Quand je me marie, je commence à sonner à la porte.
Ma porte, celle de mon appartement à Paris, que jouvre toujours avec la clef depuis le premier jour où jy emménage. Il y a bien sûr une sonnette, mais presque jamais on lutilise. Ma mère, Madame Moreau, garde des clés de rechange, mais plus personne ne vient.
Je rentre à la maison la nuit. Les voisins sont persuadés que je travaille comme « fille de joie ». Jarrive tard, différents hommes me conduisent, des chauffeurs de taxi. En réalité, je suis « rédactrice darchives ». Épuisée après le travail, je tombe tête première sur le lit. Quels « clients », zut, quels invités?
Je me suis habituée à ce que personne ne mattende chez moi. Personne na la clef pour ouvrir la porte. Seul mon chat, mais il ne sait pas comment faire. Je nen souffre pas vraiment, je lavoue; je me suis habituée et je suis tranquillement contente : pas de surprises, silence et repos. Que demander de plus?
Alors je me marie, et parmi les plaisirs, je découvre une nouvelle habitude : sonner à la porte. Mon mari, Antoine, travaille à la maison. Donc, quand je rentre, je sonne. Parfois plusieurs fois dans la journée. Dingdong, dingdong, dingdong.
«Pourquoi déranger quelquun qui travaille?», sexclame ma mère. «Tu as des clefs!»
«Tu ne comprends pas. Cest le plaisir dentendre quelquun ouvrir», dis-je. Je mens. Ce nest pas seulement un plaisir, cest du bonheur: savoir que derrière cette porte, quelquun tattend maintenant.
Dingdong. Jentends les pas, je vois la clef tourner dans la serrure, le loquet claquer Dingdong. Je lis la joie dans les yeux, le sourire, je comprends quune personne est vraiment ravie de me revoir, même si je ne fais que sortir chercher du pain.
Dingdong. Si vous navez jamais vécu seul longtemps, vous ne savez rien de cela. Parfois Antoine ouvre la porte calmement, prend mon sac, maide à enlever mon manteau, me serre dans ses bras et frotte sa barbe contre ma joue. Parfois il est pressé, en visioconférence, il fait des signes flamboyants, me donne un petit coup de nez et repart travailler. Mais rien ne change. Je suis déjà aux anges, comme une personne souffrant damygdalite chronique qui finit par goûter une glace.
Lessentiel, cest quil ne se fâche jamais, ne semporte pas et ne me demande même pas: «Tu as encore oublié tes clefs?» Comme sil savait que le problème nest pas la clef. Et cest ainsi que les choses sont, quelles restent, et quelles seront.
Je vous souhaite, pour la nouvelle année, seulement deux choses: la santé et que quelquun vous attende à la maison. Le reste, vous le rêverez et le réaliserez. Jen suis sûre.
