Le frère de mon mari a exigé que je libère une chambre pour sa nouvelle conquête — j’ai mis tout le monde dehors, et j’ai posé mes conditions à mon mari

Enfin, Maëlys, tu comprends bien, cest la jeunesse grogna Ludovic en sétalant contre le dossier de la chaise de cuisine, tournant une petite cuillère entre ses doigts avec nonchalance. Camille et moi, on a décidé demménager ensemble. Ça suffit de se cacher dans tous les coins, il serait temps de vivre comme des adultes. Votre appartement fait bien quatre pièces, cest vaste, non ? Et puis, le bureau au fond, que tutilises à peine il ne sert quasiment jamais.

Maëlys resta suspendue dans le geste, la serviette humide entre les mains. Elle se demanda si elle rêvait ou si le bourdonnement de la pluie printanière dehors, le parfum trouble du pot-au-feu qui flottait dans lair, tout cela lui montait à la tête. À la table, quelque chose dirrationnel prenait forme, saupoudré dune irrésistible sensation dirréalité. Elle glissa un regard lent vers son mari. Guillaume se tenait face à son frère, lair absorbé à racler dans son bol, comme si un carré de pommes de terre cachait tous les secrets du monde. Il semblait coupable, mais déterminé.

Ludovic, Maëlys tenta de garder sa voix calme, malgré la colère sourde qui gonflait dans son ventre , ça fait déjà quatre mois que tu vis chez nous. Au départ, tu étais censé rester deux semaines, le temps de trouver un boulot et un logement. Le boulot, on lattend toujours Et maintenant tu veux aussi ramener une copine ?

Texagères ! fit Ludovic, grimaçant comme si le mot le piquait. « Trouvé, pas trouvé » Je me cherche, cest tout. Jvais quand même pas aller porter des cartons au supermarché, jsuis un hypersensible, moi. Et puis Camille, cest pas une fille comme les autres, elle. Elle traverse une mauvaise passe avec sa mère Je vais pas lemmener dormir à la gare, hein ?

Ludovic, ce ne sont pas NOS soucis, Maëlys suspendit la serviette au crochet. Ici cest notre foyer, nos règles. Je bosse à la maison le soir, jai besoin de ce bureau. Mes plans, mon ordi, mes papiers.

Mais si, mais si, tenta Guillaume, sans lever les yeux. Tu pourrais déplacer lordi dans notre chambre, juste le temps quils restent un ou deux mois, le temps qu’ils prennent leur envol… Après tout, cest mon frère, le sang, la famille, quoi. Je peux pas le mettre dehors

Maëlys le fixa longuement, dun œil lourd, fatal. Guillaume savait très bien combien cet appartement avait coûté à Maëlys. Cinq ans desclavage de crédit, deux jobs, nuits blanches, pas de vacances. Elle avait payé chaque centime, bien avant leur mariage. Guillaume nétait venu quavec un vieux portable et ses cannes à pêche. Et voilà que soudain, il distribuait lespace comme sil avait gagné au tirage de la résidence universitaire.

Guillaume, on sort deux minutes, demanda-t-elle, glaciale.

Dans la chambre, Maëlys ferma la porte derrière eux.

Ça va pas la tête ? Quel mois ou deux ? Il squatte, ne paie jamais rien, mes courses disparaissent et maintenant, il ramène quelquun dont je nai jamais vu la tête ?

Maëlys, calme-toi, tenta Guillaume en lui posant une main sur lépaule. Elle lécarta dun geste. Ludovic a juste besoin de soutien Camille, paraît, est gentille, timide. Ils resteront dans leur coin. Fais un effort, pour moi Ma mère ma appelé, tu sais comme elle sinquiète dès quon parle de Ludovic

La simple évocation de Marie-Claire, la belle-mère, fit monter une autre vague dexaspération. Guillaume savait que Maëlys essayait dentretenir une trêve fragile avec sa mère, et il en abusait sans gêne.

Un mois, lâcha Maëlys, la mâchoire serrée. Pas un jour de plus. Pas de fête, pas de bazar, pas de musique, pas de va-et-vient damis. Et je garde au moins mon bureau. Quils dorment sur le canapé.

Guillaume, ravi, lui colla un baiser sur la joue et fila annoncer « la bonne nouvelle » à son frère. Maëlys resta au milieu de la chambre, vue perdue dans le miroir. Ses yeux tirés, ce pli entre les sourcils. Pourquoi dire non était-il toujours aussi difficile ?

La « gentille fille » Camille débarqua dès le lendemain. Une créature indéfinissable, cheveux bleu pastel, anneau dans la narine, deux énormes valises. Elle entra tel un mirage effronté, yeux rivés à son téléphone, sans même retirer ses Doc Martens flamboyantes sur le parquet fraîchement lavé.

Salut marmonna-t-elle, sans ôter ses écouteurs, faisant rouler son bagage jusque vers le bureau. Ah, cest petit, ici. Ludo, tu mavais dit que la chambre était grande.

Maëlys, la politesse crispée dans le sourire quelle avait préparé toute la journée, sentit son masque se fissurer.

Ici, on enlève ses chaussures à lentrée. Et tes roulettes sont sales, lança-t-elle.

La jeune femme la toisa, de bas en haut, puis lâcha :

Ouais, tinquiète, je nettoierai Ludo, viens, prends la deuxième, elle pèse une tonne !

Ainsi débuta une nouvelle ère dans lappartement. Le « plus tard » narriva jamais. Cest Maëlys qui frotta les traces de saleté, incapable de supporter le désordre.

Les trois premiers jours furent à demi calmes, à part Camille occupant la salle de bain deux heures matin et soir, vidant en deux douches tout le gel douche « spécial occasion » de Maëlys. Mais le vrai cauchemar démarra le samedi matin.

Maëlys fut tirée du lit par des éclats de rire et une odeur de brûlé. Il était neuf heures, ses précieuses minutes pour récupérer des insomnies de la semaine. Elle attrapa son peignoir, direction la cuisine.

La scène tenait du tableau dune guerre oubliée. Un Everest de vaisselle sale, des pots et des miettes partout, même à terre. Camille en T-shirt XXL (celui de Ludovic) massacrait la poêle préférée de Maëlys à coups de fourchette en métal.

Mais quest-ce que vous fabriquez ? La voix de Maëlys tremblait.

Ah, t’es là ! sécria Ludovic, bière à la main, à neuf heures du mat. On voulait vous préparer des crêpes, ambiance petit déj romantique Mais ta pâte doit pas être terrible, ça a collé.

Maëlys sauta sur la poêle, horrifiée. Le revêtement était ravagé.

Qui ta permis de toucher à ma poêle ? Et avec une fourchette métallique

Oh ça va, cest bon, hein, une rayure de rien ! Tes radine, Maëlys ! On voulait même vous en laisser

Je tai demandé de ne pas mappeler comme ça, murmura Maëlys, la rage battant ses tempes. Vous rangez ce foutoir. De suite.

Hou, la pétasse, marmonna Camille. Allez, Ludo, viens, jai plus faim avec tout ce stress négatif !

Ils la laissèrent avec la cuisine dévastée. Guillaume, caché dans les toilettes pour feindre labsence, finit par sortir.

Cest la dernière fois, lui jeta Maëlys sans même tourner la tête. Sils recommencent, dehors.

Aller, elle est jeune, elle ne sait pas Je vais leur parler, je te le promets. On rachètera une poêle.

Ça ne me gêne même pas la poêle Cest le principe ! MOI jhabite ici, pas eux.

Les jours suivants sétirèrent lentement, chaque soirée réservant une nouvelle surprise : plat cuisiné disparu, serviettes trempées jetées au sol, musique à fond au cœur de la nuit.

Ludovic se prenait pour le roi. Allongé tout le jour devant la console, branchée sans avis sur la grande télé du salon, il parlait de projets daffaires qui ne verraient jamais le jour. Camille, elle, ni boulot ni étude, internet, téléphone, réseaux en boucle jusquà épuisement.

Le paroxysme arriva jeudi. Maëlys dut se rendre à Lille pour le travail, un aller-retour express. Elle rentra tard, rêvant dun bain chaud, dapaisement.

Mais à peine la porte franchie, elle buta sur un carton posé en plein couloir. Elle alluma : ce sont ses livres, ses dossiers, ses plans, empilés. Son moniteur négligemment déposé dessus.

Panique. Elle courut jusquau bureau ou ce quil en restait : le meuble, démonté, exilé sur le minuscule balcon (les panneaux visibles derrière la vitre), une vieille commode récupérée trônant au centre, des posters collés au mur et, à terre, un matelas gonflable. Les coussins remplacés par un tas de vêtements.

Au centre du chaos, Camille vernissait ses ongles. Odeur dacétone âcre. Ludovic perçait le mur, installant une étagère.

Quest-ce que vous faites ? La voix de Maëlys nétait quun souffle, qui fendit le silence.

Oh Maëlys ! Ludovic rayonnait. On a tout réaménagé ! Camille dit quil faut changer les énergies. Ton bureau prenait trop de place, on la mis dehors tant quil fait beau. Et on a créé un coin relax ici.

Mon bureau sur le balcon ? Il va gonfler, lhumidité Mon moniteur traîne au sol

Mais non, il craint rien ! lança Camille, soufflant sur ses doigts. Regarde comme cest spacieux ! On a besoin dintimité, après tout on est une petite famille, non ?

Guillaume où est-il ? demanda Maëlys, dune voix glaciale.

Il est parti acheter des bières. On voulait fêter le rénov. Tu veux en prendre une ? Mais faudrait sourire, hein

La porte claqua, Guillaume rentra, les bras chargés dun sac.

Maëlys, tes déjà rentrée ! On a Il se coupa net à la vue de sa femme.

Maëlys sapprocha, calmement.

Tu étais au courant ?

Ils voulaient te faire une surprise Transformer la pièce Jai pensé que cétait quun vieux bureau

Vieux ? Maëlys se tut une seconde. Un bureau italien, payé deux mois de salaire. Mais le souci, cest pas ça, cest que tu as laissé tes proches balancer mes affaires hors de MA chambre ?

Aller, cest pas ma-ma tout le temps ! Cest la famille

Oui, la tienne surtout. À tentendre, votre famille, cest ton frère et sa hurluberlue. Moi, je fais intendance.

Pardon ?! surgit Camille, soudain plus nerveuse. Tu mappelles hurluberlue ?! Non mais tu te prends pour qui, la vieille ? On se casse à transformer ce trou en palace, tu râles encore !

Silence, souffla Maëlys, dun calme tranchant. Un sentiment de clarté glacée remplaça tout doute. Vous avez vingt minutes.

Quoi ? bredouilla Ludovic.

Pour ramasser toutes vos affaires et quitter mon appartement. Le temps commence.

Tu délires ! Guillaume, dis-lui ! Elle a craqué ou quoi ?

Guillaume, en nage.

On peut en parler demain Où veux-tu quils aillent ?

Cela mest égal, Maëlys attrapa son portable, compose et dit fort : Allô, la police ? Je signale lintrusion détrangers refusant de partir, jai tous les papiers en règle, adresse

Ludovic blêmit. Camille rougit, pavée dinjures :

Tes frappée ? Appeler les flics contre la famille ?

Dix minutes, Maëlys jeta un œil à lhorloge (elle faisait semblant de parler, la ligne encore muette, mais leur peur laissait le doute).

Guillaume, tu vas rien dire ?!

Guillaume leva enfin les yeux. Dans le regard de Maëlys, la sentence était claire : sil les soutenait, il partait aussi. Il comprit.

Ludovic… ramassez, murmura-t-il. Vous êtes allés trop loin. Le bureau, cétait… le préféré de Maëlys.

Ben crevez ici, Ludovic jeta la perceuse à terre. Je vais chez maman, je raconterai tout ! Quelle mégère tu fais !

Tant mieux, répliqua Maëlys. Dépêchez-vous.

Commença alors la chevauchée des valises. Camille raflait tout, y compris ce qui nétait pas à elle.

Le sèche-cheveux aussi, remarqua Maëlys, adossée à lembrasure. Et la crème pour le visage.

Même pas besoin ! Mène-toi bien, snipeuse ! ricana Camille en balançant le tube au sol.

Ludovic boudait, fourrant à laveugle ses T-shirts dans un sac.

Au bout de quinze minutes, ils étaient prêts, plantés face à la porte.

Je ne vais pas appeler de taxi, le métro est à trois rues, indiqua Maëlys en ouvrant.

Tu perdras pas ta place en enfer ! beugla Ludovic, théâtral, la main sur le cœur. Tes une sorcière, Maëlys ! Toi Guillaume, un larbin. Pfou !

La porte claqua. Le silence dans lappartement tintait.

Maëlys glissa le long du mur, posée sur le pouf, tremblante, grisée par la fatigue soudaine.

Guillaume était là, dans le couloir, des bières dépassant du sac. Il avait lair dun chien perdu.

Tu as vraiment appelé la police ? souffle-t-il.

Maëlys brandit lécran noir du téléphone.

Non. Mais je laurais fait, sils nétaient pas partis.

Elle se dirigea vers le bureau éventré. Le moniteur rayé, les murs troués.

Demain, tu remets mon bureau à sa place. Sil est abîmé, tu paieras les réparations. Pas avec largent commun, le tien. Et tout le rafistolage, cest pour toi. Papier peint inclus.

Oui, Maëlys. Je ferai tout, bredouilla Guillaume. Il posa son sac, tenta un pas vers elle, recula. Pardon, je je voulais que tout le monde soit heureux

Eh bien cest impossible, Guillaume. Il y a toujours quelquun qui paie le prix fort. Cette fois, cétait moi. Tu as laissé ta famille me piétiner chez moi. Tu nas rien dit.

Je sais. Je suis en tort. Je nimaginais pas quils étaient aussi sans-gêne.

Tu savais pour Ludovic. Cest plus pratique de rester aimable avec tout le monde, mais cest moi qui ramasse les dégâts.

À la cuisine, la montagne de vaisselle était toujours là, mais sans la musique ni les voix, ce nétait plus quun triste tas, pas une agression vivante.

Tu nettoies tout. Cette fois, je ne fais rien. Jai besoin dun bain. Et si tu veux rester ici, il faudra que je retrouve une cuisine brillante et aucune trace deau de Cologne bas de gamme ou de bière éventée.

Guillaume hocha la tête, tira sur ses manches, ouvrit leau. Pour la première fois depuis bien longtemps, il ne marmonna ni plainte ni excuse. Le bruit de leau et de la vaisselle émergea dans le silence, comme une chanson nouvelle.

Maëlys se coula dans la baignoire, ajouta la mousse quil restait malgré Camille, et laissa leau chaude relâcher les muscles de son cou.

Le téléphone vibra : un message de sa belle-mère. Elle ne lut pas. Les reproches, les menaces, elle les connaissait par cœur. Blocage du numéro de Marie-Claire, puis de Ludovic.

« Voilà qui est mieux », songea-t-elle.

Une heure plus tard, la cuisine brillait. Guillaume lavait même le sol, transpirant deffort. Il redressa la tête à son entrée :

Jai fini. Jai remis le bureau, presque intact. Seulement un pied éraflé, rien de grave. Lécran fonctionne, la rayure est superficielle.

Maëlys versa un verre deau, inspecta la cuisine.

Bien.

Maëlys On on reste ensemble ?

Elle but une gorgée, le regard perdu vers les lumières de Paris ruisselant à travers les carreaux humides.

Pas pour linstant mais tu as droit à une période dessai. Et elle sera longue. Tu retires tout : encore UNE demande de ta famille, et ton sac sera sur le palier, pas le leur.

Jamais plus. Promis.

Nous verrons.

Elle termina son verre et partit se coucher. Cette nuit-là, elle dormit profondément, bras et jambes ouverts sur le lit, sans aucun cauchemar ni bruit pour linquiéter. Au matin, lodeur du café la tira du sommeil. Guillaume lui apporta le petit-déjeuner un toast calciné et un café trop sucré. Mais au moins il essayait.

Il dit timidement :

Je me disais On devrait peut-être changer la serrure ? Je crois que Ludovic na pas rendu les clés, je les ai oubliées dans tout ce bazar.

Maëlys haussa les sourcils. Enfin, un réflexe sensé.

Appelle le serrurier, approuva-t-elle. Tout de suite.

La vie reprenait son cours. Il restait un arrière-goût, une fissure à colmater, mais le principal était là : Maëlys avait tenu ses frontières. Parfois, il faut savoir être « sorcière » ou « sale égoïste » pour garder son nid. Même au prix dune poêle rayée et de quelques nerfs en lambeaux.

Plus tard, elle apprit par des connaissances que Ludovic et Camille avaient rompu deux semaines après. Camille avait trouvé un copain avec un appart plus grand, Ludovic était retourné chez sa mère, répétant à qui voulait lentendre que le monde est dur et que sa belle-sœur a brisé sa vie. Mais ce conte-là nintéressait plus du tout Maëlys.

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Le frère de mon mari a exigé que je libère une chambre pour sa nouvelle conquête — j’ai mis tout le monde dehors, et j’ai posé mes conditions à mon mari
Tes affaires t’attendent devant l’ascenseur. Prends-les et pars — Dasha, pourquoi tu t’es enfermée ? — Il souriait, mais l’inquiétude traversa son regard. — J’ai changé la serrure, Romain. — Pourquoi ? — Son sourire s’effaça. — Parce que j’ai appris de mes erreurs. Tes affaires sont devant l’ascenseur. Prends-les et va-t’en. Dasha a quarante-six ans, son «Roméo» en a cinquante et un. Une différence d’âge parfaite, deux adultes marqués par la vie, sans illusions. Derrière elle : un divorce longtemps digéré. Derrière lui : deux drames… Ensemble, ils semblaient former un couple idéal. Romain complimentait toujours sa compagne : — Ça sent tellement bon ici ! Tu es magique, Dasha. — Ce n’est qu’une simple tarte aux pommes, — disait-elle en rougissant. — Mange tant que c’est chaud. Le seul défaut de Romain, c’était son habitude d’évoquer le passé. — Tu sais, à Lucie aussi je préparais le petit-déj le week-end. Je faisais des crêpes. Mais elle me reprochait de gâcher la farine. Il racontait comment son ex avait fini par tout lui prendre, même la poêle offerte par sa belle-mère : — Elle est mesquine, disait Dasha. Se disputer pour quelques poêles… Romain poursuivait : — Si ce n’était que les poêles ! Tout l’appart y est passé. Elle a mis à son nom pendant que je bossais à droite à gauche pour la famille. La voiture, elle l’a cédée à notre fils, qui n’avait même pas le permis ! J’ai quitté la maison avec un sac de sport : caleçons, chaussettes et brosse à dents. Dasha avait pitié de lui. Comment peut-on ignorer des années de vie commune et jeter quelqu’un à la rue comme un chien abandonné ? — Et la deuxième ? — demandait-elle timidement, même si elle connaissait l’histoire par cœur. — On s’est vite compris, quatre ans de galère. Là aussi, la belle-mère s’est mêlée de tout. On a divisé les dettes, l’enfant, et voilà, j’ai tout laissé derrière moi. Je n’allais pas me battre contre une femme, je suis un homme, je retrouverai. « Un homme vrai », pensait Dasha avec respect. Un autre se serait battu pour chaque fourchette, lui est parti la tête haute. — Mon appart est grand, il y a de la place, — avait-elle proposé au début de leur relation, trois mois plus tôt. — Et j’ai une maison de campagne. J’aurais besoin de bras. — Dasha, ça me gêne, avait-il baissé les yeux. Je travaille, je ne suis pas un parasite… — Ne dis pas de bêtises. À deux, c’est plus facile. Il avait fini par s’installer chez elle, avec peu de choses : une valise usée, des costumes défraîchis et un ordinateur portable. Dasha l’entourait de soins. Elle voulait lui montrer que toutes les femmes ne sont pas des prédatrices. Avec son ex-mari, Vadim, ils s’étaient séparés d’un commun accord, sans drame. Tout avait été partagé et il versait la pension jusqu’à la fin des études de leur fille. Mais Romain était différent. *** Le premier signal d’alerte revint un mois après l’emménagement. Une petite chose, mais… Romain dit qu’il allait bricoler acheter des charnières pour le placard de l’entrée. — J’en ai pour cinq minutes ! Il revint au bout de quatre heures, sans charnières. — Tu te rends compte, fermé pour inventaire ! Toute la ville, j’ai fait, y avait rien à la bonne taille. — Fermé pour inventaire un samedi ? Ils sont ouverts 24h/24… — Le bazar, quoi. Il y avait une note, c’est tout. — C’est bizarre. Bon, tant pis, on verra la prochaine fois. Le soir, la voisine du palier, tante Valérie, ramenait de gros sacs du même magasin. Dasha : — C’est pas trop lourd ? — Oh, t’imagines pas ! Il y avait des promos aujourd’hui, les rayons bondés. Fallait se battre à la caisse ! Dasha, interloquée : — Il n’était pas fermé pour inventaire ? — Mais non ! Il tourne à plein régime. J’y étais il y une heure ! Elle est rentrée le cœur serré. Pourquoi avait-il menti ? Il serait allé voir un pote, aurait bu un café… Pourquoi inventer une histoire de magasin fermé ? Romain, lui, zappait à la télé, imperturbable. — Rom’, j’ai croisé la voisine tout à l’heure. Elle venait du magasin. C’était ouvert. — Ouais ? Ben, ça a réouvert. Quand j’y étais, il y avait écrit « pause technique 15 minutes ». J’ai attendu puis j’ai laissé tomber, je suis allé ailleurs, y avait rien. — Tu avais dit pour inventaire. Et que tu avais fait toute la ville. — Dasha, tu vas pas chipoter pour des mots ! Pause, inventaire… Qu’est-ce que ça change ? J’ai pas trouvé, j’ai pas trouvé, c’est tout. On verra demain. Tu dramatises pour rien. Dasha se sentit coupable. Pourquoi insister ? Peut-être a-t-il confondu… les hommes ne retiennent pas les détails. La semaine suivante, rebelote. Un entretien d’embauche soi-disant décroché par son ancien patron, une promesse d’un super job — mais le soir, il rentra dépité : — C’est de l’arnaque ! On m’a mené en bateau, payé des clopinettes pour bosser comme un chien. Je leur ai dit de trouver un autre pigeon. — C’est dommage. C’est qui, ton contact, Ivan ? — Quel Ivan ? Ah non, c’était Serge, l’ex-directeur adjoint. Ivan est à la retraite depuis longtemps… Pourtant trois jours auparavant, il disait tout le bien de ce fameux Ivan. « Peut-être que c’est moi qui ai la mémoire qui flanche… », pensa-t-elle. Le soir, son téléphone vibra, un SMS apparut sur l’écran : « Chéri, quand comptes-tu rembourser ta dette ? Un mois déjà. Ce n’est pas joli d’ignorer les gens. » Le matin, au petit-déjeuner : — Romain, t’as reçu un message cette nuit. On demande de l’argent. Romain avala de travers, rougit jusqu’aux oreilles : — Ça doit être une erreur, des spammeurs, y en a partout… — Pourtant ça commençait par “Chéri”… Il éclata de rire, un rire forcé. — Encore des escrocs, ils savent y faire pour t’appâter. N’y prête pas attention ! Il attrapa son téléphone, trifouilla nerveusement dedans. Il lança ensuite : — Dis, ma fille de mon premier mariage, Catherine, a des soucis… Son fils est malade, faut de l’argent pour les médicaments. — Combien ? — Quinze mille. J’ai personne d’autre, tu me sauverais la vie, dès que je bosse je te rembourse… — Quinze mille. C’est quoi, la maladie ? — Euh, allergie grave, œdème de Quincke, maintenant c’est la rééducation… — D’accord. Elle lui tendit l’argent. — Merci ma belle ! s’exclama-t-il, l’embrassant sur la joue. Catherine va t’adorer. Toute la journée, Dasha eut la nausée. Ce n’était pas tant l’argent. Elle sentait sur la peau que Romain lui mentait. Un soir, il avait laissé une vieille tablette à charger au salon. Dasha connaissait son code : quatre fois le 1. Elle consulta la messagerie. Conversation avec sa fille : « Papa, tu comptes payer la pension ? Maman menace de saisir les huissiers. On n’a plus rien à manger et tu racontes des histoires. » Réponse : « Attends, je suis en train d’arnaquer une “pigeonne”. Bientôt, je régularise. Me mets pas la pression. » Elle tomba sur un autre échange avec une certaine Tania. « Chéri, tu viens ? J’attends. Tu avais promis d’apporter quelque chose. » Réponse : « J’arrive, ma puce. Je viens de soutirer du fric à ma “radine” sous prétexte du petit-fils malade. À tout de suite. » Dasha reposa la tablette. Tout s’éclaircit. Toutes ces “mauvaises femmes” qui l’auraient dépouillé… Aucun monstre. Juste des femmes usées par le mensonge. Ce n’était pas une victime. Mais un parasite. Elle prit de grands sacs poubelle, vida toutes ses affaires dedans : costumes, chemises, accessoires. Puis elle changea la serrure ; heureusement, elle savait faire, il restait encore un cylindre de rechange. *** Romain tenta sa clé, échoua, sonna. Dasha ouvrit sans décrocher la chaîne : — Dasha, pourquoi t’as tout bouclé ? Et la serrure est cassée… — J’ai changé la serrure, Romain. — Pourquoi ? — Parce que la “pigeonne” a compris la leçon. Tes affaires sont devant l’ascenseur. Prends-les et fous le camp. — Qu’est-ce que tu racontes ? — T’as cru pouvoir me plumer tranquille ? J’ai lu tes messages à Catherine et Tania. Il blêmit. — Tu t’es permise d’ouvrir ma tablette ? Mais t’as pas le droit ! — Et toi, tu n’as aucun droit ici. Ni sur mon appartement, ni sur mon portefeuille ! Tu n’es qu’un voleur et un menteur ! — Va au diable ! fit-il en hurlant, t’es qu’une vieille chaussette ! J’ai eu pitié de toi, vu que tu savais cuisiner ! — Prends tes affaires. Les quinze mille, considère-les comme ton cachet de clown. C’est donné. Il voulut riposter, mais Dasha ferma la porte sans un mot. Puis elle jeta sa tasse et son assiette favorite à la poubelle. Son ex-mari lui écrivit : « Bonjour. Notre fille m’a dit que tu as un robinet à réparer à la campagne. Je peux passer samedi. Comment vas-tu ? » — Bonjour ! Viens donc, il y aura du thé et une tarte aux pommes. Je vais bien. Même mieux qu’avant. *** Romain tenta encore de l’approcher, passa des soirs entiers à pleurnicher puis à menacer, jusqu’à ce qu’un passage au commissariat règle l’affaire. Dasha n’avait plus besoin de rien d’autre. Seulement le calme, la tranquillité… et le luxe d’être seule. Tes affaires sont devant l’ascenseur. Prends-les et pars.