Clémence, faisons un accord au bord du lac, daccord? me demande mon nouveau mari, les yeux interrogateurs. Je te fournirai tout ce dont tu as besoin, et toi, tu ne réclameras rien. Tout restera pour mes enfants. Tu acceptes?
Jaccepte, Marc, répondsje avec un soupir.
Cet accord remonte à cinq ans. Je nai jamais voulu me marier. Jaimais ma liberté: bon travail, appartement à Paris, amie fidèle, un chat. Que demander de plus? Mais le temps passe, tout le monde se marie, a des enfants. Ma meilleure amie Aline sinstalle avec sa famille en Allemagne.
Dès que je croise une connaissance, la question revient: «Alors, tu es déjà ou pas?» Que répondre? Déjà ou encore en attente?
Je rencontre un jeune homme et je pense enfin me marier, changer de statut. Je passe dune célibataire à une femme mariée. Jenlace mon Olivier, avant même quil ne se rende compte. Cest un bon type, calme, qui sait cuisiner. Le seul problème: je ne laime pas. Je ne peux pas me forcer. Olivier essaie de me plaire, je le sens, mais
Nous vivons trois ans ensemble, puis, subitement, Olivier meurt à trentecinq ans, le cœur lâche. La mort ne connaît pas le temps darrêt. Je culpabilise, je me reproche mon indifférence. Je décide que je ne me marierai plus jamais.
Aline mappelle, vante sa vie en Allemagne, minvite à la rejoindre. Jembarque pour Strasbourg, tout est nouveau. Aline ne cesse de parler de son quotidien.
Clémence, aujourdhui nous sommes invitées à lanniversaire du patron de mon mari. Tu viens avec nous? Je lai prévenu de ta venue. Marc veut te rencontrer. Jai montré ta photo, sexclame Aline, haletante.
Tu es folle! Pourquoi le revoir? Un Allemand, je ne vais pas! rétorqueje.
Imbécile! Marc est un homme charmant, divorcé, avec deux adultes. Ne rate pas ça, insiste Aline.
Très bien, jy réfléchis, concèdeje, déjà en train de penser à quel point je lui serai reconnaissante plus tard.
Pas de doute! On le mariera à toi, lancetelle soudainement.
Je sens que tout est déjà décidé. Je ne veux pas blesser mon amie, alors je dis oui. Le soir, Aline, son mari et moi arrivons chez Marc. Un homme dâge moyen, élégant, nous accueille chaleureusement. Je reste bouchebée devant ce marié séduisant. Marc me serre la main, minvite à la table. Je suis prête à lépouser sur le champ. Toute la soirée, nous échangeons des regards lourds de sens, sourions, plaisantons.
Marc parle assez bien le russe, sa grandmère étant de Podolsk, ce qui crée de nombreux sujets de conversation. Nous échangeons nos numéros, au cas où, parce que la vie est imprévisible.
De retour à Paris, je rêve constamment de Marc. Il mappelle souvent, nos conversations durent trois heures, comme si nous nous connaissions depuis toujours.
Finalement, Marc me propose le mariage. Sans hésiter, je prends lavion pour Strasbourg. À laéroport, Marc mattend avec un bouquet somptueux de roses rouges, à genoux. Je rougis sous le regard des passants. Il me donne les fleurs, membrasse passionnément, me porte jusquau taxi. La foule applaudit, sourit.
Nous arrivons chez lui. Trois jours damour débridé et dinsouciance sécoulent en un instant. Cest une vraie explosion émotionnelle, sans besoin de paroles.
Marc organise une visite avec ses fils et sa mère. Le choc me saisit. Deux fils mariés me dévisagent, hochent la tête, comme sils attendaient enfin une bellemère. Sa mère, dune centaine dannées, est assise fièrement dans un fauteuil roulant. Aucun deux ne parle russe.
Je réalise que je dois mintégrer à cette «famille»; le destin ma choisie. Marc comprend lembarras, mais la première rencontre étant faite, nous pouvons nous asseoir à table, même en silence, et savourer des plats étrangers.
Heureusement, les fils vivent dans une autre ville, et la mère réside dans une maison de retraite. Elle a réellement 93ans. Une fois les formalités du déménagement et du mariage accomplies, Marc pose une condition: tout son patrimoine, à son décès, reviendra à ses fils. Moi, en tant quépouse, je recevrai des funérailles dignes. Le notaire confirme.
Les fils restent sceptiques, créent des tensions. Chaque semaine, Marc me conduit dans une autre ville voir les enfants, et je dois rendre visite à sa mère à la maison de retraite. Jendure tout, muette comme une souris.
Je ne travaille pas, je voyage en Europe deux fois par an, et jaime profondément mon mari. Les moments heureux lemportent sur les difficultés.
Quatre ans passent entre joies et soucis, puis Marc seffondre, gravement malade, cloué au lit. La prise en charge de Marc, les visites à la mère, les relations avec les fils pèsent sur mes épaules. Une année de maladie intense me pousse à revoir le testament en ma faveur. Je ne doute plus de la décision du mari.
Le matin suivant, les fils se tiennent à la porte, leurs regards remplis de rancœur, tentant de convaincre leur père de revenir sur sa décision. Ils disent que les épouses changent, mais les fils restent.
Je reste silencieuse, observant Marc épuisé par leurs remarques. Je prends la parole en allemand, légèrement hésitante.
Ne vous inquiétez pas, les garçons. Je ne réclame que votre père, je veux seulement quil se rétablisse. Je nai jamais construit de châteaux en lair.
Leurs épouses arrivent, attendues, assises sur le banc du jardin. Deux femmes se tournent vers leurs maris, qui acquiescent. Marc demande à tout le monde de sortir, sauf moi. La famille, à son rythme, séloigne.
Clémence, renoncestu vraiment à tout? Pourquoi? Tu resteras seule, sans rien, sinterroge Marc.
Pour moi, lessentiel, cest toi. Le reste na plus dimportance. Rétablistoi, Marc, disje, les larmes retenues.
Cest la vérité. Marc retrouve la volonté de guérir. Quand je lui annonce la future naissance dans notre petite famille, il se redresse complètement.
Nous attendons une petite fille, Helga. Marc veut lappeler ainsi en lhonneur de sa mère, qui a aujourdhui plus de centans. Je ny vois aucun problème.
Marc adore notre HelHelga. Les fils, jaloux, détestent la petite, car elle est désormais héritière directe. Je demande à mon mari de partager immédiatement lhéritage avec eux, ne gardant que la maison pour nous. La tranquillité prime.
Marc accepte sans objection.







