Carnet de songes, 11 décembre
À laube, une nouvelle étrange sest glissée dans mon esprit : mon fils, Thibault, tout juste trente et un hivers, exige que les habitants quittent le logis de son père, car il désire sy installer avec sa compagne, Solène. Ce message a résonné comme un glas, me laissant hébété, le souffle coupé. Je ressens que le destin sentrelace à nos choix, chaque pas tisse la trame de nos jours, et aujourdhui, je récolte les fruits amers de mes anciennes décisions.
Il y a longtemps, jai laissé mon cœur sattacher à un homme insouciant. Jai été envoûté par le charme de Gérard, espérant follement quil se métamorphoserait pour moi, alors que tout le quartier murmurait quil était un incorrigible Don Juan. Même après la venue au monde de Thibault, Gérard poursuivait ses conquêtes, incapable de sancrer. Les échos de ses aventures flottaient partout : amis, voisins, famille, nul nignorait ses escapades. Jai traversé la honte et la souffrance, incapable de nommer mes tourments, cinq années durant, comme dans un brouillard épais.
Finalement, Gérard a remis les clés de lappartement à Thibault, préférant cela à verser des euros en pension. Jai alors loué ce lieu à mon ancien époux, et jy ai vécu avec mon fils et ma mère, Geneviève, qui réclamait des soins constants. Mon but a toujours été doffrir à Thibault le meilleur possible. Chaque centime issu de la location servait à payer son école, ses habits, ses besoins quotidiens. Je voulais quil grandisse dans la lumière. Largent couvrait aussi les factures, la nourriture, les médicaments de ma mère. Jespérais quavec le temps, il saisirait lampleur de mes sacrifices.
Aujourdhui, à cinquante-sept ans, je fais face au diabète. Je surveille mon sucre et minjecte de linsuline chaque jour pour survivre. Avec la maladie, impossible de trouver un emploi, et franchement, qui voudrait dun homme de mon âge, malade en plus ? Mon unique ressource vient de la location du logement. Et voilà que Thibault, à peine adulte, mannonce quil veut reprendre lappartement pour y vivre avec Solène, ce qui signifie que les locataires doivent sen aller. Quand je lui ai confié que je serais sans abri, il ma simplement dit que cela ne le concernait pas.
Je ne saisis pas comment jai pu œuvrer toute ma vie sans réussir à mettre de côté pour mes vieux jours. Je suis perdu Il faut acheter des médicaments, de quoi manger, régler les factures. Comment mon propre fils peut-il agir ainsi ? Pour qui se prend-il ?
Ce soir, une leçon amère flotte dans lair : il ne faut jamais sacrifier sa propre stabilité pour autrui, même pour ceux quon chérit plus que tout.







