Cercle de Soutien : Un Voyage Émotionnel au Cœur de l’Amitié et de la Confiance

13mai2025

Je repense à mes premiers mois avec mon petit Léo. Dans ma mémoire se mêlent lodeur du lait chaud, les tétées nocturnes, mais aussi ce profond sentiment disolement. Tout le monde autour de moi ne faisait que chanter les louanges dêtre maman, de dire que les enfants transforment la vie en une fête. Personne névoquait la terreur de rester seule avec un bébé qui pleure, la tête encore couverte de cheveux, au troisième jour sans sommeil.

Marc, mon mari, travaillait en horaires fractionnés à la SNCF et rentrait tard, souvent après minuit. Ma mère habitait à Marseille ; elle venait une semaine, puis repartait. Les amies qui navaient pas encore denfants venaient une ou deux fois avec des cadeaux, puis déclaraient quelles « ne voulaient pas gêner » et quelles nous laisseraient « nous débrouiller ». Je souriais au téléphone, jacquiesçais, et je me retrouvais dans la cuisine, en vieux tshirt, à écouter le petit Léo gémir, à me demander si quelque chose nallait pas chez moi parce que je ne ressentais pas ce bonheur ininterrompu que lon décrit.

Le plus dur nétait pas le manque de sommeil. Cétait la honte de pouvoir dire que je suis fatiguée, comme si cela faisait de moi une mauvaise mère. Je gardais le silence, parcourais les forums sur mon téléphone, lisais les récits dautres mamans. Savoir quil existait dautres femmes qui peinaient à prendre leurs repas, qui pleuraient dans les douches, mallégeait le cœur.

Les années ont passé. Léo a rejoint la maternelle de SaintÉtienne. Jai repris un emploi à temps partiel au cabinet comptable de mon oncle, et je retrouvais enfin des conversations qui ne tournaient pas autour des couches et des purées. Mais le souvenir de ces soirées seules dans la cuisine, à faire semblant dêtre suffisante, restait comme une écharde sous la peau. Lorsque, dans le groupe WhatsApp du quartier, on a annoncé que la maison des associations recherchait des textes pour le concours de la Fête des Mères, je nai pas pensé à écrire sur mon fils, mais plutôt à ce que nous disons très peu les unes aux autres : demander de laide.

Pendant deux jours, cette idée me trottait dans la tête. Le soir, après avoir couché Léo et débarrassé la table, jai ouvert mon ordinateur portable. Au lieu dun texte pour le concours, jai rédigé un long message pour le chat de notre immeuble :

« Bonjour à toutes les mamans du quartier. Quand mon fils était bébé, jai ressenti un grand manque de soutien. Que diriezvous de créer un petit cercle dentraide? On pourrait se rencontrer, échanger nos expériences, se prêter mainfort pour les courses ou les rendezvous médicaux. »

Jai ajouté que je pouvais garder Léo quelques heures si quelquun devait aller à la polyclinique ou à un entretien, puis jai appuyé sur «envoyer». Mon cœur a battu plus fort, comme si javouais un secret intime.

Le chat est resté muet quelques minutes. Je commençais à douter, quand soudain une voisine, Claire Martin, a écrit: «Je soutiens. Jy pensais depuis longtemps mais je nosais pas proposer.». Une autre, Éléonore Dubois, a répondu: «Jai vraiment besoin daide. Jai deux enfants, mon mari travaille en horaires découpés, parfois je nai personne pour garder les bouts de pain.».

En soirée, une dizaine de personnes ont mis un «+» ou ont signé leur intérêt. Nous avons convenu de nous retrouver samedi à la salle de la maison des associations. Jai appelé la responsable, expliqué que nous aurions besoin de deux heures despace, et on ma répondu que la salle était disponible, à condition dapporter des chaussures de rechange et de veiller nousmêmes sur les enfants.

Le samedi était gris, avec une fine poudreuse. Arrivée un peu en avance, jai aidé la bénévole à disposer les chaises le long du mur, jai vérifié que le thermos du café ne fuyait pas, préparé du thé simple et des biscuits maison pour détendre latmosphère.

Les premières à arriver furent une jeune maman avec une poussette et son petit garçon de trois ans qui a fondu vers le toboggan. Elle sest présentée sous le nom dAurélie Lefèvre, a retiré son écharpe et a jeté un regard autour, comme pour sassurer quelle nétait pas dans la mauvaise salle. Ensuite est venue une femme avec une fillette serrant un lapin en peluche. Puis un couple avec deux garçons qui débattaient pour savoir qui monterait dabord sur le trampoline.

Nous nous sommes installées sur les chaises, dautres sur le tapis. Au début, les conversations étaient polies: conseils sur les bottes dhiver, recommandations de dessins animés peu bruyants. Je sentais une légère tension dans lair, comme si chacune attendait le moment où lune delles allait se plaindre et créer lembarras.

«Je vais peutêtre commencer», aije annoncé quand le sujet des prix a de nouveau émergé. «Jai lancé ce groupe parce quà lépoque, javais peur davouer que javais du mal. Je pensais que si je disais que jétais fatiguée, on me jugerait. Puis, en lisant les témoignages dautres mamans en ligne, jai compris que nous vivions toutes la même chose, mais que nous nous taisions.»

Jai raconté brièvement mes premiers mois avec Léo, sans dramatiser, sans édulcorer. Jai parlé de la peur de le laisser cinq minutes seul, du jour où je navais parlé à aucun adulte de la journée. Aurélie acquiesçait, tandis quune autre, Claire, jouait avec le bas de son pull.

Soudain, Claire a déclaré: «Moi, cest pareil. Mon petit a huit mois, mon aîné quatre ans. Mon mari travaille sur les chantiers, il rentre tard. Je reste parfois dans la cuisine, et si je parle, ma voix se casse parce que je suis muette toute la journée.»

Ces mots ont brisé le barrage. Les unes après les autres, les femmes ont partagé leurs peurs: la maladie dun enfant, le jugement des proches qui pensent que lon «ne fait que rester à la maison», la crainte de retourner travailler parce quon ne sait pas comment la petite sadaptera à la maternelle, la gêne à demander de laide à la bellemère.

Nous avons parlé pendant presque deux heures. Les enfants, entre deux jeux, venaient réclamer notre attention. Certains prenaient un biberon, dautres changeaient une couche derrière un paravent. Peu à peu, la salle sest réchauffée, non pas grâce au chauffage, mais grâce à notre honnêteté partagée.

À la fin, nous avons décidé de créer un chat dédié uniquement à notre cercle. Jai proposé le nom «CercleduSoutien», ajouté les contacts présents, et dès le soir même, les premiers messages sont arrivés :

«Demain je dois emmener mon petit chez le neurologue, je nai personne pour le garder après la maternelle.»
«Jhabite à côté, je peux le récupérer.»
«Quelquun a déjà géré une allergie au lait?»
«Nous lavons eu, je peux partager ce qui a fonctionné et le numéro du pédiatre.»

Ce qui était au départ une idée vague dentraide sest transformée en actions concrètes. Nous avons établi un tableau indiquant qui pouvait couvrir quels créneaux, pas forcément toute la journée, mais par exemple récupérer un enfant à la sortie et garder deux heures pendant quune maman va à la pharmacie. Une habitante du quartier, MarieChristine Brun, professeure de maternelle, a proposé dorganiser chaque semaine des ateliers gratuits de chansons et de jeux de doigts pour nos toutpetits. Une autre, Véronique Lemoine, experte en démarches administratives, a aidé plusieurs dentre nous à obtenir des allocations dont elles ignoraient lexistence.

Le récit qui ma le plus marquée est celui dOlivia Durand. Elle a rejoint notre troisième rencontre, timide, les yeux baissés, un bébé dà peine un mois dans les bras. Elle a expliqué que son mari était parti travailler à létranger pour six mois, que sa mère habitait à la campagne et que, seule, elle peinait à porter les courses, à faire les lessives, à gérer les nuits sans sommeil. Son visage était marqué par une fatigue profonde que je nai pu retenir.

Nous avons immédiatement décidé dapporter une soupe et des boulettes maison le lendemain, de passer deux soirées chez elle pour quelle puisse prendre une douche et se reposer un peu, et de nous relayer pour livrer des provisions afin quelle nait plus à porter de lourds sacs. Quelques semaines plus tard, Olivia souriait davantage, son bébé dormait mieux, et elle nous a confié quelle pouvait enfin se rendre à la polyclinique sans panique, car elle savait que le chat était là pour la soutenir.

Un autre souvenir fort concerne une mère comptable, Sophie Lambert, qui redoutait de «tomber» du monde professionnel après son congé maternité. Nous lavons aidée à rédiger son CV, à garder sa petite pendant ses entretiens, et lorsquelle a décroché un poste, nous avons fêté cela avec une part de tarte aux pommes et du thé.

Progressivement, notre petit projet a dépassé les réunions du samedi. La maison des associations nous a accordé un créneau régulier pour nos ateliers. Une maman a négocié avec la bibliothèque pour organiser chaque mois une heure de lecture partagée. Nous avons mis en place un système déchange de vêtements et de couchesculottes, afin de ne plus acheter de nouveaux ensembles chaque saison.

Un jour, la directrice de la maternelle voisine, MmePerrin, a entendu parler de notre groupe grâce à une éducatrice et a proposé dorganiser une assemblée parentsenseignants sous forme de dialogue, plutôt que de simple conférence. Jai accepté dy prendre la parole, même si je ne suis ni pédagogue, ni psychologue, juste une mère qui se souvient du sentiment dêtre «une île perdue» au milieu du silence.

Le soir précédant lassemblée, jai attendu dans le couloir de lécole, le bruit des enfants et le cliquetis des blocs résonnant derrière moi. Le papier avec mes notes tremblait entre mes mains. Jai inspiré profondément, puis suis entrée dans la salle où déjà des parents et des éducateurs étaient assis.

Jai commencé en racontant comment, à lorigine, un simple message dans le chat du quartier a donné naissance à un cercle de soutien, comment nous étions passées de cinq à une trentaine de mamans, puis à des familles entières. Jai évoqué les histoires dOlivia, de Sophie, des moments où nous nous sommes épaulées pour aller chez le médecin ou remplir des dossiers. Jai souligné que beaucoup dentre nous ont du mal à demander de laide, par peur de paraître faibles, et que parfois il suffit dentendre «je ressens la même chose» pour alléger le fardeau.

Après mon discours, le silence sest installé un instant. Une femme au tailleur strict, mère dun garçon en petite section, a levé la main et a confessé avoir traversé une dépression postpartum sans jamais en parler. Elle a déclaré: «Si javais eu ce type de communauté, cela aurait été plus facile.» Elle a soutenu lidée. Un père, Thierry Boulanger, a proposé daider à la mise en place dun questionnaire où chaque parent indique ses disponibilités et ses compétences. Léducatrice a ajouté que lécole pouvait mettre à disposition la salle chaque premier vendredi du mois.

Je suis restée là, le cœur battant, sentant le cercle de solitude qui mentourait autrefois se dissoudre, remplacé par un anneau de personnes prêtes à se soutenir les unes les autres.

Après la réunion, les parents sont venus me parler, mont posé des questions, mont laissé leurs numéros. Une mère, Amélie, a exprimé sa peur que personne ne vienne aux premières rencontres. Je lui ai souri et répondu que même deux personnes constituent déjà un bon départ.

Un mois plus tard, le groupe autour de lécole fonctionne réellement. Nous aidons les nouvelles mamans à préparer les documents, nous organisons des balades collectives, nous partageons des recettes, des idées dactivités. Une habitante du quartier, JeanneLacroix, a même mis en place une petite classe de chant gratuit chaque mercredi.

Cette année, jai finalement soumis un texte pour le concours de la Fête des Mères. Ce nétait pas un récit de mamans parfaites qui réussissent tout, mais bien celui de femmes qui parfois ny arrivent pas mais nhésitent pas à tendre la main. Mon texte a reçu la deuxième place, accompagné dun certificat et dun petit livre de pédagogie. Le vrai cadeau, cest cependant le réseau de dizaines de familles qui savent quen cas de besoin, il suffit denvoyer un message dans le chat du quartier.

Aujourdhui, mon fils prépare son sac pour lécole, nos rencontres continuent, mais le format a évolué. Nous ne sommes plus seulement des mamans de toutpetits; il y a aussi des parents dadolescents, des grandsparents, des enseignants. Nous échangeons sur les devoirs, les relations avec les professeurs, les révoltes des ados. Parfois, quelquun apporte une tarte, parfois un flyer dinformation, parfois simplement sa fatigue et son désir dêtre entendu.

Des parents dautres arrondissements me contactent pour savoir comment nous nous sommes organisés. Je leur réponds toujours la même chose: tout a commencé par une confession honnête, un petit pas le message dans le chat. Puis la première rencontre, puis le tableau des créneaux dentraide, puis le dialogue à la maternelle. Je ne me considère pas comme une héroïne; je nai fait quarrêter de faire semblant dêtre autonome. Et il savère quil y a beaucoup de gens prêts à aider, qui attendaient simplement que lon dise: «Jai besoin daide. Et toi?»

Je pense parfois à lavenir, à la possibilité de formaliser ce cercle, de le déclarer association, dobtenir des locaux, dorganiser des rencontres dans les bibliothèques pour ceux qui nhabitent pas à proximité. Mais même si cela ne se concrétise pas, lessentiel est déjà en place: dans notre ville, moins de mamans restent seules à la cuisine à se dire quelles sont les seules à vivre cela. Il y a un chat où lon peut écrire à 3h du matin et où quelquun répondra au matin. Une voisine peut récupérer un enfant à la sortie. Une amie a déjà traversé la même tempête et partage maintenant son expérience.

Je termine ce journal alors que la porte souvre bruyamment. Léo revient de la promenade avec son père, enlève ses bottes, raconte avec enthousiasme le bonhomme de neige quil a construit dans la cour. Je prends son bonnet, écoute son récit décousu et réfléchis à tout ce qui dépend de notre capacité à faire le premier pas vers lautre.

Si vous lisez ces lignes et vous reconnaissez, sachez que vous nêtes pas seule. Il y a probablement, dans votre immeuble, votre jardin denfants ou votre école, dautres parents qui ressentent la même chose. Écrivezleur, proposez un thé, une discussion sur la vie avec les enfants, les joies et les peurs. Dressez une petite liste de qui peut aider et quand. Que ce soit trois personnes et une soirée par mois, cest déjà un début. Parfois, un simple «je suis là» suffit à changer la vie de plusieurs familles.

Tout le reste viendra, petit à petit, avec ceux qui diront un jour: «Je suis avec toi. Essayons ensemble.».

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Il a choisi son travail plutôt que moi