Tes affaires t’attendent devant l’ascenseur. Prends-les et pars – Chronique d’une rupture sans retour : Quand Dasha, quarante-six ans, réalise qu’elle mérite mieux que les mensonges d’un « Roméo » de cinquante et un ans.

Tes affaires sont devant lascenseur. Ramasse-les et pars

Maëlys, pourquoi tu tes enfermée ? Il sourit, mais une lueur dinquiétude passe dans son regard.
Jai changé la serrure, Luc.
Pourquoi ? Son sourire sefface.
Parce que jai enfin compris. Tes affaires sont devant lascenseur. Récupère-les et pars.

Maëlys a quarante-six ans, son « Roméo » en a cinquante et un. Idéal en théorie : deux adultes, endurcis par la vie, sans illusions romantiques.

Maëlys est divorcée depuis longtemps, déjà reconstruite. Luc, lui, traîne derrière lui deux échecs cuisants. Ensemble, ils formaient un couple parfait.

Luc vante sans cesse les talents de sa compagne :

Ça sent drôlement bon, dit-il en mordant dans une part de tarte. Tu es une fée, Maëlys.

Cest juste une tarte aux pommes, répond-elle, gênée. Mange tant que cest chaud.

Une seule chose irrite Maëlys chez Luc : sa fâcheuse habitude à ressasser le passé.

Tu sais, à Camille aussi je faisais la cuisine. Les week-ends, je préparais des crêpes. Elle disait que je gâchais la farine.

Tu te rends compte ? « Tu fais que gaspiller les ingrédients, Luc ! »

Et quand on a divorcé, elle a même embarqué toutes les poêles.

Prétendant : « Cadeau de maman, ne touche pas ! »

Cest mesquin, note Maëlys en secouant la tête. Se disputer pour des poêles

Si encore il ny avait que ça ! Luc ébauche un sourire amer. Elle a tout raflé.

Lappart à son nom, pendant que je trimais en déplacement pour la famille.

La voiture à notre fils ; il a à peine dix-huit ans, même pas le permis.

Je suis sorti de chez moi avec un sac de sport, littéralement. Un slip, des chaussettes et une brosse à dents.

Dans ces moments-là, Maëlys éprouve une immense pitié. Comment peut-on rejeter un homme ainsi, après tant dannées de vie commune ?

Et la seconde ? demande-t-elle tout bas, tout en connaissant par cœur cette histoire.

Avec la deuxième, on a vite vu que ça ne marcherait pas. Quatre ans de galère. Sa mère sen est mêlée.

On navait rien à partager, sauf des dettes et un enfant. Je suis parti, jai tout laissé. Je nallais pas aller au tribunal moi, je suis un homme, je gagnerai ma vie.

« Un homme », pense Maëlys, admirative. Noble. Un autre se serait battu pour chaque fourchette, lui est parti, la tête haute !

Jai un grand appartement, il y a de la place, dit-elle au début, il y a trois mois. Et puis, jai une maison de campagne. Des mains dhomme seraient utiles là-bas.

Maëlys, ça membête Je ne veux pas profiter. Je cherche un vrai boulot, je vais me relever

Dis pas de bêtises. On est mieux à deux.

Il finit par emménager. Il na presque rien : une valise délabrée, deux vieux costumes, un ordinateur portable fatigué.

Maëlys lentoure dattentions. Elle veut lui prouver que toutes les femmes ne sont pas des prédatrices.

Avec son ex-mari, Jérôme, cétait une séparation tranquille lamour était parti, cest tout. Ils ont divisé, vendu lappart, et acheté deux studios.

Jérôme payait la pension régulièrement jusquau bac de leur fille, envoyait ses vœux à chaque Nouvel An. Sec, mais régulier.

Luc, ce nest pas le même homme.

***

Le premier signal dalarme vient un mois après le début de leur cohabitation.

Un détail, anodin en apparence, mais

Luc dit quil va au magasin de bricolage il veut acheter des charnières pour le placard de lentrée.

Jen ai pour un instant, crie-t-il de lentrée. Jy vais et je reviens.

Il revient quatre heures plus tard. Les charnières ? Jamais trouvées.

Tu te rends compte ? fermé ! raconte-t-il dun ton indigné en ôtant ses chaussures. Ils faisaient leur inventaire ou je ne sais quoi Jai fait tout Paris à la recherche de ce fichu modèle, rien à faire !

Maëlys est surprise :

Chez BricoMax ? Un samedi ? Ils sont ouverts 24h/24.

Eh ben, cest le bordel ! Il y avait une affichette sur la porte.

Curieux, murmure Maëlys. Bon, on achètera plus tard.

Le soir, en descendant les poubelles, elle croise Mme Dubois, sa voisine, qui monte, chargée de sacs du même magasin.

Cest lourd, ça ? demande Maëlys en maintenant la porte ouverte.

Tu métonnes ! Mais aujourdhui, il y avait des promos ! Y avait foule, jai dû jouer des coudes pour payer.

Maëlys sarrête net.

Tu dis quil y avait du monde ? Mais cétait pas fermé ?

Mme Dubois la regarde, étonnée :

Fermé ? Pas du tout ! Je viens dy passer, il y a à peine une heure !

Maëlys rentre, le cœur battant.

Pourquoi a-t-il menti ? Il aurait très bien pu dire quil était allé voir un pote ou se balader Pourquoi inventer une histoire de magasin fermé ?

Luc regarde la télé, zappant.

Luc, dit-elle calmement, je viens de croiser Mme Dubois en bas. Elle sortait du Brico, il était bien ouvert apparemment.

Luc ne bronche pas, impassible.

Ah ? Il a dû rouvrir. Quand jy suis passé, il y avait une pancarte « Pause technique 15mn ».

Jai attendu une demi-heure, rien. Jai filé au marché, tout était fermé.

Tu as dit « inventaire ». Tu mas parlé de faire le tour de la ville.

Il se retourne enfin, avec un étonnement sincère dans les yeux.

Maëlys, pourquoi tu chipotes ? Pause, inventaire, quelle importance ? Jai pas trouvé la pièce, cest tout. Je la prendrai demain. Faut pas en faire tout un drame.

Maëlys se sent fautive. Vraiment, elle exagère. Les hommes ne font pas attention aux détails

La semaine suivante, rebelote. Luc raconte quun ancien patron la rappelé pour un entretien.

Cest du sérieux, Maëlys. Le salaire, tu verrais ! Il lève le pouce. Si je décroche, je tachète un manteau en fourrure !

Il rentre le soir, sombre.

Alors, ça a donné quoi ? demande-t-elle.

Pfff, cest une arnaque. Ils promettent monts et merveilles, puis cest de la misère et lesclavage. Je leur ai dit daller voir ailleurs.

Dommage Tu trouveras mieux, ne ten fais pas. Cest qui qui ta appelé, déjà ? Monsieur Moreau ?

Qui ? Luc fronce les sourcils, feint lignorance.

Tu mas dit que cétait ton ancien chef

Ah oui Non, cétait Bertrand, le directeur adjoint. On était en bons termes.

Et Moreau est parti à la retraite depuis longtemps, il détourne vite le regard, file se laver les mains.

Maëlys se souvient pourtant parfaitement que, trois jours plus tôt, il lui racontait comment M. Moreau lui avait serré la main en partant, promettant de le rappeler.

« Jai la mémoire qui flanche », se dit-elle.

Plus tard, alors que Luc dort, le téléphone posé sur la table de nuit vibre.

Maëlys na jamais fouillé dans les téléphones des autres : elle sy refuse. Mais lécran sallume, et le message saffiche bien en évidence :

« Mon chou, tu comptes me rembourser quand ? Ça fait un mois, cest moche de mignorer. »

Numéro inconnu.

***

Au petit-déjeuner, Maëlys demande :

Luc, tu as reçu un SMS cette nuit. On te réclame un remboursement.

Luc sétrangle avec sa tartine, rougit à vue dœil.

Doit y avoir erreur. Sans doute un spam. Il y a tant darnaques maintenant

Pourtant, la personne tappelle « mon chou ».

Il rit, nerveux.

Cest bien une preuve ! Ils savent y faire pour avoir ton attention. Oublie ça, Maëlys.

Sagrippant à son téléphone, il efface le message à toute vitesse.

Dis-moi, en changeant de sujet, il y a un souci avec ma fille aînée, Chloé. Son fils est malade, il lui faut des médicaments coûteux.

Elle ma appelé en pleurant. Je ne peux pas refuser, cest mon sang, quand même.

Evidemment, répond Maëlys, de plus en plus tendue. Tu as besoin de combien ?

Quinze mille euros. Personne peut mavancer. Tu me dépannes ? Je te rembourse dès que je signe.

Maëlys lobserve.

Quinze mille Quelle maladie ?

Euh de lallergie grave. Il a fait un œdème de Quincke, rééducation maintenant.

Je vois.

Elle va à la commode, prend les billets.

Tiens.

Merci, ma belle ! Luc la serre, lembrasse sur la joue. Chloé te bénira.

Toute la journée, Maëlys est mal à laise. Pas pour largent. Elle sent, dans sa chair, que Luc lui ment.

Elle se souvient que Luc a laissé traîner sa vieille tablette dans le salon. Il ne sen sert presque jamais, préfère son téléphone.

Elle connaît le code : quatre zéros. Il le lui a donné pour un film.

Elle ouvre les réseaux sociaux, explore les messages. Elle tombe sur les échanges avec Chloé Lucard. Sa fille.

Dialogues brefs.

« Papa, quand comptes-tu payer la pension alimentaire ? Maman menace de saisir les huissiers. On na plus rien à manger, et toi tu racontes des histoires à tout le monde ! »

Daté de la veille.

Réponse de Luc :

« Chlo, patience. Je roule une cruche en ce moment, bientôt je récupère du fric. Me presse pas. »

Maëlys seffondre sur le canapé, les jambes coupées. Une cruche cest elle. Elle, limbécile.

Elle poursuit. Conversation avec une certaine Ingrid.

« Mon chou, tes où ? Jattends. Tu avais promis de passer aujourdhui. »

Réponse de Luc :

« Jarrive, poupée. Je viens de soutirer du fric chez mon boulet, soi-disant pour mon petit-fils. Jarrive dans une heure. »

Maëlys repose la tablette. Le calme glacial descend en elle.

Les morceaux sassemblent. Toutes ces « ex tyranniques » qui lont ruiné. Ces « expériences malheureuses ». Il ny a jamais eu de mauvaises femmes.

Juste des femmes lassées de ses mensonges. Il nest pas une victime, cest un parasite.

Elle se lève, sort les grands sacs-poubelle de la cuisine, va dans la chambre, ouvre le placard.

Les costumes, chemises, les « trésors amassés » filent dans les sacs.

Elle ramasse son rasoir, sa brosse à dents, chargeurs, et pose le tout sur le palier devant la porte.

Elle change le barillet de la serrure heureusement, elle sy connaît, il restait un verrou de lépoque des travaux. Elle a appris depuis son divorce à tout faire elle-même.

***

Luc rentre trois heures plus tard, tente douvrir la porte. Ça coince, il sonne.

Maëlys entrebâille sans ôter la chaînette.

Maëlys, tu tes enfermée ? Et la serrure, ça coince Il se force à sourire, mais langoisse perce.

Jai changé la serrure, Luc.

Pourquoi ? le sourire sefface.

Parce que la cruche a compris le manège.

Luc se fige.

De quoi tu parles ? Quelle cruche ?

Celle que tu escroques. Tes affaires sont devant lascenseur. Prends-les et pars.

Maëlys, tes folle ou quoi ? Qui ta raconté ces bêtises ? Je suis allé chez ma fille, pour les médicaments !

Jai lu les messages, Luc. Entre toi, Chloé et Ingrid.

Il blêmit. Une seconde, la peur traverse ses yeux, puis la colère.

Ah tu fouilles dans mes trucs ? Tas pas le droit ! Cest privé ! hurle-t-il.

Ma vie privée, cest mon appart et mon porte-monnaie. Or tu es un voleur et un menteur.

Va te faire voir ! crache-t-il. Tu crois que je tiens à toi, vieille godasse ? Je restais que parce que tu sais cuisiner ton bœuf bourguignon est râté dailleurs !

Récupère tes affaires, Luc. Et les quinze mille euros, considère-les comme tes honoraires de comédien. Jy perds pas tant.

Il tente de répondre, mais Maëlys lui claque la porte au nez.

On entend un coup dans la porte, puis des insultes.

Elle retourne à la cuisine. Sa tasse vide, avec le marc au fond, traîne sur la table.

Maëlys la prend, vide le fond dans lévier, balance la tasse à la poubelle. Suit son assiette préférée.

Son téléphone vibre un message de Jérôme, son ex.

« Salut. La petite ma dit que tu avais une fuite à la maison de campagne. Je passe samedi, je peux regarder ? Ça va toi ? »

Maëlys sourit.

« Salut. Passe, il y aura du thé et une tarte aux pommes. Je vais bien. Même mieux que je ne pensais. »

***

Luc ne lui a pas laissé la paix de sitôt.

Il rôde plusieurs soirs, rampe dans lescalier, supplie, pleure, hurle, menace de la « virer » de chez elle.

Un signalement à la police règle laffaire Luc ne revient plus.

Et Maëlys na plus besoin de rien, sinon le silence, la paix, et la solitude.

Оцените статью
Tes affaires t’attendent devant l’ascenseur. Prends-les et pars – Chronique d’une rupture sans retour : Quand Dasha, quarante-six ans, réalise qu’elle mérite mieux que les mensonges d’un « Roméo » de cinquante et un ans.
Il était une fois deux vieilles dames dans une chaumière…