La Terrifiante Vérité

Élise était infirmière en réanimation pédiatrique depuis dixhuit ans. Au fil du temps, elle avait appris à ne pas pleurer devant les parents, à ne pas trembler quand on sortait un petit corps dans un sac noir, et à ne pas demander « pourquoi? ». Elle se contentait de faire son travail, puis rentrait chez elle.

Sa fille, Amandine, navait que six ans. Petite, rousse, toujours pleine de questions et détreintes qui sentaient le soleil et les fraises.

Un soir, Élise termina son service en retard. Elle appela la maison, aucune réponse. Elle crut que sa fille était sortie jouer. Elle rentra aux alentours de minuit.

Lappartement était éclairé. Des jouets jonchaient le sol. Sur la table de la cuisine, une tasse de thé à moitié bue. Et un silence si épais quon aurait pu lentendre boucher les oreilles.

La voisine du dessous lattendait dans le hall, le visage blême.

« Elle Amandine la voiture juste devant limmeuble le conducteur était ivre elle na même pas eu le temps »

Élise ne se rappelait plus comment elle était arrivée aux morgues. Elle ne se souvenait plus davoir serré la petite main froide en murmurant : « Maman est là, lèvetoi ».

Il ne lui restait quun souvenir : lorsquelle fut appelée pour obtenir le certificat de décès, le médecin déposa doucement les papiers devant elle et dit :

« Madame Élise jai quelque chose à vous dire. Tous les examens sont faits Amandine souffrait dune leucémie. Aiguë. Forme très agressive. Vous auriez remarqué les symptômes après une à deux semaines, au plus un ou deux mois et nous naurions rien pu sauver. »

Il baissa les yeux.

« Elle aurait souffert terriblement. Douleur, chimiothérapie, aiguilles, hôpitaux Vous lauriez vue séteindre petit à petit. Mais ainsi elle sest simplement endormie. Elle na pas eu le temps davoir peur, ni de ressentir la douleur. »

Élise resta silencieuse un long instant, puis leva les yeux.

« Vous voulez dire que cétait la meilleure solution? »

Le médecin acquiesça. Cétait tout ce quil pouvait faire.

Elle se leva, rassembla les documents et sortit dans la nuit parisienne.

En marchant dans les rues, elle saisit une vérité terrible, qui la poussait à hurler vers le ciel :

Parfois, le plus horrible qui peut arriver est exactement ce qui nous préserve dun mal encore plus terrible.

Elle enterra sa petite fille dans une robe blanche à nœud, celle que Amandine avait demandée « pour le jour de la princesse ». Cette perte lui apprit que la compassion peut parfois prendre la forme dune libération silencieuse, et que la paix véritable naît parfois de la douloureuse décision de laisser partir.

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