Le frère de mon mari a demandé à rester chez nous quelques jours et s’est installé pendant un mois.

Le frère de mon beaupère a demandé à loger chez nous quelques jours, et il sest finalement planté un mois.

«Manon, fais un effort, ce nest pas long. Deux ou trois jours, pas plus! Le propriétaire du petit studio a doublé le loyer sans prévenir. Où vatil aller, à la gare?» Je le regardais, les yeux fatigués comme ceux dun vieux labrador, en triturant le bord dun torchon de cuisine.

Manon a laissé tomber son couteau sur la planche. Une montagne de carottes non coupées pour le riz pilaf la fixait du regard orange, comme un reproche muet. Cétait vendredi soir, la fatigue de la semaine venait de sécraser sur nous, et le rêve dun peu de calme avec un verre de vin fondait comme la première neige sur le bitume chaud.

«Victor a trentecinq ans, il travaille, il a des amis. Tu ne crois pas quon puisse lui trouver un autre toit?» Aije demandé. «Notre studio est minuscule, on na pas de place. Il devra dormir où? Dans la cuisine?»

Manon a haussé les épaules. «On pourrait mettre un lit de camp sur le balcon ou dans le couloir pour la nuit. Cest son frère, du sang. Il partira vite, dès quil aura trouvé un appartement. Je lui ai déjà dit : «Victor, seulement le weekend, pendant que tu cherches un appart». Il a promis de ne pas rester trop longtemps.»

Elle a jeté un œil à la fenêtre. Le soir dautomne, le vent faisait bruisser les feuilles mortes dans la cour. Expulser quelquun dehors, surtout un proche, nétait pas une option. Manon avait grandi avec lidée que la famille était sacrée, mais son instinct murmurait : «Non, ne le fais pas».

«Daccord», a-telle cédé, et je lui ai souri. «Mais seulement deux jours. Jai besoin de calme pour préparer mon rapport annuel, et pas de fête dans le salon.»

«Victor sera discret comme une ombre!», aije rétorqué, sûr de moi.

Dix minutes plus tard, la porte a sonné. Victor, le frère sans domicile, attendait sur le banc de limmeuble.

Il a foncé dans lentrée, sentant la clope bon marché et une odeur de renfermé. Deux grosses valises à carreaux, un étui de guitare, comme sil déménageait pour de bon.

«Salut les hôtes!», atil crié avant même denlever ses chaussures, et sest précipité pour membrasser. «Merci, vous mavez sauvé! Ce propriétaire, il est devenu fou. Où puisje poser mes affaires?»

Je me suis détachée de son étreinte. «Victor, enlève tes bottes, jai à peine fini de laver le sol. Accroche ta veste au portemanteau.»

«Pas de problème, la patronne!Y atil à manger?Je nai pas vu une grainette de pavot depuis ce matin, jai passé la nuit à emballer mes trucs.»

Le soir, le lit de camp a envahi la moitié du studio, bloquant laccès à la penderie. Victor a englouti le pilaf comme sil navait pas mangé depuis une semaine, bruyamment, pendant que je lui servais du thé et que je jetais des regards coupables à Manman. Elle lavait la vaisselle en silence, supportant les leçons de vie de Victor :

«Olivier, tes trop mou. Avec les femmes, faut être plus dur. Ma ex a voulu reprendre le volant, jai dit «Adieu». Un homme doit être le maître de la maison!»

Je me suis surprise à penser, en frottant lassiette, «Ce maître dort sur mon lit de camp, alors que cest à moi et à moi que revient le remboursement du crédit immobilier.»

Le weekend sest transformé en cauchemar. Victor se levait tard, monopolisait la salle de bain une heure en chantant, ressortait en caleçon en réclamant le petitdéjeuner. Il fumait sur le balcon, la fumée sinfiltrait dans le salon malgré la porte fermée. Toutes mes tentatives détablir des règles se heurtaient à son «Allez, Manon, cest de la famille!».

Lundi matin, avant mon départ au travail, Victor ronflait encore.

«Olivier, il cherche un appartement aujourdhui? Deux jours sont passés.» aije demandé à Manon dans le couloir.

«Oui, il a appelé hier pour des annonces, il ira visiter des lieux cet aprèsmidi.» aije haussé les épaules.

Le soir, rien de concret. En rentrant, jai trouvé lodeur de frites et la télé à plein volume. Victor était affalé sur le canapé (celui que je partageais avec Manon), les jambes sur le reposebras, regardant un match.

«Manon, salut!On a fait des frites, un peu salées, mais avec une bière ça se passe.»

Jai figé à lentrée. «Une bière? Aujourdhui cest lundi.»

«Et alors? Cest la Ligue des champions! Viens, serstoi, il reste des frites dans la cuisine.»

Jai pénétré dans la cuisine. La pile de vaisselle était doublée, la poêle noire traînait sur la table, les pelures de pommes de terre jonchaient le sol.

«Olivier!» aije crié.

Il est apparu une minute plus tard, évitant mon regard.

«Quoi le problème, Manon?»

«Victor na plus de place, il ne paiera pas le dépôt ni les frais dagence, son salaire est en retard. On peut encore le garder deux jours?Pas dexpulsion.»

Manon a senti son sang bouillir. «Deux jours, exactement deux jours. Sinon tu cherches un appartement avec lui.»

Les deux jours se sont étirés à une semaine, puis à deux. Victor sest installé comme un tapis usé, ses chaussettes sous le canapé, son rasoir sur mon étagère, sa tasse à moitié remplie sur mon bureau.

Le pire, cétait que moi, au lieu de régler la situation, je me laissais entraîner dans ses projets farfelus, nos soirées à parler de business, à revivre notre enfance, pendant que Manon se transformait en bonne à tout faire.

«Manon, il ny a plus de mayo!», a crié Victor depuis la cuisine. «Va au super, prends le gros paquet, pas le petit de la dent!»

«Et ma chemise?Je lai mise au panier, jai un entretien demain.»

Ma voisine, Madame Germaine, a confirmé : «Ton frère passe la journée à écouter de la musique, à courir au magasin pour de la bière.»

Ma patience a cédé vendredi soir, après un mois de «deux jours».

Je suis restée tard au bureau, terminant le rapport, la tête qui éclatait. Tout ce que je voulais, cétait mallonger et fermer les yeux. En ouvrant la porte de lappartement, jai entendu des rires forts et le tintement de verres.

Victor avait amené un ami, Thierry. Ils étaient à la fenêtre, fumant, la table couverte de bouteilles et de mets délicats que javais achetés pour mon anniversaire jambon de Parme, fromage à pâte persillée, une boîte de caviar.

«Oh, la maîtresse est là!», a dit Victor en rigolant. «Voici Thierry, le gros bonhomme. On discute dun plan daffaires, viens!»

Olivier, embarrassé, a murmuré : «Victor, javais demandé pas dinvités»

Je suis allée jusquà la table, jai pointé la boîte de caviar encore fermée, la tasse de café vide.

«Làdessus,», aije dit calmement.

«Quoi?» a demandé Victor, perplexe.

«Enlevezvous dici, tous les deux, maintenant.»

Victor sest offusqué : «Tu deviens folle?On est ici tranquillement, pourquoi ce drame?»

«Cest mon domicile!Je paie le loyer, je nettoie, jachète les provisions!Et toi, parasite, tu vis ici un mois, tu nas rien donné, tu as tout dévoré et tu invites tes potes à boire!»

«Calmetoi!», a hurlé Victor en se levant. «Tu parles à ton beaufrère comme ça?Olivier, tentends?Ta mère est complètement à louest.»

Olivier sest planté dans le fauteuil, les yeux vides.

«Manon, vraiment, on devrait parler demain»

«Demain?» aije ri, un rire crispé. «Très bien, demain, mais le banquet est fini.»

Je suis montée à la chambre, jai fermé la porte à clé. Toute la nuit, jai entendu Victor marmonner à la cuisine sur «la garce», tandis quOlivier essayait de le calmer.

Le matin, alors que les deux frères somnolaient encore, jai appelé ma mère, Valérie, qui était à la retraite, ancienne directrice décole, autorité à la française.

«Allô, maman?Tu avais dit que tu viendrais à lhôpital pour ton dos. Viens aujourdhui, je prends le billet.»

Valérie, en tablier, a débarqué comme une inquisiteur, une cuillère en bois à la main.

«Questce que tu fais, Manon?Habilletoi, cest une honte!Une vieille dame et vous, vous jouez les clochards!»

Victor a balbutié : «Euh qui êtesvous?»

«Je suis la bellemaman. Je reste un mois, peutêtre deux. Le médecin a prescrit du repos. Routine: réveil à sept heures, exercices, petitdéjeuner, ménage.»

Elle a immédiatement imposé son ordre dans lappartement, faisant sortir Victor les ordures du balcon.

«Allez, prends les sacs!Je suis asthmatique, je veux pas de tes mégots!»

Victor a tenté de répliquer : «Je suis invité!»

«Invité, cest trois jours. Toi, tes locataire gratuit, alors travaille.»

Le déjeuner était une soupe légère et des boulettes vapeur, Valérie était au régime et a fait manger tout le monde.

Le soir, je suis rentrée du travail, lappartement méconnaissable : sols brillants, odeur de chlore et de pâtisseries. Au couloir, Olivier et Victor passaient la serpillière sous le regard sévère de ma mère.

«Ma fille est arrivée!Assiedstoi, mange. Les autres nettoient.»

Victor a lancé la serpillière dans le seau : «Je ne peux plus, cest un camp de concentration!Olivier, disle!»

«Questce que je dis?Maman, cest sale ici»

«Traître!Je pars!»

«Bonne route!», a crié Valérie. «Vérifie bien que tu ne repars pas avec quelque chose qui ne tappartient pas.»

Victor a rassemblé ses valises, jurant de revenir.

«Vous regretterez!Je ne reviens plus jamais!»

Je lai regardé, calmement, en mordant une part de tarte. «Pose les clés sur la table.»

Après vingt minutes, la porte sest refermée derrière Victor. Un silence sacré est tombé.

Olivier sest assis, essuyant le front.

«Quelle journée Maman, vous restez vraiment un mois?»

Valérie a souri, lœil pétillant.

«Oui, votre nid me plaît. Jai des semis, un chat, une série à finir. Je resterai jusquà dimanche, je vérifierai que ce parasite ne reste pas, puis je rentre. Et vous, gendre, souvienstoi : la famille, cest le conjoint et les enfants, pas les parasites qui sinstallent. Si je te vois encore me manquer de respect, je viendrai avec le chien.»

Olivier a avalé sa salive.

«Compris, Madame!Plus jamais.»

Je me suis assise auprès dOlivier, posant ma main sur son épaule.

«Jespère, Olivier, parce que la prochaine fois je ne pourrai plus supporter. Soit on vit tous les deux, soit je déménage chez ma mère et tu cherches un autre logement avec ton frère.»

«Non, non!Juste nous deux. Cest ma faute, je ne sais pas dire non.»

«Tu apprendras,» a déclaré ma bellemaman en servant du thé. «La vie tenseigne, ou je le fais.»

Dimanche, Valérie est partie, laissant un appartement impeccable, un frigo plein de boulettes et une leçon de limites gravée dans lesprit dOlivier.

Une semaine plus tard, Victor a appelé.

«Allô, Olivier?Jai trouvé un appart, mais il faut le dépôt. Tu peux me prêter dix euros jusquà la paie?»

Jai jeté un œil à Manon, qui lisait. Jai pensé aux serpillières, aux regards de ma mère. «Désolé, Victor, pas dargent. On rénove, tu devras ten sortir seul.»

Manon a souri, sans lever les yeux du livre.

«Bien joué.»

«Je vais changer les serrures, au cas où?»

«Je les ai déjà changées mercredi, pendant que tu étais au travail.»

Le calme est revenu. Cette histoire de frère nous a coûté des nerfs, des provisions, mais nous a appris à dire non. Lhospitalité, cest beau, mais seulement quand les invités connaissent leurs limites et que les hôtes savent se valoriser.

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Le frère de mon mari a demandé à rester chez nous quelques jours et s’est installé pendant un mois.
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