Je vais bâtir ma famille selon dautres lois
En première, Camille sest rendu compte quelle était fascinée par Luc, son camarade de classe. Il nétait pas comme les autres garçons. Jamais une parole dure, jamais de moquerie envers les plus faibles, toujours poli avec les professeurs, alors que certains se montraient insolents.
Luc avait un charme discret : des cheveux blonds, légèrement ondulés, des yeux bleu clair, doux et rieurs, un regard qui semblait voir au-delà du réel. Il nétait pas grand, mais après les vacances dété, il était soudain devenu plus élancé, dépassant presque tous les garçons de la classe, ses épaules sétaient élargies comme par magie.
Luc, quest-ce qui test arrivé ? demandaient les filles et les garçons, tu étais toujours le plus petit, et là
Je ne sais pas trop, répondait-il en souriant, pensant en secret que cétait à force de travailler sur les chantiers tout lété, mais il navait pas envie dexpliquer, de peur quon le questionne trop.
Luc avait dû bosser tout lété, car son père buvait, ne ramenait jamais dargent, payait ses dettes et cachait le reste à sa mère. Sa mère était infirmière de nuit à lhôpital. Vivre sur un seul salaire, cétait compliqué, surtout que Luc grandissait à vue dœil. Sa mère le voyait bien, et Luc commençait à comprendre.
Maman, tu pourrais maider à trouver un boulot pour lété ? demanda-t-il, je voudrais macheter des vêtements et des chaussures pour la rentrée, je vois bien que papa ne sert à rien.
Oh, mon fils, tu as vraiment grandi, soupira-t-elle tristement. Je vais demander à tante Claire, son mari, Pierre, a une entreprise de construction, il pourra peut-être te prendre comme aide.
Pierre embaucha Luc, qui travailla tout lété, et Claire disait à la mère de Luc :
Tu sais, mon Pierre ne tarit pas déloges sur ton fils : travailleur, sérieux, fiable et intelligent. Pas comme le nôtre, qui ne fait rien et croit que tout lui est dû.
Merci, Claire, au moins il ne ressemble pas à son père.
Tu devrais le quitter, ton alcoolique, quelle vie tu mènes ? conseillait Claire.
Le quitter, oui, mais où irait-il ? Je narrive pas à me décider, même si je nen peux plus
La mère de Luc avait le cœur sur la main, elle nourrissait tous les chats et chiens errants du quartier. Cest pour ça quelle narrivait pas à divorcer.
Quand Camille vit Luc le premier septembre au lycée, elle fut stupéfaite.
Incroyable comme Luc a changé. Grand, solide, bien habillé, même si on dit que son père boit, les filles de la classe chuchotaient en voyant ce beau garçon.
Camille était différente aussi. Belle, avec de longs cheveux bruns et des yeux noisette, un regard intense et réfléchi. Depuis la primaire, elle était la meilleure élève, toujours là pour aider la classe, répondant juste à chaque question. Les autres élèves avaient pris lhabitude de copier sur elle et la respectaient.
Mais plus les filles grandissaient, plus elles enviaient Camille, qui restait humble et aidait tout le monde. Dans tout le lycée, on enviait son style impeccable. Elle venait dune famille de professeurs renommés. Son père, Jean-Pierre Lefèvre, enseignait léconomie à la Sorbonne, sa mère, Hélène Dubois, la chimie au lycée. Camille était leur unique enfant, mais elle nétait pas gâtée.
Les professeurs disaient de Camille :
Fille de professeurs, mais quelle maturité et quelle politesse, disaient-ils en salle des profs. Dhabitude, ces enfants sont capricieux, les parents règlent tout à leur place. Mais là Cest aussi une question de caractère discutaient-ils.
Après la rentrée, Camille se surprenait à penser :
Luc me plaît, cest pour ça que jaime aller au lycée, jattends le matin avec impatience. Jai envie de le voir. Est-ce de lamour, ou autre chose ? Je nai jamais été amoureuse, même si certaines filles racontent leurs balades tardives avec des garçons.
Luc aussi était amoureux, au point de ne voir que Camille, alors que beaucoup de filles tournaient autour de lui. Camille ignorait que certaines lui écrivaient et lui proposaient des rendez-vous, mais il refusait ou ne répondait pas.
Un jour, Camille sortit du lycée, Luc laborda aussitôt.
Camille, tu pourrais maider en maths ? Jai pris du retard, je comprends que jaurais pas dû maintenant tout senchaîne et je suis perdu
Bien sûr, viens chez moi, on va sy mettre
Euh, cest pas gênant, chez toi ? Tes parents vont dire quoi ?
Tinquiète, ils sont super cool On peut y aller tout de suite si tu veux.
Daccord, allons-y, dit Luc, et ils quittèrent la cour ensemble, sous les regards jaloux des autres filles.
Camille prit la chose au sérieux, expliqua la leçon à Luc, et soudain tout devint limpide pour lui.
Finalement, cest pas si compliqué, quand on comprend, sourit Luc.
Dans la vie, lamour surgit sans prévenir
Dès ce jour, sans se concerter, Luc raccompagnait Camille chez elle, lui habitait un peu plus loin. Bientôt, tout le lycée murmurait quils étaient amoureux.
Eh ben, disait Sophie, qui aimait Luc, Camille la bien attrapé, il la suit comme un veau derrière sa mère.
Luc est malin, il sait choisir, la fille du prof, râlaient les autres, garçons compris, car Camille plaisait à beaucoup.
Mais Camille ne faisait pas attention, elle était heureuse quand Luc était là. Lamour, cest comme un rayon de lumière dans une pièce sombre, il ne demande ni ton nom ni ton pedigree. Il arrive, cest tout. Même si deux personnes viennent de mondes différents, avec des éducations et des destins opposés, rien ne compte quand deux cœurs battent ensemble.
Les parents de Camille savaient quelle voyait Luc, ils lavaient même rencontré. Ils se promenaient le soir, Luc la raccompagnait, mais jamais trop tard, ses parents ne le permettaient pas.
Hélène Dubois savait bien doù venait Luc, que son père buvait et que sa mère se débrouillait seule. Sa copine lui disait avec un brin de mépris :
Hélène, ta fille traîne avec Luc, tu sais bien Son père toujours saoul, sa mère qui trime Et Camille, quelle tête !
Mais Luc est un bon élève et très poli, je lai rencontré, répondait Hélène.
Politesse, dans une famille pareille ? insistait la copine, quel exemple pour ta fille ?
Mon neveu aussi vient dune famille difficile, il est à la fac, brillant ! Ce nest pas la famille, cest la personne.
Le temps passait, Camille et Luc étaient inséparables. La fin du lycée approchait. Camille décrocha le bac avec mention très bien, Luc aussi, sans aucune note éliminatoire. Camille entra à luniversité, Luc à lécole dingénieurs.
Au bal de fin dannée, les filles de la classe se moquaient ou se réjouissaient :
Camille va à la fac, Luc au polytech Ils vont se séparer, cest sûr. À la fac, il y a plein de garçons, Camille trouvera vite mieux que Luc.
Lamour est une énigme. Il ne regarde ni les noms ni les disputes alcoolisées. Il voit la personne, celle qui peut changer, malgré ses parents.
Luc, tu veux vraiment entrer dans une famille de profs, tu tes trouvé leur fille. Ils vont te jeter, ils veulent pas dun gendre comme toi, hurlait son père, mais Luc ne lécoutait plus, il ne le respectait plus, son père le sentait et sénervait, tu finiras comme moi
Un soir, lors dune dispute, Luc craqua.
Je ne vivrai pas comme toi Quas-tu dans ta vie ? Le fond dun verre Ma famille sera différente, fondée sur dautres valeurs, à lopposé des tiennes.
Bien sûr, tout dépend des circonstances, et si les parents de Camille avaient insisté :
Tu ne vois pas doù vient Luc ?
Peut-être leur histoire se serait arrêtée là. Mais ils voyaient la tendresse entre Camille et Luc et décidèrent de ne pas intervenir. Ils sétaient choisis, prouvant que le destin peut changer.
Les années détudes passèrent, Camille à la fac, Luc au polytech, mais ils restèrent ensemble, rien nassombrit leur amour. Il y eut des obstacles, mais ils les surmontèrent tous.
Avant la fin de luniversité, Luc fit sa demande à Camille :
Jai attendu ce moment longtemps, dit Luc en souriant, sagenouillant et ouvrant une boîte avec une bague. Je veux que tu sois ma femme, tu acceptes ?
Oh oui, bien sûr Luc, comment pourrais-je vivre sans toi ?
Ils se marièrent. Les parents de Camille leur offrirent un appartement pour leur mariage. Luc trouva un bon poste dans une grande entreprise, il gagna bien sa vie, on lui prédit un bel avenir. Il rêve douvrir sa propre société, et il y arrivera.
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