Après le décès de ma femme, jai découvert dans le tiroir du bureau une enveloppe portant mon prénom: «Théodore». Ce que jy ai trouvé a bouleversé ma vie du tout au tout.
Les funérailles ont été sobres, sans discours pompeux ni foule. Seul le cercle intime était présent. Ma défunte naimait jamais les attroupements, même de son vivant. Dès que le cercueil a été descendu, la maison a semblé se couvrir dun silence pesant, comme un manteau humide qui saccroche aux épaules.
Je ne parvenais plus à dormir, à manger, à penser. Jerrais de pièce en pièce, effleurant les objets qui lui appartenaient : le pull préféré replié sur le dossier du fauteuil, la trace parfumée de leau de Cologne sur le col de sa chemise, le roman inachevé posé sur la table de chevet.
Quelques jours après lenterrement, jai décidé de ranger le tiroir où elle conservait ses papiers. Jy connaissais chaque pli: factures, notices dappareils, vieilles garanties. Mais sous la pile habituelle, une enveloppe blanche ma sauté aux yeux. Simple, sans ornements, mais inscrite à la main dun seul mot: «Théodore».
Mon cœur a manqué un battement. Je me suis assis, les mains tremblantes, et jai ouvert lenveloppe. À lintérieur se trouvait une lettre, non pas un texte bâclé, mais une missive longue, soigneusement rédigée, chaque mot pesé, chaque lettre dessinée à la façon de son écriture, que je reconnaissais mieux que la mienne.
«Si tu lis ces lignes,» commence-t-elle, «cest que je ne suis plus là. Pardonnemoi de ne pas tavoir tout dit. Jai voulu le dire, mais je nai pas pu. Javais peur de tes larmes, peur de troubler la quiétude qui te revient».
Je poursuivais la lecture, les larmes coulant à chaque phrase. Elle savait depuis plus dun an quelle était atteinte dun cancer du pancréas, un diagnostic impitoyable dont le médecin ne prévoyait que quelques mois.
Pourtant, elle avait choisi le silence. Elle sest soignée discrètement, allait seule aux examens, supportait la douleur en solitaire, et pendant tout ce temps, elle faisait comme si tout allait bien: «juste de la fatigue, du stress, un rhume», me disaitelle. Jy croyais.
Dans sa lettre, elle mexpliquait quelle voulait mépargner la souffrance. Elle ne supportait pas lidée que je la voie dépérir. Elle voulait que je garde «un mari normal» le plus longtemps possible. Elle ajoutait quelle ne regrettait pas sa vie, que le plus grand bonheur était dêtre à mes côtés. «Je navais pas tout,» écrivaitelle, «mais je tavais, et cela valait plus que tout ce que je pensais mériter».
Elle me suppliait de ne pas menfermer dans le deuil, de vivre. Elle voulait que je réalise le voyage que javais toujours rêvé de faire, même si le courage me manquait. Elle me demandait de me permettre de sourire, même si les premiers rires étaient teintés de larmes. «Car si tu continues à vivre,» disaitelle, «cest comme si je demeurais encore un peu à tes côtés».
Je tenais cette lettre comme si elle contenait le fil de notre histoire partagée. Le chagrin me serrait la gorge: je navais pu lui dire adieu, je ne lavais pas su, je nai pu laccompagner jusquau bout. Mais en même temps, je ressentais une profonde émotion, une tendresse infinie, un amour qui survit à la mort.
Des semaines ont passé depuis. Je reviens souvent à cette missive, que je garde dans un petit coffret près du lit. Parfois, je lis à voix haute des passages, comme si elle était encore là.
Jai aussi commencé à sortir, à retrouver des gens, à minscrire à des ateliers de peinture, une activité qui meffrayait autrefois. Je me suis rendu un weekend à Trouville, où nous marchions autrefois main dans la main sur le sable.
Je sais quelle aurait voulu cela. Quelle désirait que je continue davancer. Non pas malgré son départ, mais grâce à lamour quelle ma laissé.

