« Et ma grand-mère a dit que tu m’avais abandonné »

Eh bien, selon Mamie, tu mas larguée.

Tes une vraie coucou, pas une mère ! Dabord tas laissé ton fils, et maintenant tu veux carrément loublier ? râlait lex-mari, Jean-Baptiste, avec la délicatesse dun klaxon dans un tunnel. Mais bon, fallait sy attendre Ton boulot et ton crédit immobilier passent toujours avant tout. La vie de ton gamin, ça te passe au-dessus, hein ?

Clémence resta bouche bée une seconde. Dans les paroles de Jean-Baptiste, elle entendait clairement lécho de sa belle-mère, Madame Monique Dubois. Clémence pensait avoir enterré ce sujet dans un coin sombre de son cœur, mais non, il revenait comme un impôt surprise. Jean-Baptiste, lui, appuyait là où ça faisait mal.

Bien sûr que ça mimporte, répliqua-t-elle. Mais toi et ta chère maman, vous avez tout fait pour me tenir à distance de mon fils. Depuis quand ça vous dérange, cette situation ? Attends, laisse-moi deviner La nouvelle copine na pas envie de pouponner un gamin gâté qui nest pas à elle ?

Silence radio. On aurait dit quelle avait visé juste.

Mais ça na rien à voir ! sénerva Jean-Baptiste. Je te propose juste de renouer avec ton fils. Cest toi qui me cassais la tête avec ça. Alors, tu fais quoi, à part parler ?
Oh, merci, quelle générosité soudaine ! Doù ça sort ? Vous avez bien monté Paul contre moi, toi et Monique. Bravo, cest réussi. Y a plus rien à réparer. Dailleurs, pourquoi ta mère ne le prend pas chez elle, son petit-fils adoré ? Ou il ne lintéressait que comme arme contre moi ?
Allons, Clémence ! Ma mère laime beaucoup. Mais elle na plus lâge, et ce nest pas son rôle. Toi, tes la mère, même si cest juste sur le papier
Tu sais quoi, Jean-Baptiste ? lâcha Clémence. Un enfant, cest pas une valise. Tu peux pas me le refiler juste parce quil te complique la vie. Vous lavez élevé comme ça, alors gérez-le !

Clémence raccrocha, refusant découter un nouveau monologue daccusations. Et elle avait bien raison. Un message clignotait sur son écran. De son fils.

Même si tu me prends chez toi, je me sauverai. Je veux pas te voir, écrivait-il.

Impossible de répondre, elle était bloquée. Ses jambes flageolèrent, un glaçon dans la gorge.

Jamais elle ne pardonnerait à Jean-Baptiste. Jamais. Trop de blessures.

…Le pire, cétait le tribunal, où lavocat de Jean-Baptiste, payé par Monique, la présentait comme une squatteuse sans emploi ni logement. Jean-Baptiste, lui, passait pour le père modèle, avec son CDI et son bel appart trois pièces à Lyon.

Pas étonnant que le juge ait choisi de laisser Paul avec son père. Monique avait, disons, les moyens de ses ambitions.

Je vais te pourrir la vie. Tu reverras plus ton fils, avait-elle lancé à Clémence la veille.

Et elle avait tenu parole.

Ce jour-là, au tribunal, Clémence regardait son ex-mari sans le reconnaître. Quatre ans plus tôt, il la suppliait de garder lenfant, alors quelle hésitait. Dix-huit ans, pas de diplôme, pas davenir. Des enfants, vraiment ?

Mais elle avait cédé. Pour Jean-Baptiste. Celui qui létouffait de jalousie et de contrôle. Ils se disputaient pour des broutilles, mais après chaque tempête, il redevenait doux, et Clémence fondait. Elle lui faisait confiance.

Si Clémence avait eu plus dexpérience, jamais elle naurait lié sa vie à un homme capable de lui casser son portable dans un accès de jalousie, ou de lui dicter sa tenue et son maquillage. Mais à dix-huit ans, elle croyait vivre sur le bas-côté du bonheur des autres. Sa mère, son beau-père, le petit frère tout neuf Clémence avait faim damour et ne savait pas reconnaître le faux du vrai.

Tout ira bien, promettait Jean-Baptiste. On va sen sortir.

Sen sortir, oui, mais seule. Après la naissance, Jean-Baptiste avait compris quelle était coincée. Et sa mère aussi. Avant, Monique se contentait de soupirer en voyant sa belle-fille, maintenant elle se lâchait carrément.

Tu fais que manger et dormir. Tu pourrais au moins te soigner un peu. Moi, après laccouchement, jétais nickel, lançait-elle, regardant Clémence de haut.

Clémence navait aucune chance face à ce duo. Impossible de lutter ou de pactiser. Elle lavait mal la vaisselle, servait mal le dîner, repassait mal les chemises. Parfois, elle avait limpression de respirer de travers.

Elle aurait continué à encaisser, si ce nétait pour sa meilleure amie, Violette.

Clem Pardonne-moi Jai déconné, avoua Violette, un peu pompette lors dune soirée. Jai couché avec ton Jean-Baptiste Cest arrivé, je suis désolée

Violette disait ça avec un sourire tordu, plus pour blesser que pour sexcuser.

Au début, Clémence pensa à un délire dalcool. Mais Jean-Baptiste confirma tout. Et pas en douceur : cris, larmes, vaisselle cassée. Ce fut la goutte deau.

Peut-être quune simple infidélité, elle aurait pu pardonner. Mais avec la copine Enfin, copine, façon de parler. Ça faisait double peine.

Clémence craqua. Impossible de vivre avec deux vipères démasquées. Elle demanda le divorce, décidée à refaire sa vie et récupérer son fils.

Mais elle perdit. Quand le juge rendit son verdict, le monde devint gris, sans odeur ni son. Elle vit Jean-Baptiste sourire, triomphant. Il ne voulait pas son fils, juste écraser Clémence avec sa mère.

…Les années suivantes furent pour Clémence comme gravir le Mont Blanc en tongs. Le sommet, cétait dacheter son propre appart. Pour Paul. Rien que pour lui. Pour ne pas être « personne » aux yeux du tribunal.

Elle acceptait tout boulot, parfois deux à la fois. Et pensait toujours à Paul. Elle voulait le voir, mais à chaque appel à Jean-Baptiste, cétait le même refrain.

Paul est malade. Et puis, on a des plans ce week-end. On quitte la ville, disait-il.

Clémence ne resta pas les bras croisés. Elle saisit la justice et obtint le droit de voir son fils. Mais quand enfin ils se retrouvèrent, ce fut pire que tout.

Mamie dit que tu mas abandonné, disait Paul, boudant ses cadeaux et esquivant ses bisous.

Il se reculait quand elle voulait le serrer. Chaque visite finissait en crise. Dabord Paul pleurait, Jean-Baptiste lemmenait, puis Clémence pleurait, seule.

Que pouvait faire une mère contre un duo qui distillait du poison dans les oreilles de son enfant ? À part rêver quun jour, elle serait une vraie maman, capable de tout lui offrir.

Le bouquet final, ce fut lanniversaire de Paul. Huit ans. Clémence débarquait avec un énorme ours en peluche et la nouvelle : elle avait enfin acheté un appart à crédit ! Un chez-soi, même petit ! Elle pourrait accueillir son fils !

Mais cétait trop tard.

Oh, Clémence, quelle surprise, fit Monique avec un sourire glacial en ouvrant la porte. Paul, viens, tas de la visite.

Un garçon grandit vite, surtout quand on ne le voit pas souvent. Dans son visage, on reconnaissait déjà Jean-Baptiste.

Bonjour, lâcha-t-il, distant.

Clémence sentit un frisson, mais tint bon.

Mon chéri, joyeux anniversaire ! Je te souhaite plein de bons amis, de la réussite à lécole et de la chance partout. On peut parler en tête-à-tête ?
Pourquoi ? Jai rien à cacher à la famille, fit-il, reculant.
Eh bien Je voulais juste balbutia Clémence, tendant la peluche. Jai mon propre appart maintenant. Je voudrais Enfin, jaimerais que tu viennes vivre chez moi. Même un peu. Tu me manques tellement, mon chéri, et je taime fort.

Paul la regarda avec des yeux vides.

Ne mappelez pas comme ça. Jai déjà une maman, lâcha-t-il. Cest ma grand-mère. Vous, vous êtes juste une dame. Et je veux pas de vos cadeaux.

Il tourna les talons et rentra dans sa chambre. Clémence resta figée sur le seuil, serrant lours inutile, sous le regard triomphant de Monique.

De retour dans son petit appart, Clémence ne pleura pas. Elle se sentait vidée, comme si on lui avait aspiré la vie. Son fils nexistait plus. Le garçon quelle aimait avait disparu. On lavait détruit. Et avec lui, on avait brisé quelque chose dessentiel en elle.

À partir de ce jour, Clémence cessa de lutter…

Trois ans plus tard, elle croisa par hasard une connaissance commune, Sylvie. Elles se retrouvèrent au détour dune rue et papotèrent. Dabord des news, puis du perso, et enfin

Clem, tu sais que Jean-Baptiste sest trouvé une nouvelle copine ? chuchota Sylvie. Et elle, évidemment, ne plaît pas à sa mère. Mais bon, même la Sainte Vierge ne lui conviendrait

Clémence ny prêta pas attention. Un peu vexée que Sylvie aborde le sujet. Mais quelques jours plus tard, Jean-Baptiste se mit à insister pour quelle prenne Paul chez elle, et Clémence repensa à la conversation. Tout était limpide : le garçon, nourri au venin, devenait encombrant.

Clémence aurait pu saisir loccasion, mais elle comprit soudain : inutile. Trop tard pour changer quoi que ce soit. Des années defforts, pour rien. Peu importe où elle avait trébuché, lessentiel, cest quelle était devenue une étrangère pour son fils. Voire pire.

Un an passa. Clémence gardait contact avec Sylvie, histoire de savoir comment allait Paul. Ce jour-là, elles se retrouvaient au café.

Alors, comment va Paul ? demanda Clémence, après les news.
Oh, tu sais Difficile. Jean-Baptiste se plaint. Il est ingérable, insolent avec son père et sa grand-mère. Il ne veut plus bosser à lécole. Il fugue parfois. Il a même piqué de largent. Bref, il a pris leurs habitudes soupira Sylvie. Dailleurs, Jean-Baptiste est à nouveau divorcé. Christine na pas tenu, elle est partie. Ta belle-mère et Paul lont fait fuir

Clémence haussa les sourcils, sans vraiment être surprise. Elle but une gorgée de café, aussi amer que la nouvelle.

Eh bien Clémence baissa les yeux. On récolte ce quon sème. Il a dépassé ses maîtres.
Tu ne regrettes pas ? demanda Sylvie, prudente. Si tu lavais pris Peut-être que ça aurait changé quelque chose.

Clémence secoua lentement la tête. Dans ses yeux, aucune hésitation.

Je regrette. Mais je naurais rien pu changer. On ne force pas quelquun à accepter son amour, dit-elle en repoussant sa tasse. Jai pas réussi avec Jean-Baptiste, ni avec Monique
Peut-être que cest mieux comme ça Tu as encore tout devant toi, conclut Sylvie.

Tout devant soi. Cest avec cette idée que Clémence rentra chez elle.

…Sa vie, avec ses douleurs, ses erreurs et ses leçons amères, continuait. Oui, on lui avait arraché son fils et transformé son cœur en ruines. Mais sur ces ruines, elle construisait obstinément un jardin, pierre après pierre. Et sa belle-mère et son ex-mari, eux, navaient pas su bâtir un paradis sur les débris du bonheur des autres. Surtout, ils navaient pas réussi à lentraîner, elle, Clémence, dans leur enfer. Et ça, cétait une petite victoire, discutable, mais bien réelle.

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« Et ma grand-mère a dit que tu m’avais abandonné »
Свекровь изменила судьбу семьи!