Ce n’est pas très viril, ça — Maman, j’ai finalement décidé de prendre un crédit immobilier. On viendra vivre chez toi, on louera l’appartement de Nastya, on rembourse vite, et on aura un logement commun à nous deux, annonça Édouard d’un ton posé autour d’un thé. Quand son fils lui avait dit qu’il fallait discuter d’un « sujet important », Irène ne se doutait pas de ce qui l’attendait. Elle, naïvement, pensait qu’il s’agirait de la date du mariage ou de la rénovation de l’appartement de Nastya. Quelque chose de banal mais agréable. Et là, une telle nouvelle… Irène faillit lâcher le couteau avec lequel elle découpait une tarte aux pommes encore tiède. — C’est chouette, bien sûr, mais, Édouard… Ce n’était pas vraiment dans mes projets, répondit-elle, déconcertée, en regardant son fils. — Nastya a son propre appartement, vous avez tous les deux plus de trente ans… — Justement, c’est son appartement. Ce n’est pas très viril de vivre chez sa femme. On dirait un parasite. Et la location, c’est de l’argent jeté par les fenêtres. Comme ça on économise, et l’appart de Nastya ne reste pas vide. Un jour on aura le nôtre, acquis ensemble. Tu m’as toujours dit qu’il fallait avoir son chez-soi. Le fils parlait calmement, comme s’il résolvait un exercice de mathématiques. Les besoins d’autrui en tranquillité et en intimité ne faisaient pas partie de l’équation. — Édouard… — Irène cherchait ses mots pour ne pas trahir son agacement. — Je te disais ça quand tu avais à peine plus de vingt ans. Quand j’étais plus jeune, et que tu étais seul. Maintenant c’est « mon espace » qu’il me faut. Je n’ai pas envie de partager ma cuisine avec ma belle-fille, même si elle est adorable. Attendre mon tour pour la salle de bains, vivre dans le bruit, me disputer pour du shampoing ou une brosse… — Mais enfin, maman, tu exagères ! coupa son fils. On va pas se gêner. On aura notre chambre. Nastya est calme. Et puis toi, ça te fera de la compagnie ! — Non, lâcha Irène, effrayée par la perspective. Édouard, comprends-moi. Je veux vivre seule, dans mon intimité. J’ai le droit à un peu de tranquillité après tout ce temps, non ? Édouard se renfrogna aussitôt, sentant que sa mère n’était pas ouverte à la négociation. — C’est bon, j’ai compris. Je croyais que ma vie t’importait encore. Je pensais que tu tenais à ton fils. — Bien sûr que ça m’importe. Mais il fallait y penser il y a dix ans. — J’en avais pas la possibilité ! J’ai fait ce qui était le mieux pour toi. Je t’ai laissé l’opportunité d’avoir ta vie privée. Si tu n’avais pas divorcé de papa, j’aurais mon propre appart comme tout le monde, je serais pas obligé de m’humilier ! — Va dire ça à ton père ! s’emporta Irène. La soirée avait commencé sur une note joyeuse et s’acheva sur des reproches et des larmes. Édouard reprochait à Irène de ne pas lui avoir offert « son toit », tandis qu’Irène peinait à croire ce qu’elle entendait. Après tout, elle avait donné à son fils tout ce qu’elle pouvait. … Il fut un temps où Irène ne s’inquiétait pas pour l’avenir d’Édouard. Son projet était limpide : lâcher le nid et lui laisser la deuxième appart’. Tout a volé en éclats quand le père d’Édouard, après avoir trop bu à l’anniversaire d’Irène, est allé raccompagner son amie Ludivine chez elle… et y passa la nuit. — Ben écoute, je suis belle femme, il n’a pas résisté, expliqua Ludivine à Irène. Inutile de dire que l’amie est devenue une ex-amie. Le mari, un ex-mari. Après partage, il n’est resté à Irène qu’un appartement. Longtemps, elle s’en voulu de ne pas avoir offert un vrai départ à son fils. Elle pensa même à donner la moitié de l’appart’ à Édouard, mais sa mère la freina. — Irina, ne te presse pas. Il est jeune, il fera sa vie, c’est le destin… La vie est pleine de surprises. Aujourd’hui c’est ton fils, demain qui sait ? Tu risques de te retrouver sans rien. Irène douta, mais suivit le conseil. Ce fut un choix difficile : elle avait l’impression de « voler » son fils. Pourtant, au fond, elle lui avait offert plus que la plupart des mères seules. Irène avait tout payé pour les études d’Édouard. Certes, pas une fac ni une grande école, mais le BTS fut arraché à force de petits boulots. Une fois le diplôme obtenu, elle lui dit : — Ne te précipite pas. Reste un peu avec moi. Je ne te ferai pas payer la part de charges, économise plutôt. Prends au moins un crédit, ça te sécurisera. Tu ne le vois pas encore, mais un appart’, ça aide dans la vie. Ça ne va pas baisser ! Édouard avait alors ri, haussant les épaules. — Maman, je suis adulte ! Ce n’est pas très viril d’inviter des filles chez sa mère. Pas très viril… Mais beaucoup plus « viril » de jeter de l’argent dans un loyer sans penser à l’avenir. Irène n’a jamais blâmé son fils pour ses choix. Elle s’est résignée à le voir vivre sa vie. Mais le jour où il a commencé à reporter la responsabilité sur les autres… C’était nouveau. Comme ses reproches sur le divorce. Jamais elle ne l’avait mis dehors, au contraire, elle proposait même de payer une partie du loyer. Cette nuit-là, Irène eut du mal à trouver le sommeil après leur dispute. Sa colère s’estompa, laissant place à l’évidence : elle ne voulait pas devenir nounou, cuisinière et psy gratuite pour un jeune couple. Pas question d’incarner la « maman pratique ». Mais elle ne voulait pas non plus détruire sa relation avec son fils. Alors, trois jours plus tard, quand Édouard repartit sur le crédit et le déménagement, elle décida de poser une question piège : — Dis-moi, Nastya est au courant de tes grands projets ? — demanda-t-elle sans polémiquer. Irène savait bien qu’aucune belle-fille n’accepterait, avec son propre appart’, de vivre chez sa belle-mère. Les fils y voient souvent un bon plan : maman lave les chemises, fait le petit-déj’, et prend leur parti dans les disputes… Mais les belles-filles, elles, veulent leur propre espace et mari. — Eh bien… — Édouard hésita. — On n’a pas encore vraiment évoqué la chose. Mais si tu es d’accord, après je peux négocier avec elle. Irène eut un petit sourire en coin. Nastya était donc à mille lieues de l’idée… Ça promettait. — Fiston, on fait pas comme ça. Venez tous les deux, on en discute. Tu es grand, tu sais qu’ici, c’est chez moi, donc mes règles. On parlera organisation, cuisine, partage des charges… Édouard fit la moue, acquiesçant. — D’accord. Je vais en parler à Nastya. — Fais-le. Et donne-lui le bonjour. Dis-lui que je serai ravie de la voir. Ce soir-là, Édouard ne reparla plus du projet. Irène passa la semaine suivante à guetter. Elle se préparait même à « effrayer » Nastya avec ses exigences sur la propreté, le calme, l’organisation. Mais rien ne se passa : Édouard et Nastya n’abordèrent jamais la question. Six mois plus tard, Irène rendait visite au couple. Édouard était encore un peu vexé : il s’attendait sans doute à ce que sa mère les accueille à bras ouverts. Mais le plus important : il s’asseyait avec elle à table et participait à la conversation. Les relations belle-mère/belle-fille étaient parfaites — la distance aidant. Ce jour-là, Nastya avait même fait des biscuits au sucre de coco pour Irène, connaissant sa diète avérée. Pas parfaits, mais le geste fut apprécié. Quand Édouard sortit fumer, Nastya lança la discussion : — Vous savez, sans vous tout ça n’existerait sûrement pas, confia-t-elle. On a failli se séparer. — Pourquoi ? — Pour le logement… Au début, Édouard s’est plaint que vous lui aviez refusé votre aide. Nastya lui raconta tout de sa perspective. En fait, Édouard avait expliqué à Nastya qu’il avait envisagé la solution du crédit, mais sa mère n’avait pas voulu s’impliquer. Il voulait sans doute être plaint, que Nastya le rejoigne dans sa critique d’Irène. Mais elle n’a pas suivi. — Édouard, pourquoi un crédit ? On a un bel appartement. Vivons là. Je trouve que votre mère a raison : elle doit avoir sa vie, nous la nôtre, dit Nastya. Édouard avança que c’était bizarre de vivre chez sa femme… Mais Nastya haussa les sourcils et croisa les bras, lui clouant le bec. — Regarde, un jour on aura des enfants, non ? On habitera l’un des deux appartements et l’autre sera pour notre fils ou fille. — C’est bien de penser à l’avenir, mais pas à ce prix-là ! Ce serait inconfortable pour moi. Inconfortable pour ta mère. À quoi bon ? Ils ont disputé longtemps, plusieurs fois. Mais ça finissait toujours quand Nastya rappelait qu’elle ne voulait pas gêner la mère d’Édouard, ni demander quoi que ce soit en ayant déjà son logement. Édouard a insisté, puis fini par céder. Il s’est sûrement rendu compte que Nastya préférerait divorcer que d’emménager chez sa belle-mère. — Si vous aviez laissé faire ou voulu qu’on vienne, j’aurais peut-être dit oui, confia Nastya. Au final, tout le monde aurait souffert pour rien. Mais là, sachant que ni vous ni moi n’en voulions… Eh bien on s’est évité des ennuis. Irène était d’accord. Elle avait réussi à détourner le conflit avec son fils, et à garder son espace. Oui, Édouard a choisi l’amertume, Irène, elle, s’est choisie elle-même. Chacun a gardé son territoire. Édouard commence à bâtir son foyer. Nastya a gardé son mari qui, bon gré mal gré, l’a comprise. Et Irène a dissipé sa culpabilité, retrouvant son droit à l’espace et au silence…

Maman, jai finalement décidé de souscrire à un prêt immobilier. On vivra chez toi, on louera lappartement de Camille, on remboursera vite, et comme ça, on aura enfin un logement à nous deux, annonça Thomas dun ton posé, sa tasse de thé entre les mains.

Quand son fils avait dit vouloir « discuter dun sujet important », Irène naurait jamais imaginé ce qui lattendait. Naïvement, elle pensait quil sagirait de la date du mariage ou de travaux à faire dans lappartement de Camille. En somme, des préoccupations simples et agréables. Mais là Une nouvelle pareille ! Irène en lâcha presque le couteau avec lequel elle découpait sa tarte aux pommes encore tiède.

Cest une très bonne chose, bien sûr, mais Thomas… Je dois dire que ce nétait pas du tout dans mes plans répondit-elle, déconcertée, le regard figé sur son fils. Après tout, Camille a son appartement, vous avez déjà passé la trentaine…
Justement, cest là le problème : cest son appartement. Je ne trouve pas ça digne de moi, de vivre chez ma femme, comme un parasite. Louer un appart, ça revient à jeter largent par les fenêtres. Là, on fait des économies, lappartement de Camille ne reste pas vide. Et un jour on aura le nôtre, gagné ensemble. Cest toi qui me las toujours répété : il faut avoir son chez-soi.

Son fils parlait calmement, comme sil résolvait un problème dalgèbre. Les besoins de tranquillité et dintimité des autres ne semblaient pas entrer dans son équation.

Thomas… Irène chercha ses mots, luttant contre son indignation. Je te disais ça à lépoque, quand tu avais juste passé la vingtaine. Quand jétais plus jeune, et toi tout seul. Maintenant, cest mon « chez-moi » que jaimerais avoir. Je ne veux pas partager ma cuisine avec ma belle-fille, même si elle est adorable. Je ne veux pas faire la queue le matin pour la salle de bain, vivre dans le bruit, me disputer sur des shampoings ou des brosses à cheveux…
Oh maman, arrête… coupa Thomas. On ne se gênera pas. On restera dans la chambre. Camille est calme. Tu verras, tauras plus danimation !
Non rétorqua Irène, effrayée par la perspective Thomas, comprends-moi bien. Je veux vivre seule, à part. C’est comme ça que je me sens bien. Nai-je pas mérité un peu de tranquillité à mon âge ?

Le visage de Thomas se renfrogna aussitôt, il comprenait que sa mère refusait toute négociation.

Je vois. Je pensais que tu te souciais du sort de ton fils, que tu te préoccupais de ma vie.
Je ne suis pas indifférente. Mais il fallait y penser il y a dix ans.
Je nen avais pas la possibilité ! Jai fait au mieux, pour te permettre de reconstruire ta vie personnelle. Et si tu ne tétais pas séparée de papa, jaurais eu mon appartement depuis longtemps, comme tout le monde, je naurais pas à me sentir humilié !
Adresse-toi à ton père pour ça ! lâcha Irène.

La soirée, qui avait commencé dans linsouciance, se terminait dans les reproches et les larmes. Thomas en voulait à sa mère de ne pas lui avoir offert un toit, et Irène… elle narrivait pas à comprendre comment on pouvait lui reprocher quelque chose alors quelle avait tout sacrifié pour son fils.

…Autrefois, Irène ne doutait jamais de lavenir de Thomas. Son plan était simple : laisser le nid à son fils, et lui transmettre lautre appartement.

Tout a été brisé pour une nuit : le père de Thomas, un soir danniversaire trop arrosé, sest entiché de la meilleure amie dIrène, Françoise, en la raccompagnant chez elle et il y a passé la nuit.

Que veux-tu, je suis une belle femme il na pas résisté murmura simplement Françoise à Irène.

À partir de là, toutes les cartes sont rebattues : la copine est devenue une ex, le mari aussi, et il a fallu se partager le patrimoine. Irène sest retrouvée avec un seul appartement.

Longtemps, Irène sest sentie coupable de ne pas avoir assuré de « vrai » départ à son fils. À un moment, elle a même voulu léguer la moitié à Thomas, pour quil ait quelque chose, mais sa mère la arrêtée.

Irène, sois raisonnable. Il est encore jeune. Il fera sa vie, il travaillera, cest le destin. La vie réserve des surprises Tu le sais bien maintenant. Aujourdhui cest ton fils, demain qui sait ? Tu risques de tout perdre : le fils, et la maison.

Irène a eu du mal à accepter ce conseil, elle avait limpression de voler ce qui revenait à Thomas. Mais en y pensant, elle avait déjà offert à son fils bien plus que beaucoup de mères seules.

Elle a tout payé pour ses études. Même si ce nétait pas la fac, le BTS lui avait coûté très cher. Elle prenait tous les boulots, acceptait chaque coup de main damis, pour joindre les deux bouts. Quand il a eu son diplôme, elle lui a dit :

Mon fils, ne te précipite pas dans la vie adulte. Reste un peu avec moi. Je ne te demanderai pas un centime pour les charges, limportant cest déconomiser. Prends un crédit immobilier, au moins jaurai lesprit serein. Tu ne le vois pas encore, mais avoir son logement, cest un avantage immense dans la vie. Les prix de limmobilier ne baisseront pas.

Thomas sétait alors contenté de sourire et de secouer la tête.

Maman, je suis adulte. Ce nest pas très viril damener des copines chez maman.

Pas très viril… Mais jeter largent dans un loyer, ça, cétait bien plus viril.

Irène ne pouvait lui en vouloir. Elle sétait habituée à le voir vivre comme il lentendait. Mais lui faire porter la responsabilité voilà qui était nouveau. Dire quil était parti « pour elle » elle navait jamais chassé son fils. Au contraire, au début, elle lavait même aidé à payer le loyer.

Cette nuit-là, Irène eut du mal à dormir. La colère était retombée, et elle avait compris quelle ne voulait pas devenir la nounou, la cuisinière et la psy gratuite du jeune couple. Elle ne voulait pas se dissoudre dans le rôle de « maman pratique ». Mais elle ne souhaitait pas non plus rompre totalement avec son fils.

Alors, quand trois jours plus tard, Thomas évoqua à nouveau le crédit et léventuel emménagement, Irène tenta le tout pour le tout.

Mon fils, est-ce que Camille est au courant de tes grands projets ? demanda-t-elle, toute en douceur, au lieu de se lancer dans une dispute.

Irène était certaine quaucune belle-fille nacceptera de vivre avec sa belle-mère, surtout en ayant son propre appartement. Pour les fils, souvent, cest confortable ; maman repasse les chemises, prépare le petit-déj et soutient en cas de dispute. Mais les belles-filles, en général, fuient la cohabitation.

Euh Thomas hésita. On na pas encore discuté de ça. Mais si tu acceptes, je marrangerai avec elle.

Irène esquissa un sourire ironique. Ah Camille nétait pas au courant Voilà qui promettait une « surprise »

Mon fils, ça ne se passe pas comme ça. Venez tous les deux, on en parlera. Tu es assez grand pour comprendre que si cest ma maison, il y a mes règles. On discutera de lorganisation, des repas, du partage des frais

Thomas fit la moue mais acquiesça.

Daccord. Je parlerai à Camille.
Noublie pas. Et passe lui le bonjour. Dis-lui quelle est la bienvenue.

Le soir même, Thomas ne reparla plus du sujet.

La première semaine, Irène guettait, se préparant à effrayer la belle-fille avec ses exigences de propreté, de silence et de planning. Mais les jours passèrent, et Thomas et Camille ne reparlèrent jamais de déménagement.

Six mois plus tard, Irène rendit visite à son fils et à Camille.

Thomas était encore un peu vexé. Il espérait sans doute quIrène leur ouvrirait tout grand les bras ou les inviterait. Mais les attentes des autres ce ne sont pas ses problèmes. Ce qui compte, cest quil soit assis avec sa mère, tranquille, et quil participe à la conversation.

Les relations entre Irène et Camille étaient idéales. Dabord grâce à la distance. Ce jour-là, la belle-fille avait même préparé des biscuits à lédulcorant en pensant au régime strict dIrène. Les biscuits étaient loin dêtre parfaits, mais Irène appréciait lintention.

Alors que Thomas était parti fumer, Camille aborda la question :

Vous savez, sans vous, rien de tout ça nexisterait dit-elle. On a failli se séparer récemment.
Comment ça ?
À cause du logement… Thomas sest plaint, il a dit vous avoir sollicitée et que vous aviez refusé

Alors Camille raconta sa version des faits.

Thomas lavait critiquée devant Camille, expliquant quil voulait juste examiner lidée dun prêt immobilier, et que sa mère avait refusé de simpliquer. Il espérait probablement que Camille le consolerait, quils suniraient contre Irène, mais ce nest pas ce qui sest passé.

Thomas, pourquoi prendre un crédit ? On a un super appartement. Vivons ici. Je pense que votre mère a raison. Elle a droit à sa vie, nous à la nôtre avait rétorqué Camille.

Thomas avait commencé à expliquer que ce nétait pas « viril » de vivre chez sa femme, mais face à la mine de Camille et ses bras croisés, il avait dû changer dargument.

Mais regarde : si un jour on a un enfant, on vivra ici et le second appartement ira à notre enfant.
Penser à lavenir, cest bien. Mais pas au prix de tels sacrifices. Je serais gênée. Ta mère serait gênée. À quoi bon ?

Ils ont discuté longtemps. Et plusieurs fois. Mais la discussion se terminait toujours sur le fait que Camille ne voulait pas imposer quoi que ce soit à Irène, ni demander quand elle avait déjà son appart.

Thomas insista, insista, mais finit par céder. Sans doute réalisa-t-il quen cas de conflit, Camille demanderait le divorce plutôt que de sinstaller chez la belle-mère.

Si vous naviez rien dit ou si vous nous aviez invités, jaurais sans doute cédé avoua Camille. Mais là, on aurait tous vécu dans la gêne. Maintenant, je sais que ni vous ni moi ne souhaitons cela Finalement, tout sest bien terminé.

Irène était parfaitement daccord. Bonne chose quelle ait mené le conflit ailleurs, et que leur vie ait trouvé son équilibre.
Oui, Thomas avait choisi la rancœur, Irène, elle, sétait choisie elle-même. Chacun y avait gagné : Thomas construisait enfin sa famille. Camille gardait son mari, qui, même à contrecœur, lécoutait désormais. Et Irène avait lâché sa culpabilité, retrouvant son espace et le droit au silence des petits matins.

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Ce n’est pas très viril, ça — Maman, j’ai finalement décidé de prendre un crédit immobilier. On viendra vivre chez toi, on louera l’appartement de Nastya, on rembourse vite, et on aura un logement commun à nous deux, annonça Édouard d’un ton posé autour d’un thé. Quand son fils lui avait dit qu’il fallait discuter d’un « sujet important », Irène ne se doutait pas de ce qui l’attendait. Elle, naïvement, pensait qu’il s’agirait de la date du mariage ou de la rénovation de l’appartement de Nastya. Quelque chose de banal mais agréable. Et là, une telle nouvelle… Irène faillit lâcher le couteau avec lequel elle découpait une tarte aux pommes encore tiède. — C’est chouette, bien sûr, mais, Édouard… Ce n’était pas vraiment dans mes projets, répondit-elle, déconcertée, en regardant son fils. — Nastya a son propre appartement, vous avez tous les deux plus de trente ans… — Justement, c’est son appartement. Ce n’est pas très viril de vivre chez sa femme. On dirait un parasite. Et la location, c’est de l’argent jeté par les fenêtres. Comme ça on économise, et l’appart de Nastya ne reste pas vide. Un jour on aura le nôtre, acquis ensemble. Tu m’as toujours dit qu’il fallait avoir son chez-soi. Le fils parlait calmement, comme s’il résolvait un exercice de mathématiques. Les besoins d’autrui en tranquillité et en intimité ne faisaient pas partie de l’équation. — Édouard… — Irène cherchait ses mots pour ne pas trahir son agacement. — Je te disais ça quand tu avais à peine plus de vingt ans. Quand j’étais plus jeune, et que tu étais seul. Maintenant c’est « mon espace » qu’il me faut. Je n’ai pas envie de partager ma cuisine avec ma belle-fille, même si elle est adorable. Attendre mon tour pour la salle de bains, vivre dans le bruit, me disputer pour du shampoing ou une brosse… — Mais enfin, maman, tu exagères ! coupa son fils. On va pas se gêner. On aura notre chambre. Nastya est calme. Et puis toi, ça te fera de la compagnie ! — Non, lâcha Irène, effrayée par la perspective. Édouard, comprends-moi. Je veux vivre seule, dans mon intimité. J’ai le droit à un peu de tranquillité après tout ce temps, non ? Édouard se renfrogna aussitôt, sentant que sa mère n’était pas ouverte à la négociation. — C’est bon, j’ai compris. Je croyais que ma vie t’importait encore. Je pensais que tu tenais à ton fils. — Bien sûr que ça m’importe. Mais il fallait y penser il y a dix ans. — J’en avais pas la possibilité ! J’ai fait ce qui était le mieux pour toi. Je t’ai laissé l’opportunité d’avoir ta vie privée. Si tu n’avais pas divorcé de papa, j’aurais mon propre appart comme tout le monde, je serais pas obligé de m’humilier ! — Va dire ça à ton père ! s’emporta Irène. La soirée avait commencé sur une note joyeuse et s’acheva sur des reproches et des larmes. Édouard reprochait à Irène de ne pas lui avoir offert « son toit », tandis qu’Irène peinait à croire ce qu’elle entendait. Après tout, elle avait donné à son fils tout ce qu’elle pouvait. … Il fut un temps où Irène ne s’inquiétait pas pour l’avenir d’Édouard. Son projet était limpide : lâcher le nid et lui laisser la deuxième appart’. Tout a volé en éclats quand le père d’Édouard, après avoir trop bu à l’anniversaire d’Irène, est allé raccompagner son amie Ludivine chez elle… et y passa la nuit. — Ben écoute, je suis belle femme, il n’a pas résisté, expliqua Ludivine à Irène. Inutile de dire que l’amie est devenue une ex-amie. Le mari, un ex-mari. Après partage, il n’est resté à Irène qu’un appartement. Longtemps, elle s’en voulu de ne pas avoir offert un vrai départ à son fils. Elle pensa même à donner la moitié de l’appart’ à Édouard, mais sa mère la freina. — Irina, ne te presse pas. Il est jeune, il fera sa vie, c’est le destin… La vie est pleine de surprises. Aujourd’hui c’est ton fils, demain qui sait ? Tu risques de te retrouver sans rien. Irène douta, mais suivit le conseil. Ce fut un choix difficile : elle avait l’impression de « voler » son fils. Pourtant, au fond, elle lui avait offert plus que la plupart des mères seules. Irène avait tout payé pour les études d’Édouard. Certes, pas une fac ni une grande école, mais le BTS fut arraché à force de petits boulots. Une fois le diplôme obtenu, elle lui dit : — Ne te précipite pas. Reste un peu avec moi. Je ne te ferai pas payer la part de charges, économise plutôt. Prends au moins un crédit, ça te sécurisera. Tu ne le vois pas encore, mais un appart’, ça aide dans la vie. Ça ne va pas baisser ! Édouard avait alors ri, haussant les épaules. — Maman, je suis adulte ! Ce n’est pas très viril d’inviter des filles chez sa mère. Pas très viril… Mais beaucoup plus « viril » de jeter de l’argent dans un loyer sans penser à l’avenir. Irène n’a jamais blâmé son fils pour ses choix. Elle s’est résignée à le voir vivre sa vie. Mais le jour où il a commencé à reporter la responsabilité sur les autres… C’était nouveau. Comme ses reproches sur le divorce. Jamais elle ne l’avait mis dehors, au contraire, elle proposait même de payer une partie du loyer. Cette nuit-là, Irène eut du mal à trouver le sommeil après leur dispute. Sa colère s’estompa, laissant place à l’évidence : elle ne voulait pas devenir nounou, cuisinière et psy gratuite pour un jeune couple. Pas question d’incarner la « maman pratique ». Mais elle ne voulait pas non plus détruire sa relation avec son fils. Alors, trois jours plus tard, quand Édouard repartit sur le crédit et le déménagement, elle décida de poser une question piège : — Dis-moi, Nastya est au courant de tes grands projets ? — demanda-t-elle sans polémiquer. Irène savait bien qu’aucune belle-fille n’accepterait, avec son propre appart’, de vivre chez sa belle-mère. Les fils y voient souvent un bon plan : maman lave les chemises, fait le petit-déj’, et prend leur parti dans les disputes… Mais les belles-filles, elles, veulent leur propre espace et mari. — Eh bien… — Édouard hésita. — On n’a pas encore vraiment évoqué la chose. Mais si tu es d’accord, après je peux négocier avec elle. Irène eut un petit sourire en coin. Nastya était donc à mille lieues de l’idée… Ça promettait. — Fiston, on fait pas comme ça. Venez tous les deux, on en discute. Tu es grand, tu sais qu’ici, c’est chez moi, donc mes règles. On parlera organisation, cuisine, partage des charges… Édouard fit la moue, acquiesçant. — D’accord. Je vais en parler à Nastya. — Fais-le. Et donne-lui le bonjour. Dis-lui que je serai ravie de la voir. Ce soir-là, Édouard ne reparla plus du projet. Irène passa la semaine suivante à guetter. Elle se préparait même à « effrayer » Nastya avec ses exigences sur la propreté, le calme, l’organisation. Mais rien ne se passa : Édouard et Nastya n’abordèrent jamais la question. Six mois plus tard, Irène rendait visite au couple. Édouard était encore un peu vexé : il s’attendait sans doute à ce que sa mère les accueille à bras ouverts. Mais le plus important : il s’asseyait avec elle à table et participait à la conversation. Les relations belle-mère/belle-fille étaient parfaites — la distance aidant. Ce jour-là, Nastya avait même fait des biscuits au sucre de coco pour Irène, connaissant sa diète avérée. Pas parfaits, mais le geste fut apprécié. Quand Édouard sortit fumer, Nastya lança la discussion : — Vous savez, sans vous tout ça n’existerait sûrement pas, confia-t-elle. On a failli se séparer. — Pourquoi ? — Pour le logement… Au début, Édouard s’est plaint que vous lui aviez refusé votre aide. Nastya lui raconta tout de sa perspective. En fait, Édouard avait expliqué à Nastya qu’il avait envisagé la solution du crédit, mais sa mère n’avait pas voulu s’impliquer. Il voulait sans doute être plaint, que Nastya le rejoigne dans sa critique d’Irène. Mais elle n’a pas suivi. — Édouard, pourquoi un crédit ? On a un bel appartement. Vivons là. Je trouve que votre mère a raison : elle doit avoir sa vie, nous la nôtre, dit Nastya. Édouard avança que c’était bizarre de vivre chez sa femme… Mais Nastya haussa les sourcils et croisa les bras, lui clouant le bec. — Regarde, un jour on aura des enfants, non ? On habitera l’un des deux appartements et l’autre sera pour notre fils ou fille. — C’est bien de penser à l’avenir, mais pas à ce prix-là ! Ce serait inconfortable pour moi. Inconfortable pour ta mère. À quoi bon ? Ils ont disputé longtemps, plusieurs fois. Mais ça finissait toujours quand Nastya rappelait qu’elle ne voulait pas gêner la mère d’Édouard, ni demander quoi que ce soit en ayant déjà son logement. Édouard a insisté, puis fini par céder. Il s’est sûrement rendu compte que Nastya préférerait divorcer que d’emménager chez sa belle-mère. — Si vous aviez laissé faire ou voulu qu’on vienne, j’aurais peut-être dit oui, confia Nastya. Au final, tout le monde aurait souffert pour rien. Mais là, sachant que ni vous ni moi n’en voulions… Eh bien on s’est évité des ennuis. Irène était d’accord. Elle avait réussi à détourner le conflit avec son fils, et à garder son espace. Oui, Édouard a choisi l’amertume, Irène, elle, s’est choisie elle-même. Chacun a gardé son territoire. Édouard commence à bâtir son foyer. Nastya a gardé son mari qui, bon gré mal gré, l’a comprise. Et Irène a dissipé sa culpabilité, retrouvant son droit à l’espace et au silence…
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