Je suis rentré chez moi à Paris pour le dîner que préparait ma femme, Camille, ce soir-là. Javais besoin de lui parler, la discussion sannonçait difficile, alors je commençai par : « Il faut que je te dise quelque chose » Elle ne répondit rien et retourna à la cuisine. Une fois de plus, je lus la douleur dans ses yeux.
Je devais poursuivre, alors javouai que nous devions divorcer. Elle demanda simplement : « Pourquoi ? » Je narrivai pas à répondre, je fuis la question.
Elle se mit alors en colère, lança une crise, me jeta tout ce qui lui tombait sous la main. « Tu nes pas un homme », cria-t-elle.
Il ny eut plus rien à dire. Je me couchai, mais le sommeil tarda à venir, et jentendis ses sanglots. Javais du mal à lui expliquer ce qui était arrivé à notre mariage ; je ne savais pas comment lui dire que je ne laimais plus depuis longtemps, que je ne ressentais plus que de la pitié et que mon cœur appartenait à Béatrice.
Le lendemain, je préparai les papiers du divorce et du partage des biens. Je laissai à ma femme la maison, la voiture et 30% des actions de mon entreprise. Elle ricana, déchira les documents et déclara ne rien vouloir de moi. Puis, elle se mit à pleurer de nouveau. Jéprouvais de la tristesse pour nos dix ans de vie commune, mais sa réaction ne fit que renforcer ma volonté de mettre fin à notre union.
Ce jour-là, je rentrai tard, ne dînai pas et allai directement au lit. Elle était assise à la table, en train décrire. Au milieu de la nuit, je me réveillai ; elle écrivait toujours, penchée sur son bureau. Je navais plus aucune intimité avec elle.
Le matin suivant, elle me présenta ses conditions pour le divorce. Elle insista pour garder de bonnes relations, tant que nous en serions capables. Son argument était convaincant : dans un mois, notre fils Lucas aurait ses examens, et elle craignait que la séparation ne le bouleverse. Le second point me sembla absurde : pendant un mois, chaque matin, je devrais la porter hors de la chambre jusquau porche, comme rappel du jour où, à notre mariage, je lavais introduite dans mon foyer.
Je ne contestai pas, indifférent. Au travail, je racontai cette requête à mon collègue, qui, avec sarcasme, qualifia ces gestes de simples tentatives de manipulation de ma femme pour me retenir.
Le premier jour où je la soulevai, je me sentis maladroit. Nous étions devenus étrangers lun pour lautre. Lucas nous vit et sécria : « Papa porte maman! » Ma femme murmura : « Ne lui dis rien » Je déposai ma femme sur le sol près de la porte, doù elle alla à larrêt de bus.
Le deuxième jour, le geste se fit plus naturel. Jobservai, étonné, les petites rides qui marquaient son visage et les quelques cheveux dargent qui lui parsemaient la chevelure. Tout cet amour quelle avait versé dans notre union, comment lavaisje remboursé?
Peu à peu, une petite étincelle naquit entre nous, grandissant chaque jour. De plus en plus, elle me semblait plus légère. Je ne racontai rien à Béatrice.
Le dernier jour, je mapprêtais à la prendre dans les bras quand je la trouvai près de larmoire, désespérée davoir perdu du poids. Elle était vraiment amincie, bien trop. Notre fils entra et demanda quand papa porterait à nouveau maman, comme une tradition. Je la pris, ressentant la même émotion que le jour de notre mariage. Elle me serra doucement la nuque. Le seul détail qui me troubla fut son poids.
Je la remis au sol, attrapai les clés de la voiture et filai au travail. En rencontrant Béatrice, je lui confessai que je ne voulais plus divorcer, que nos sentiments sétaient refroidis parce que nous avions cessé de nous accorder du temps. Elle me donna une claque, senfuit en larmes.
Je compris alors que je voulais surtout revoir ma femme. Je sortis de mon bureau, achetai le plus beau bouquet chez le fleuriste du quartier, et, quand le vendeur me demanda le texte de la carte, je répondus : « Je serai heureux de te porter dans les bras jusquà la fin des temps. »
Je rentrai chez moi, le cœur léger, et montai les escaliers en souriant. En ouvrant la porte de la chambre, je trouvai ma femme allongée, sans vie. Plus tard, jappris quelle luttait courageusement contre un cancer depuis plusieurs mois, mais nosait rien me dire, absorbée par nos affaires avec Béatrice. Elle était dune sagesse étonnante : pour que je ne devienne pas un monstre aux yeux de Lucas à cause du divorce, elle avait imaginé toutes ces « conditions de séparation ».
Cette histoire montre que, même au bord du désespoir, la compassion et le respect mutuel peuvent sauver ce qui compte le plus : la famille. Il suffit parfois dun petit geste damour pour rappeler ce qui est véritablement précieux.







