Tes affaires t’attendent devant l’ascenseur. Prends-les et pars — Dasha, pourquoi tu t’es enfermée ? — Il souriait, mais l’inquiétude traversa son regard. — J’ai changé la serrure, Romain. — Pourquoi ? — Son sourire s’effaça. — Parce que j’ai appris de mes erreurs. Tes affaires sont devant l’ascenseur. Prends-les et va-t’en. Dasha a quarante-six ans, son «Roméo» en a cinquante et un. Une différence d’âge parfaite, deux adultes marqués par la vie, sans illusions. Derrière elle : un divorce longtemps digéré. Derrière lui : deux drames… Ensemble, ils semblaient former un couple idéal. Romain complimentait toujours sa compagne : — Ça sent tellement bon ici ! Tu es magique, Dasha. — Ce n’est qu’une simple tarte aux pommes, — disait-elle en rougissant. — Mange tant que c’est chaud. Le seul défaut de Romain, c’était son habitude d’évoquer le passé. — Tu sais, à Lucie aussi je préparais le petit-déj le week-end. Je faisais des crêpes. Mais elle me reprochait de gâcher la farine. Il racontait comment son ex avait fini par tout lui prendre, même la poêle offerte par sa belle-mère : — Elle est mesquine, disait Dasha. Se disputer pour quelques poêles… Romain poursuivait : — Si ce n’était que les poêles ! Tout l’appart y est passé. Elle a mis à son nom pendant que je bossais à droite à gauche pour la famille. La voiture, elle l’a cédée à notre fils, qui n’avait même pas le permis ! J’ai quitté la maison avec un sac de sport : caleçons, chaussettes et brosse à dents. Dasha avait pitié de lui. Comment peut-on ignorer des années de vie commune et jeter quelqu’un à la rue comme un chien abandonné ? — Et la deuxième ? — demandait-elle timidement, même si elle connaissait l’histoire par cœur. — On s’est vite compris, quatre ans de galère. Là aussi, la belle-mère s’est mêlée de tout. On a divisé les dettes, l’enfant, et voilà, j’ai tout laissé derrière moi. Je n’allais pas me battre contre une femme, je suis un homme, je retrouverai. « Un homme vrai », pensait Dasha avec respect. Un autre se serait battu pour chaque fourchette, lui est parti la tête haute. — Mon appart est grand, il y a de la place, — avait-elle proposé au début de leur relation, trois mois plus tôt. — Et j’ai une maison de campagne. J’aurais besoin de bras. — Dasha, ça me gêne, avait-il baissé les yeux. Je travaille, je ne suis pas un parasite… — Ne dis pas de bêtises. À deux, c’est plus facile. Il avait fini par s’installer chez elle, avec peu de choses : une valise usée, des costumes défraîchis et un ordinateur portable. Dasha l’entourait de soins. Elle voulait lui montrer que toutes les femmes ne sont pas des prédatrices. Avec son ex-mari, Vadim, ils s’étaient séparés d’un commun accord, sans drame. Tout avait été partagé et il versait la pension jusqu’à la fin des études de leur fille. Mais Romain était différent. *** Le premier signal d’alerte revint un mois après l’emménagement. Une petite chose, mais… Romain dit qu’il allait bricoler acheter des charnières pour le placard de l’entrée. — J’en ai pour cinq minutes ! Il revint au bout de quatre heures, sans charnières. — Tu te rends compte, fermé pour inventaire ! Toute la ville, j’ai fait, y avait rien à la bonne taille. — Fermé pour inventaire un samedi ? Ils sont ouverts 24h/24… — Le bazar, quoi. Il y avait une note, c’est tout. — C’est bizarre. Bon, tant pis, on verra la prochaine fois. Le soir, la voisine du palier, tante Valérie, ramenait de gros sacs du même magasin. Dasha : — C’est pas trop lourd ? — Oh, t’imagines pas ! Il y avait des promos aujourd’hui, les rayons bondés. Fallait se battre à la caisse ! Dasha, interloquée : — Il n’était pas fermé pour inventaire ? — Mais non ! Il tourne à plein régime. J’y étais il y une heure ! Elle est rentrée le cœur serré. Pourquoi avait-il menti ? Il serait allé voir un pote, aurait bu un café… Pourquoi inventer une histoire de magasin fermé ? Romain, lui, zappait à la télé, imperturbable. — Rom’, j’ai croisé la voisine tout à l’heure. Elle venait du magasin. C’était ouvert. — Ouais ? Ben, ça a réouvert. Quand j’y étais, il y avait écrit « pause technique 15 minutes ». J’ai attendu puis j’ai laissé tomber, je suis allé ailleurs, y avait rien. — Tu avais dit pour inventaire. Et que tu avais fait toute la ville. — Dasha, tu vas pas chipoter pour des mots ! Pause, inventaire… Qu’est-ce que ça change ? J’ai pas trouvé, j’ai pas trouvé, c’est tout. On verra demain. Tu dramatises pour rien. Dasha se sentit coupable. Pourquoi insister ? Peut-être a-t-il confondu… les hommes ne retiennent pas les détails. La semaine suivante, rebelote. Un entretien d’embauche soi-disant décroché par son ancien patron, une promesse d’un super job — mais le soir, il rentra dépité : — C’est de l’arnaque ! On m’a mené en bateau, payé des clopinettes pour bosser comme un chien. Je leur ai dit de trouver un autre pigeon. — C’est dommage. C’est qui, ton contact, Ivan ? — Quel Ivan ? Ah non, c’était Serge, l’ex-directeur adjoint. Ivan est à la retraite depuis longtemps… Pourtant trois jours auparavant, il disait tout le bien de ce fameux Ivan. « Peut-être que c’est moi qui ai la mémoire qui flanche… », pensa-t-elle. Le soir, son téléphone vibra, un SMS apparut sur l’écran : « Chéri, quand comptes-tu rembourser ta dette ? Un mois déjà. Ce n’est pas joli d’ignorer les gens. » Le matin, au petit-déjeuner : — Romain, t’as reçu un message cette nuit. On demande de l’argent. Romain avala de travers, rougit jusqu’aux oreilles : — Ça doit être une erreur, des spammeurs, y en a partout… — Pourtant ça commençait par “Chéri”… Il éclata de rire, un rire forcé. — Encore des escrocs, ils savent y faire pour t’appâter. N’y prête pas attention ! Il attrapa son téléphone, trifouilla nerveusement dedans. Il lança ensuite : — Dis, ma fille de mon premier mariage, Catherine, a des soucis… Son fils est malade, faut de l’argent pour les médicaments. — Combien ? — Quinze mille. J’ai personne d’autre, tu me sauverais la vie, dès que je bosse je te rembourse… — Quinze mille. C’est quoi, la maladie ? — Euh, allergie grave, œdème de Quincke, maintenant c’est la rééducation… — D’accord. Elle lui tendit l’argent. — Merci ma belle ! s’exclama-t-il, l’embrassant sur la joue. Catherine va t’adorer. Toute la journée, Dasha eut la nausée. Ce n’était pas tant l’argent. Elle sentait sur la peau que Romain lui mentait. Un soir, il avait laissé une vieille tablette à charger au salon. Dasha connaissait son code : quatre fois le 1. Elle consulta la messagerie. Conversation avec sa fille : « Papa, tu comptes payer la pension ? Maman menace de saisir les huissiers. On n’a plus rien à manger et tu racontes des histoires. » Réponse : « Attends, je suis en train d’arnaquer une “pigeonne”. Bientôt, je régularise. Me mets pas la pression. » Elle tomba sur un autre échange avec une certaine Tania. « Chéri, tu viens ? J’attends. Tu avais promis d’apporter quelque chose. » Réponse : « J’arrive, ma puce. Je viens de soutirer du fric à ma “radine” sous prétexte du petit-fils malade. À tout de suite. » Dasha reposa la tablette. Tout s’éclaircit. Toutes ces “mauvaises femmes” qui l’auraient dépouillé… Aucun monstre. Juste des femmes usées par le mensonge. Ce n’était pas une victime. Mais un parasite. Elle prit de grands sacs poubelle, vida toutes ses affaires dedans : costumes, chemises, accessoires. Puis elle changea la serrure ; heureusement, elle savait faire, il restait encore un cylindre de rechange. *** Romain tenta sa clé, échoua, sonna. Dasha ouvrit sans décrocher la chaîne : — Dasha, pourquoi t’as tout bouclé ? Et la serrure est cassée… — J’ai changé la serrure, Romain. — Pourquoi ? — Parce que la “pigeonne” a compris la leçon. Tes affaires sont devant l’ascenseur. Prends-les et fous le camp. — Qu’est-ce que tu racontes ? — T’as cru pouvoir me plumer tranquille ? J’ai lu tes messages à Catherine et Tania. Il blêmit. — Tu t’es permise d’ouvrir ma tablette ? Mais t’as pas le droit ! — Et toi, tu n’as aucun droit ici. Ni sur mon appartement, ni sur mon portefeuille ! Tu n’es qu’un voleur et un menteur ! — Va au diable ! fit-il en hurlant, t’es qu’une vieille chaussette ! J’ai eu pitié de toi, vu que tu savais cuisiner ! — Prends tes affaires. Les quinze mille, considère-les comme ton cachet de clown. C’est donné. Il voulut riposter, mais Dasha ferma la porte sans un mot. Puis elle jeta sa tasse et son assiette favorite à la poubelle. Son ex-mari lui écrivit : « Bonjour. Notre fille m’a dit que tu as un robinet à réparer à la campagne. Je peux passer samedi. Comment vas-tu ? » — Bonjour ! Viens donc, il y aura du thé et une tarte aux pommes. Je vais bien. Même mieux qu’avant. *** Romain tenta encore de l’approcher, passa des soirs entiers à pleurnicher puis à menacer, jusqu’à ce qu’un passage au commissariat règle l’affaire. Dasha n’avait plus besoin de rien d’autre. Seulement le calme, la tranquillité… et le luxe d’être seule. Tes affaires sont devant l’ascenseur. Prends-les et pars.

Tes affaires sont devant lascenseur. Prends-les et pars.

Ma Lucile, pourquoi tu tes enfermée ? Il souriait, mais une inquiétude vibrait au fond de ses yeux.
Jai changé la serrure, Armand.
Pourquoi ? Son sourire seffaça.
Parce que jai enfin compris. Tes affaires sont devant lascenseur. Ramasse-les et va-ten.

Lucile avait quarante-six ans, son « Roméo » à elle, Armand, cinquante-et-un. On aurait cru que cétait la combinaison parfaite : deux adultes échaudés par la vie, sans illusions ni songes dadolescents.

Lucile avait derrière elle un divorce depuis longtemps digéré, Armand, deux drames Ils semblaient former un couple solide.

Armand ne tarissait jamais déloges sur sa compagne :

Ça sent bon ici, disait-il en croquant dans une part de tarte. Tu es une petite fée, Lucile.

Oh, ce nest quune pauvre tarte aux pommes, balbutiait-elle en rougissant. Mange pendant que cest chaud.

Le seul défaut dArmand, que Lucile avait du mal à supporter, cétait sa manie de ressasser le passé.

Tu sais, même pour Margot, je cuisinais. Le week-end, je faisais des crêpes. Elle me répétait que je gâchais la farine.

Tu imagines ? « Armand, franchement, tout ce que tu sais faire, cest gaspiller les ingrédients. »

Et quand on sest séparés, elle a tout emporté, même les poêles à crêpes. Elle tenait à dire : « Cadeau de maman, ny touche pas. »

Quelle mesquinerie, soupirait Lucile. Se disputer pour des poêles

Oh, si ce nétait que ça ! Armand lâchait un rictus amer. Elle a tout vidé.

Lappartement, elle la mis à son nom du temps où je partais en déplacement pour rapporter de quoi vivre.

La voiture est partie chez mon fils. Dix-huit ans tout juste, même pas son permis.

Je suis sorti de la maison avec un vieux sac de sport. Vraiment : caleçons, chaussettes, brosse à dents.

Lucile éprouvait une grande compassion. Comment est-ce possible, pensait-elle ? Passer des années avec quelquun et le chasser comme un chien galeux.

Et la deuxième ? interrogeait-elle tout bas, tout en connaissant déjà lhistoire par cœur.

On a compris très vite que ça ne pouvait pas marcher. Quatre ans à se traîner. Là aussi La belle-mère sen est mêlée.

On a commencé à vouloir partager, mais il ny avait rien à partager, sauf les dettes et lenfant. Je suis parti, jai tout laissé. Je ne vais pas me battre avec une femme, ce nest pas mon genre. Je suis un homme, je me referai.

« Un homme », pensait Lucile avec respect. Digne, noble ; un autre se serait accroché à chaque fourchette, mais lui était parti la tête haute !

Jai un grand appartement, il y a de la place, avait-elle proposé au début, il y a trois mois. Et jai aussi une petite maison de campagne. De louvrage masculin serait le bienvenu.

Lucile, je me sens mal à laise, baissait-il les yeux. Je ne suis pas un parasite. Je cherche un travail stable, je vais me remettre

Ne dis pas de bêtises. À deux, cest plus facile.

Il a fini par emménager. Il navait pas grand-chose : une valise élimée, deux costumes passés de mode, et un vieil ordinateur portable.

Lucile le couvrait dégards. Elle sentait quelle voulait réchauffer cet homme, lui prouver que toutes les femmes ne sont pas des prédatrices.

Avec son ex-mari Antoine, elle était restée en bons termes juste lamour qui sétait éteint. Ils avaient partagé puis vendu lappartement, chacun en avait racheté un plus petit.

Antoine versait la pension à temps tant que leur fille étudiait, envoyait un SMS pour le Nouvel An. Un peu sec, mais régulier.

Armand, cétait tout autre chose.

***

Le premier doute surgit après un mois de vie commune.

Un détail, mais

Armand annonça quil allait chez Castorama acheter des charnières pour la porte du placard de lentrée qui pendait.

Je reviens vite, lança-t-il du couloir. Jen ai pour une heure.

Il fut parti quatre heures, rentra sans charnières.

Figure-toi que cétait fermé ! sécria-t-il tout agacé en ôtant ses chaussures. Ils faisaient inventaire ou je ne sais quoi. Jai couru tout Paris, rien trouvé à la bonne mesure.

Lucile sétonna :

Fermé chez Castorama, un samedi ? Mais ils sont ouverts non-stop

Justement ! Cest le foutoir ! Y avait un mot sur la porte.

Bizarre, haussa-t-elle les épaules. On verra demain.

Le soir, en sortant les poubelles, Lucile croisa Madame Paulette, la voisine. Elle rentrait, chargée dun énorme cabas de produits, tout droit de chez Castorama.

Ce nest pas trop lourd ? demanda Lucile en tenant la porte.

Oh, si tu savais ! Mais avec les soldes daujourdhui, il y avait un monde fou, jai dû faire la queue.

Lucile se figea.

Tant de monde Mais ce nétait pas fermé ?

Paulette la regarda comme une folle.

Fermé ? Mais non ! Jen viens à linstant.

Lucile remonta chez elle, le cœur battant.

Pourquoi avait-il menti ? Sil avait voulu voir un ami, traîner dans un bistrot quil le dise ! Pourquoi inventer ce magasin soi-disant fermé ?

Armand était devant la télé, zappant paresseusement.

Dis-moi, tâcha-t-elle de parler posément. Jai croisé Paulette, elle rentrait de Castorama. Elle dit que cest ouvert.

Armand ne détourna pas les yeux de lécran. Son visage resta de marbre.

Ah, ils ont rouvert. Quand jy étais, ils affichaient « Pause technique 15 mn ».

Jai attendu une demi-heure, personne nest venu, alors je suis parti au marché, mais rien non plus.

Tu avais dit « inventaire ». Et que tu avais fait le tour de la ville.

Il se retourna enfin, un air sincèrement déconcerté.

Lucile, pourquoi tu chipotes ? Inventaire ou pause, quelle importance ? Jai rien acheté, voilà tout. Demain, jy retourne. Pas la peine den faire un drame.

Lucile sen voulut. Cest vrai, pourquoi insister ? Peut-être avait-il mal retenu les détails Les hommes et les détails

Mais la semaine suivante, même histoire. Armand raconta quil avait été appelé pour un entretien dans une boîte sérieuse.

Une vraie belle boîte, Lucile. Bon salaire, tu vas voir ! Je tachète un manteau, si ça marche.

Le soir, il rentra sombre.

Alors ? sinquiéta Lucile.

Bah, une arnaque. Ils promettaient une chose, en fait cétait misérable, et des horaires de forçat. Je leur ai dit : allez pêcher dautres pigeons !

Dommage Ça ira, tu trouveras ! Cest qui qui ta contacté ? Monsieur Lemoine ?

Lemoine ? Il fronça les sourcils, lair de ne pas comprendre.

Tu mas dit que cétait ton ancien patron.

Ah, ça ! Non, cétait Serge, ladjoint. Javais de bon rapports avec lui.

Lemoine est à la retraite depuis longtemps, détourna-t-il vite les yeux, filant se laver les mains.

Lucile en était certaine pourtant : trois jours plus tôt, il lui avait raconté comment Lemoine lui avait serré la main à son départ, promettant de le reprendre.

« Jai la mémoire qui flanche ? » pensa-t-elle.

Plus tard, alors quArmand dormait, son téléphone vibra sur la table de nuit.

Lucile navait jamais fouillé dans le portable dun autre cétait contre ses principes. Mais lécran sétait allumé et on pouvait lire :

« Chéri, alors, ce remboursement ? Ça fait un mois. Pas sympa de mignorer »

Numéro inconnu.

***

Au petit-déjeuner, Lucile aborda le sujet :

Armand, tu as reçu un texto cette nuit. On réclame un remboursement.

Armand sétouffa avec sa tartine. Il rougit aussitôt.

Ils se sont trompés, cest du spam. Il y a plein darnaques maintenant

Pourtant, cétait écrit chéri.

Il ricana, mais cétait un rire forcé.

Justement ! Ils savent sy prendre avec les clients, ces filous. Ny pense pas, Lucile.

Il attrapa rapidement son téléphone et effaça le message dune main fébrile.

Au fait, fit-il, changeant brusquement de sujet. Ma fille Clara, de mon premier mariage Son garçon est malade. Elle pleurait au téléphone.

Je peux pas refuser, cest mon sang, tu comprends ?

Bien sûr, Lucile se raidit. De combien as-tu besoin ?

Mille deux cents euros. Impossible demprunter ailleurs. Tu me dépannes ?

Dès que je bosse, je te rends chaque sou.

Lucile le fixa.

Mille deux cents euros, répéta-t-elle. De quoi souffre-t-il ?

Eh bien une vilaine allergie. Œdème de Quincke, rééducation en cours.

Je comprends.

Elle se leva, prit lenveloppe dans le tiroir de la commode.

Tiens.

Merci, mon ange ! Il sempressa de lembrasser. Tu es en or. Clara te bénira.

Toute la journée, Lucile se sentit nauséeuse. Non pas pour largent ; ça, on en gagne.

Elle sentait, jusquau fond de la peau, quArmand lui mentait.

Elle se rappela que le vieil iPad dArmand traînait dans le salon. Il ne sen servait presque jamais ; tout passait par son téléphone.

Elle connaissait le code : quatre fois le un. Il lui avait confié pour retrouver un film.

Elle ouvrit ses réseaux sociaux. Dans les messages, une conversation avec Clara Armand.

Quelques mots :

« Papa, tu comptes payer ta pension quand ? Maman menace dalerter la justice. On na plus de quoi manger, tu caches toujours la vérité ! »

La date la veille.

Réponse dArmand :

« Clara, sois patiente. Je suis en train de plumer une bonne poire, bientôt on sera tranquilles. Me presse pas ! »

Les jambes de Lucile se dérobèrent. Une bonne poire cétait elle. Cétait elle, la pigeonne.

Elle continua de lire. Dialogue avec une certaine Élodie.

« Chéri, tu viens ? Jattends ! Tu avais promis »

Réponse dArmand :

« Jarrive, ma puce. Jai gratté du fric à ma vieille grincheuse, soi-disant pour mon petit-fils. Jarrive dans une heure. »

Lucile posa la tablette. Aucune larme. Un calme glacial sabattit.

Tout séclairait. Les « méchantes ex » qui lavaient ruiné, les « malchanceuses unions » Ce nétaient pas des harpies, cétaient des femmes lassées du mensonge. Il nétait pas victime, mais parasite.

Lucile se leva, prit de grands sacs poubelle, entra dans la chambre, ouvrit larmoire.

Costumes, chemises, chaussettes : tout dans les sacs avec les cintres. Rasoir, brosse à dents, chargeurs, tout fut amassé devant la porte dentrée.

Elle changea le barillet de la serrure ses mains savaient tout faire, et il restait un barillet de la rénovation précédente. Douze ans à tout bricoler seule, ça forge.

***

Armand rentra trois heures plus tard. Il essaya la clé, pesta, sonna.

Lucile ouvrit, la chaîne en place.

Lucile, tu tes enfermée ou quoi ? Ma clé coince Il souriait, mais linquiétude était là.

Jai changé la serrure, Armand.

Pourquoi ? Son sourire seffaça.

Parce que la pigeonne a compris.

Armand blêmit.

De quoi tu parles ? Quelle pigeonne ?

Celle que tu plumes pour du fric. Tes affaires sont devant lascenseur. Prends-les et pars.

Lucile, tu délires ? Qui ta monté le bourrichon ? Jétais au chevet de ma fille, à lhôpital !

Jai lu les messages, Armand. Avec Clara. Avec Élodie.

Il recula, les yeux vrillés de frayeur, puis de rage.

Tas fouillé ma tablette ? Tas pas le droit ! Cest privé, ça !

Mon appartement, mon portefeuille : cest moi qui décide. Toi, tu es un voleur et un menteur.

Va au diable ! Il hurla. Franchement, qui voudrait de toi ? Je suis resté par pitié ! Même tes plats sont ratés.

Ramasse tes affaires, Armand. Et les mille deux cents euros, tu les gardes : cest le cachet pour ta comédie. Jaurais pu payer plus cher.

Il voulut protester, mais Lucile claqua la porte au nez.

Dehors, un coup sourd résonna contre la porte et la voix dArmand aboyait insultes et menaces.

Elle sapprocha de la cuisine. Sur la table, son mug encore à moitié rempli, le thé refroidi.

Lucile vida la tasse, la jeta à la poubelle. Lassiette préférée dArmand la suivit.

Son téléphone vibra : message dAntoine, son ex-mari.

« Bonjour. Ta fille ma dit que le robinet de la campagne fuit. Je passe samedi, je peux jeter un œil. Ça va ? »

Lucile sourit.

« Passe. Thé et tarte aux pommes au menu. Je vais bien. Mieux que prévu. »

***

Armand, ou plutôt ce triste Alphonse, nen avait pas fini : il revenait chaque soir, rampait dans lescalier, pleurait, tapait à la porte ou hurlait des injures, jurant de la dégager.

Un signalement à la police mit rapidement fin à ses scènes.

Et Lucile nattendait plus rien. Seulement du silence, du calme et la paix dêtre seule.

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Tes affaires t’attendent devant l’ascenseur. Prends-les et pars — Dasha, pourquoi tu t’es enfermée ? — Il souriait, mais l’inquiétude traversa son regard. — J’ai changé la serrure, Romain. — Pourquoi ? — Son sourire s’effaça. — Parce que j’ai appris de mes erreurs. Tes affaires sont devant l’ascenseur. Prends-les et va-t’en. Dasha a quarante-six ans, son «Roméo» en a cinquante et un. Une différence d’âge parfaite, deux adultes marqués par la vie, sans illusions. Derrière elle : un divorce longtemps digéré. Derrière lui : deux drames… Ensemble, ils semblaient former un couple idéal. Romain complimentait toujours sa compagne : — Ça sent tellement bon ici ! Tu es magique, Dasha. — Ce n’est qu’une simple tarte aux pommes, — disait-elle en rougissant. — Mange tant que c’est chaud. Le seul défaut de Romain, c’était son habitude d’évoquer le passé. — Tu sais, à Lucie aussi je préparais le petit-déj le week-end. Je faisais des crêpes. Mais elle me reprochait de gâcher la farine. Il racontait comment son ex avait fini par tout lui prendre, même la poêle offerte par sa belle-mère : — Elle est mesquine, disait Dasha. Se disputer pour quelques poêles… Romain poursuivait : — Si ce n’était que les poêles ! Tout l’appart y est passé. Elle a mis à son nom pendant que je bossais à droite à gauche pour la famille. La voiture, elle l’a cédée à notre fils, qui n’avait même pas le permis ! J’ai quitté la maison avec un sac de sport : caleçons, chaussettes et brosse à dents. Dasha avait pitié de lui. Comment peut-on ignorer des années de vie commune et jeter quelqu’un à la rue comme un chien abandonné ? — Et la deuxième ? — demandait-elle timidement, même si elle connaissait l’histoire par cœur. — On s’est vite compris, quatre ans de galère. Là aussi, la belle-mère s’est mêlée de tout. On a divisé les dettes, l’enfant, et voilà, j’ai tout laissé derrière moi. Je n’allais pas me battre contre une femme, je suis un homme, je retrouverai. « Un homme vrai », pensait Dasha avec respect. Un autre se serait battu pour chaque fourchette, lui est parti la tête haute. — Mon appart est grand, il y a de la place, — avait-elle proposé au début de leur relation, trois mois plus tôt. — Et j’ai une maison de campagne. J’aurais besoin de bras. — Dasha, ça me gêne, avait-il baissé les yeux. Je travaille, je ne suis pas un parasite… — Ne dis pas de bêtises. À deux, c’est plus facile. Il avait fini par s’installer chez elle, avec peu de choses : une valise usée, des costumes défraîchis et un ordinateur portable. Dasha l’entourait de soins. Elle voulait lui montrer que toutes les femmes ne sont pas des prédatrices. Avec son ex-mari, Vadim, ils s’étaient séparés d’un commun accord, sans drame. Tout avait été partagé et il versait la pension jusqu’à la fin des études de leur fille. Mais Romain était différent. *** Le premier signal d’alerte revint un mois après l’emménagement. Une petite chose, mais… Romain dit qu’il allait bricoler acheter des charnières pour le placard de l’entrée. — J’en ai pour cinq minutes ! Il revint au bout de quatre heures, sans charnières. — Tu te rends compte, fermé pour inventaire ! Toute la ville, j’ai fait, y avait rien à la bonne taille. — Fermé pour inventaire un samedi ? Ils sont ouverts 24h/24… — Le bazar, quoi. Il y avait une note, c’est tout. — C’est bizarre. Bon, tant pis, on verra la prochaine fois. Le soir, la voisine du palier, tante Valérie, ramenait de gros sacs du même magasin. Dasha : — C’est pas trop lourd ? — Oh, t’imagines pas ! Il y avait des promos aujourd’hui, les rayons bondés. Fallait se battre à la caisse ! Dasha, interloquée : — Il n’était pas fermé pour inventaire ? — Mais non ! Il tourne à plein régime. J’y étais il y une heure ! Elle est rentrée le cœur serré. Pourquoi avait-il menti ? Il serait allé voir un pote, aurait bu un café… Pourquoi inventer une histoire de magasin fermé ? Romain, lui, zappait à la télé, imperturbable. — Rom’, j’ai croisé la voisine tout à l’heure. Elle venait du magasin. C’était ouvert. — Ouais ? Ben, ça a réouvert. Quand j’y étais, il y avait écrit « pause technique 15 minutes ». J’ai attendu puis j’ai laissé tomber, je suis allé ailleurs, y avait rien. — Tu avais dit pour inventaire. Et que tu avais fait toute la ville. — Dasha, tu vas pas chipoter pour des mots ! Pause, inventaire… Qu’est-ce que ça change ? J’ai pas trouvé, j’ai pas trouvé, c’est tout. On verra demain. Tu dramatises pour rien. Dasha se sentit coupable. Pourquoi insister ? Peut-être a-t-il confondu… les hommes ne retiennent pas les détails. La semaine suivante, rebelote. Un entretien d’embauche soi-disant décroché par son ancien patron, une promesse d’un super job — mais le soir, il rentra dépité : — C’est de l’arnaque ! On m’a mené en bateau, payé des clopinettes pour bosser comme un chien. Je leur ai dit de trouver un autre pigeon. — C’est dommage. C’est qui, ton contact, Ivan ? — Quel Ivan ? Ah non, c’était Serge, l’ex-directeur adjoint. Ivan est à la retraite depuis longtemps… Pourtant trois jours auparavant, il disait tout le bien de ce fameux Ivan. « Peut-être que c’est moi qui ai la mémoire qui flanche… », pensa-t-elle. Le soir, son téléphone vibra, un SMS apparut sur l’écran : « Chéri, quand comptes-tu rembourser ta dette ? Un mois déjà. Ce n’est pas joli d’ignorer les gens. » Le matin, au petit-déjeuner : — Romain, t’as reçu un message cette nuit. On demande de l’argent. Romain avala de travers, rougit jusqu’aux oreilles : — Ça doit être une erreur, des spammeurs, y en a partout… — Pourtant ça commençait par “Chéri”… Il éclata de rire, un rire forcé. — Encore des escrocs, ils savent y faire pour t’appâter. N’y prête pas attention ! Il attrapa son téléphone, trifouilla nerveusement dedans. Il lança ensuite : — Dis, ma fille de mon premier mariage, Catherine, a des soucis… Son fils est malade, faut de l’argent pour les médicaments. — Combien ? — Quinze mille. J’ai personne d’autre, tu me sauverais la vie, dès que je bosse je te rembourse… — Quinze mille. C’est quoi, la maladie ? — Euh, allergie grave, œdème de Quincke, maintenant c’est la rééducation… — D’accord. Elle lui tendit l’argent. — Merci ma belle ! s’exclama-t-il, l’embrassant sur la joue. Catherine va t’adorer. Toute la journée, Dasha eut la nausée. Ce n’était pas tant l’argent. Elle sentait sur la peau que Romain lui mentait. Un soir, il avait laissé une vieille tablette à charger au salon. Dasha connaissait son code : quatre fois le 1. Elle consulta la messagerie. Conversation avec sa fille : « Papa, tu comptes payer la pension ? Maman menace de saisir les huissiers. On n’a plus rien à manger et tu racontes des histoires. » Réponse : « Attends, je suis en train d’arnaquer une “pigeonne”. Bientôt, je régularise. Me mets pas la pression. » Elle tomba sur un autre échange avec une certaine Tania. « Chéri, tu viens ? J’attends. Tu avais promis d’apporter quelque chose. » Réponse : « J’arrive, ma puce. Je viens de soutirer du fric à ma “radine” sous prétexte du petit-fils malade. À tout de suite. » Dasha reposa la tablette. Tout s’éclaircit. Toutes ces “mauvaises femmes” qui l’auraient dépouillé… Aucun monstre. Juste des femmes usées par le mensonge. Ce n’était pas une victime. Mais un parasite. Elle prit de grands sacs poubelle, vida toutes ses affaires dedans : costumes, chemises, accessoires. Puis elle changea la serrure ; heureusement, elle savait faire, il restait encore un cylindre de rechange. *** Romain tenta sa clé, échoua, sonna. Dasha ouvrit sans décrocher la chaîne : — Dasha, pourquoi t’as tout bouclé ? Et la serrure est cassée… — J’ai changé la serrure, Romain. — Pourquoi ? — Parce que la “pigeonne” a compris la leçon. Tes affaires sont devant l’ascenseur. Prends-les et fous le camp. — Qu’est-ce que tu racontes ? — T’as cru pouvoir me plumer tranquille ? J’ai lu tes messages à Catherine et Tania. Il blêmit. — Tu t’es permise d’ouvrir ma tablette ? Mais t’as pas le droit ! — Et toi, tu n’as aucun droit ici. Ni sur mon appartement, ni sur mon portefeuille ! Tu n’es qu’un voleur et un menteur ! — Va au diable ! fit-il en hurlant, t’es qu’une vieille chaussette ! J’ai eu pitié de toi, vu que tu savais cuisiner ! — Prends tes affaires. Les quinze mille, considère-les comme ton cachet de clown. C’est donné. Il voulut riposter, mais Dasha ferma la porte sans un mot. Puis elle jeta sa tasse et son assiette favorite à la poubelle. Son ex-mari lui écrivit : « Bonjour. Notre fille m’a dit que tu as un robinet à réparer à la campagne. Je peux passer samedi. Comment vas-tu ? » — Bonjour ! Viens donc, il y aura du thé et une tarte aux pommes. Je vais bien. Même mieux qu’avant. *** Romain tenta encore de l’approcher, passa des soirs entiers à pleurnicher puis à menacer, jusqu’à ce qu’un passage au commissariat règle l’affaire. Dasha n’avait plus besoin de rien d’autre. Seulement le calme, la tranquillité… et le luxe d’être seule. Tes affaires sont devant l’ascenseur. Prends-les et pars.
Elle ne voulait pas s’asseoir à côté de moi dans l’avion — mais le destin en avait décidé autrement