Il est grand temps que je parte

Élodie est allongée dans leau tiède de la baignoire, incapable de se lever. «Je devais partir depuis longtemps», répètetelle pour la millième fois, comme pour se justifier ou convaincre quelquun. Elle sait que plusieurs SMS arrivent sur son téléphone, mais elle ne veut pas les ouvrir, de peur de ce quils révéleront.

Sa relation avec Gaston a toujours été une montagne russe. Ils se sont rencontrés au festival de musique de Nîmes ; cest elle qui la invité à passer la nuit, sans jamais envisager de le revoir. Le lendemain, elle le retrouve devant limmeuble, un bouquet de marguerites à la main, et réalise quelle est tombée.

Elle part ensuite un an en stage en Allemagne, pendant que Gaston reste à attendre, lui écrivant de longues lettres. Son vol de retour accuse un retard de cinq heures. Gaston la retrouve à laéroport CharlesdeGaulle, tout blême dexcitation et de fatigue, ne sachant pas ce qui sest passé, craignant pour elle. Il tient à nouveau des marguerites, et elle comprend quelle veut des enfants avec lui.

Après cinq mois de congé maternité, elle reprend le travail, tandis que Gaston soccupe du bébé, incapable de trouver un emploi. Toutes les demiheures, il lappelle pour savoir où sont les affaires, quand elle rentrera. Au bureau, les collègues sétonnent de voir un homme avec un nourrisson, mais Élodie na pas le temps de sémerveiller: entre le travail, le petit qui dort sur ses bras, le déjeuner, le dîner, la lessive, le ménage et le rangement, elle travaille encore la nuit.

Elle emprunte de largent à plusieurs reprises: un vélo pour sa fille, la réparation du toit de la maison de campagne offerte à leur mariage, le paiement du crédit de la voiture quils ont achetée pour que Gaston puisse faire du taxi en attendant un poste stable En tant que chercheuse junior, son salaire est modeste, et elle ne parvient pas à gravir les échelons, peutêtre par manque de talent, peutêtre par manque de temps.

Les années passent. Elle met au monde un deuxième enfant, reprend le travail six mois plus tard, laissant le garçon à la mère. Gaston, enfin, trouve un petit boulot: il conduit les enfants à la crèche, travaille quand il le peut, emprunte pour un nouveau manteau dhiver pour le garçon, paie lentrée à la piscine pour la fille, prépare des soupes, change leau des vases de marguerites

Parfois il travaille, parfois il regarde la télévision, mais surtout il boit. Au neuvième anniversaire de leur union, il est hospitalisé pour une appendicite ; le médecin lui suggère dentrer en cure, la bière ayant remplacé les globules rouges dans son sang.

Élodie répète en chemin vers la maison le discours «nous devons vivre séparément» et «divorçons». Elle ne supporte plus son visage, son odeur, ses caresses. Le toit de la maison de campagne pourrit à nouveau, mais elle ne veut plus le réparer. Ils ne sy rendent plus. Les marguerites se fanent vite, car elle oublie de changer leau.

Elle tombe amoureuse de quelquun dautre et le trompe. Elle ne trouve rien à reprocher à son mari; il la regarde encore avec les mêmes yeux que ceux de laéroport, comme sil craignait quelle ne revienne jamais. Mais elle veut des yeux tout autres. Elle se dit que cela ne signifie rien, alors que cela veut dire quelle devait partir depuis longtemps. Pas vers lamant, qui est déjà marié.

Un jour, elle se surprend à calculer combien dannées elle aurait à purger si elle commettait un meurtre. Cest la goutte qui fait déborder le vase. Elle rassemble les enfants, les valises, et sinstalle chez sa mère. Gaston pleure, le suppliant de ne pas partir. Élodie reste muette, elle pleure aussi, mais jamais elle ne sest sentie aussi légère.

Se relevant enfin de leau fraîche, elle enfile son peignoir de bain, sort son téléphone de la poche. Elle sait quelle devra lire les messages tôt ou tard. Après une dizaine de «je taime», «reviens», «appelle», «ne pars pas», Gaston écrit en dernier: «alors je pars». Cest le dernier SMS.

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Il est grand temps que je parte
Свадьба состоялась. А счастья – как не было, так и нет!