurs, il ne lui plaisait même pas. Ni elle à lui, dailleurs. Quel personnage

Tel un petit soleil.

Pourtant, elle tenait sa promesse, et décida un jour daller voir. Elle frappa, pas de réponse. La porte céda, pas fermée. Au fond, dans la chambre, là où Marguerite gisait autrefois, Marcel était assis sur le parquet, tenant la robe de chambre de sa femme, quil serrait contre lui, abîmé dans une plainte déchirante, comme un chien abandonné.

Émilienne sapprocha. Il saccrocha à sa main, fondit en larmes.

Te voilà, pauvre âme Marguerite avait raison : tu nes pas bien. On va boire un thé, tu vas voir, tout va aller mieux, mon petit bonhomme… saffaira Émilienne.

Elle savéra dune extrême bonté.

La maison retrouva sa vie. Marcel attendait Émilienne à la porte à chaque visite. Il en était ravi.

Jai décidé de venir vivre avec lui. Pourquoi le laisser seul ? Les miens étaient contents, plus de place chez eux. Jai, en somme, recueilli un grand enfant, pas un mari. Mais quel cerveau ! Aucun souci dargent. Marcel ma demandé de ne plus travailler ; avant jétais aide-ménagère dans plusieurs familles. Les gens ont bien tenté de jaser, mais je les ai vite calmés. Après tout, certains recueillent chiens et chats errants, nest-ce pas ? Eh bien, une personne aussi peut être fragile et abandonnée. Comme une tortue renversée sur sa carapace à qui lon lance : « Avance ! » Comment peut-il sen sortir ? Je laiderai autant que possible. Marcel est doux, gentil. Finalement, nous avons besoin lun de lautre ! Nous partons voir son fils. Il a besoin daide avec le petit ! Et moi, ça me fait plaisir. Si je devais en élever dix autres, je le ferais ! me conta Émilienne, pleine dentrain.

À ce moment, la porte du wagon-restaurant souvrit. Marcel entra, serrant un bouquet de fleurs des champs, la longue écharpe autour du cou.

Pourquoi tes-tu levé, voyons ? Tu es encore faible ! Je ne peux vraiment pas te laisser seul Tu transpires, il faut te changer ! gronda affectueusement Émilienne, quittant la salle main dans la main avec son vivant héritage.

Lui lui murmurait déjà :

Émilienne ! Jai acheté des fleurs chez les grand-mères de la gare, pour toi ! Elles te plaisent ?

Émilienne vira encore plus rouge. Et, comme lui, lui mit la main sur lépaule avec douceur.

Ils descendirent du train plus tôt que les autres. Émilienne traînait une grosse valise, Marcel une petite besace. Elle le tenait fermement par le col de la parka, suivie du flot de voyageurs, comme pour quil ne se perde pas. Et ils souriaient, lun et lautre, tels deux soleils. On comprenait alors oui, elle sera, sans aucun doute, une merveilleuse seconde épouse pour lui !

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L’Héritage Une femme grande et énergique sortit du compartiment en imposant immédiatement le silence à ceux qui gênaient le repos des voyageurs. Il faut préciser que même les hommes robustes et effrontés lui obéirent au doigt et à l’œil, sans un mot. Ses cheveux blonds étaient tressés en couronne autour de sa tête. Elle avait des yeux d’un bleu éclatant, des joues pleines de santé. Elle jeta un coup d’œil vers les toilettes, d’où surgit alors un homme menu, presque frêle, cheveux blancs comme la neige, au visage attendrissant d’enfant. — Nicolas ! Je t’ai cherché partout ! J’ai entendu du bruit, la contrôleuse n’osait pas s’approcher, je me suis inquiétée pour toi ! Avec ta douceur, on pourrait t’offenser sans raison ! s’exclama la dame. — Oh, Annie ! Mais je peux me défendre, tu sais ! Pourquoi es-tu sortie, Anna ? Tu es une vraie bourgeoise ! répondit l’homme en esquissant un sourire timide avant de rentrer dans le compartiment. La dame nous dévisagea, moi et quelques autres passagers, mais ne vit visiblement aucune menace pour elle ni son compagnon. Et elle disparut. Plus tard, nous nous retrouvâmes dans le wagon-restaurant. Comme il n’y avait plus de place, je m’installai à sa table. Son mari n’était pas là. Après avoir réglé son compte à son assiette de viande et de pommes de terre, la dame déclara d’une voix sonore : — Je m’appelle Anne Andrée. Mais vous pouvez m’appeler Anne. — Vous voyagez seule ? Votre mari va venir ? — Il se repose. Il ne viendra pas. Je lui ai enroulé une écharpe autour du cou, lui ai donné du jus de canneberge. Imaginez, tomber malade en voyage, c’est bien mon Nicolas ! Il est sorti applaudir le paysage en simple pull. J’aurais dû mieux surveiller ! — On dirait que vous l’aimez beaucoup. On vous a vue sortir pour le protéger quand il y avait du tumulte. Vous parlez de lui avec tant de tendresse ! hasardai-je rêveusement. — Oh, mais Nicolas m’est revenu en héritage, vous comprenez ? Ce n’était pas mon époux. Même si aujourd’hui, nous vivons ensemble. Il se remet, la première épouse est partie récemment vers un monde meilleur… Une sainte femme, bonne comme tout ! soupira Anne. — En héritage ? répétais-je, intriguée. Et Anne raconta… Nicolas avait vécu avec Lydie. Ils étaient amis depuis le lycée, études à la fac, puis mariage. Un homme ingénieux, inventif, talentueux. Toujours sollicité professionnellement, la vie facile matériellement. Mais dans le quotidien, Nicolas était un vrai doux rêveur, incapable de se débrouiller en société. Il pouvait oublier sa monnaie à la caisse, traverser n’importe où, ne savait pas comment on fait les choses, presque enfantin dans sa naïveté, il aurait donné de l’argent à un inconnu. — Ton mari n’est pas de ce monde, plaisantaient les amis de Lydie. On a l’impression qu’il est tombé sur terre par mégarde ! Nous, on n’arrive à rien, et lui, il attire l’argent sans effort ! Lydie ne s’en plaignait guère. Elle avait assez d’énergie et de sens pratique pour deux. Elle habillait elle-même son mari pour le travail, vérifiait ses gants, son écharpe, a fini par acheter une voiture pour l’accompagner, car un jour, il avait donné une fausse adresse au taxi sans s’en rendre compte. Ils se complétaient à merveille. Mais le jour où Lydie dut être hospitalisée une semaine, à son retour, elle découvrit que Nicolas avait grignoté des nouilles sèches et bu de l’eau, sans même allumer la bouilloire, tout ce qu’elle avait laissé au congélateur était encore là. — Sans toi, rien n’a de goût ! répondit Nicolas, tout sourire. Leur fils, André, lui ressemblait en tout point : très intelligent, mais d’une extrême discrétion, distrait aussi… On vantait le cerveau d’André, mais il choisit une épouse timide, Hélène, du village. Lydie restait le pilier de la famille, surtout après la naissance de leur petit-fils, Alexis. Pourtant, un malheur s’abattit, Lydie tomba gravement malade. La maison sombra dans la tristesse. Nicolas, perdu, ne savait plus quoi faire. Il consulta les meilleurs médecins, prêt à tout payer. Mais il ne pouvait rien contre ce mal. Le cœur de Lydie saignait, non pas pour elle-même, mais pour son mari et son fils, impuissants. Comment survivraient-ils sans elle ? C’est alors qu’Anne fit son apparition. Elle travaillait comme aide-soignante et était parente éloignée du médecin traitant. La première fois qu’Anne entra, elle fut accueillie par ce monsieur délicat, digne d’un vicomte, parlant si bas qu’elle peinait à entendre. L’appartement était dévasté, buffet de linge sale, vaisselle non faite — bien que le lave-vaisselle fût là — et atmosphère oppressante. Dans la chambre, sur le lit, Lydie, faible et émaciée, sourit à Anne qui retroussa ses manches. Le soir venu, tout brillait de propreté, la cuisine embaumait la fricassée, la tarte, le poulet rôti. Lydie, rafraîchie, s’endormit dans des draps propres. Nicolas, prêt à sortir par distraction mal vêtu, fut arrêté par la voix tonitruante d’Anne : — Minute, monsieur ! Vous n’allez quand même pas sortir habillé pour l’été en plein hiver ? Votre femme a besoin que vous restiez en forme ! Voilà la veste, l’écharpe, couvrez vos oreilles, et hop, allez ! Dans la chambre, Lydie, émue, avait les larmes aux yeux. Quel tintamarre ! Mais au moins, il y a de l’ordre, de la vie, une belle personne ! — Merci, Seigneur, maintenant ils sont entre de bonnes mains, chuchota-t-elle. Sentant sa fin venir, Lydie s’entretint avec Anne, l’air de rien, sur sa vie, où elle habitait. Anne, 45 ans, célibataire, vivait chez sa mère et sa sœur, dans un petit appartement, beaucoup de monde, elle préférait travailler que rester dans cet univers encombré. Les histoires d’amour étaient restées inachevées… Mais elle n’en souffrait pas. C’est alors que Lydie proposa : — Anne, prends soin de lui quand je ne serai plus là. Je te laisse mon mari en héritage ! Pour l’amour du ciel, veille au moins sur lui, il fait confiance à tout le monde ! Anne, interloquée, finit par promettre d’essayer… Après la disparition de Lydie, Anne pensa d’abord s’éloigner, de peur qu’on la soupçonne d’avoir profité de la situation. Mais elle se sentait liée par sa promesse, passa voir Nicolas. Il était prostré dans la chambre, étreignant la robe de chambre de sa femme, sanglotant comme un chien abandonné. — Pauvre chéri, Lydie avait raison… Courage, on va boire un thé, il faut tenir bon ! l’encouragea Anne sans hésiter. Peu à peu, le foyer retrouva la vie ; Nicolas guettait son arrivée, s’en réjouissait. — Ensuite, j’ai fini par emménager. Pourquoi laisser cet homme tout seul ? Chez moi, ça a fait de la place, tout le monde était content ! J’ai hérité d’un grand enfant brillant, pas d’un époux. Jamais de problèmes d’argent, il a insisté pour que j’arrête de travailler. Bien sûr, certains persifleurs ont essayé de médire, mais je les ai vite remis à leur place. On ramasse bien les chiens errants, mais une personne en détresse, on la laisse tomber ? Nicolas est comme une tortue retournée sur sa carapace : on ne peut pas le laisser ainsi, il lui fallait de l’aide. Je l’aide tant que je peux. Il est bon, Nicolas. Nous avions besoin l’un de l’autre. Là, nous partons chez son fils, il a besoin d’un coup de main avec son petit ! J’adore ça, je pourrais élever dix enfants si nécessaire ! conclut Anne en riant. À ce moment, la porte du wagon-restaurant s’ouvrit. Nicolas, tout emmitouflé et tenant un bouquet de fleurs des champs, entra. — Pourquoi es-tu debout ? Tu es encore faible ! Ah, il ne faut jamais le laisser seul… Allez, viens, il faut te changer ! Anne s’éloigna avec son précieux héritage vivant sous le bras. Et lui, tout bas : — Annie, j’ai acheté des fleurs pour toi chez les mamies de la gare. Ça te plaît ? Anne rougit de plus belle et posa sa main tendrement sur son épaule. Ils descendirent du train avant moi, elle tirant une énorme valise, lui, un petit sac, elle le tenant fermement par la veste, pour ne pas le perdre dans la foule. Et en les voyant sourire, il était évident qu’elle serait pour lui une seconde femme merveilleuse.
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