Il y a bien longtemps, on se souvient de lhistoire de Marie-Claire Dubois, qui avait 72 ans lorsquelle monta pour la première fois dans un avion.
Jusque-là, elle navait jamais quitté son petit chef-lieu de province. Elle avait travaillé toute sa vie comme vendeuse dans un grand magasin, puis, une fois retraitée, dans la boutique paroissiale. Elle avait élevé deux fils, enterré son mari, marié ses petites-filles. Sa vie ressemblait à celle de tant dautres : rude, mais honnête.
Un matin, elle sest réveillée avec la certitude que tout était figé.
Plus rien ne viendrait.
Personne nattendrait son appel. Personne ne lui téléphonerait. Personne ne linviterait.
Ses enfants menaient leur propre existence, ses petits-enfants aussi.
Elle était devenue « la mamie des fêtes ».
Alors, elle fit ce quelle naurait jamais osé imaginer auparavant.
Elle prit toutes ses économies 2 500 euros quelle avait mis de côté « pour ses funérailles » et se rendit dans une agence de voyages.
« Trouvez-moi un billet pour un endroit où il fait chaud, avec la mer », demanda-t-elle avec assurance.
La conseillère la regarda longuement, hésitante devant cette dame âgée au manteau usé.
« Madame, vos proches sont au courant ? Peut-être souhaitez-vous partir accompagnée ? »
« Ma famille est occupée. Je pars seule. »
Cest ainsi que Marie-Claire Dubois se retrouva sur la Côte dAzur.
Seule. Avec une petite valise, ses lunettes épaisses et son foulard quelle ne quittait jamais, même sur la plage.
Au début, on la plaignait.
Puis, on la taquinait.
Et bientôt, on lui demandait conseil.
Car elle nageait avec masque et tuba, partait en excursion dans larrière-pays, se faisait photographier avec les mouettes, dansait lors des soirées à lhôtel et tenta même la pétanque (elle sest vite exclamée : « Quelle drôle de chose, je préfère le pastis ! »).
Elle revint bronzée, les bras chargés de souvenirs et les yeux pétillants comme ceux dune jeune fille.
Ses enfants lattendaient à la gare surpris, un peu agacés.
« Maman, tu es folle ? À ton âge ! »
« Et à mon âge, il faudrait juste attendre la fin ? » répondit-elle calmement.
Et elle repartit.
Encore et encore.
En cinq ans, Marie-Claire visita lItalie, lEspagne, la Grèce, le Maroc, le Portugal et même la Guadeloupe. Elle apprit à nager (à 73 ans !), fit un saut en parachute en tandem (à 75 ans !), ouvrit un compte Instagram (à 76 ans !) et rassembla 12 000 abonnés tous admirant « la mamie formidable ».
Elle achetait des robes colorées, mettait du rouge à lèvres éclatant et répétait à tous :
« Jai passé la moitié de ma vie à penser aux autres. Maintenant, je vis pour moi. Et vous savez quoi ? Il nest jamais trop tard pour commencer à vivre. »
À 78 ans, elle fit la connaissance, en Thaïlande, dun veuf allemand de 82 ans. Ensemble, ils firent des balades à dos déléphant, goûtèrent des nouilles dans la rue et riaient comme des enfants.
Ses enfants sindignaient à nouveau :
« Maman, mais que vont dire les gens ? »
Et elle répliquait :
« Je me fiche bien de ce que pensent les gens. Jai enfin compris : la vie mappartient. Je la vivrai comme je lentends. Même à 80, même à 90 ans. »
Elle sest éteinte à 84 ans.
Paisiblement, dans son appartement.
Sur la table, son passeport ouvert avec de nouveaux tampons, et sur la commode, un billet pour Lisbonne prévu le mois suivant.
Lors de ses funérailles, sa petite-fille lut son dernier message sur Instagram :
« Mes chers ! Nattendez pas la retraite pour vivre. Nattendez pas que les enfants grandissent. Nattendez pas des jours meilleurs.
Vivez maintenant.
Tant que le cœur bat, il nest jamais trop tard.
Votre mamie Marie-Claire. »
Et tout le monde pleurait.
Non pas parce quelle était partie.
Mais parce quils comprenaient quelle avait vécu plus intensément queux tous réunis.
Et quà 72 ans, sa vie navait fait que commencer.
Il nest jamais trop tard pour vivre.
Jamais.







