Cher journal,
Aujourdhui, jai croisé Gisèle dans le vieux quartier de Nantes, et le temps ma semblé suspendu. «Élisabeth, tu ne me reconnaîtras pas, tu passes sans un mot?», ma demandé, souriante, la trentaine bien plantée, un brin rondelette. «Tu te sens peutêtre un peu fière?»
«Gigi, excuse, je nai vraiment pas su que cétait toi», aije répondu en marrêtant, les yeux cherchant le visage familier. «Comment auraisje pu te reconnaître après tant dannées, depuis la fin du lycée ?»
Nous nous sommes enlacées comme deux vieilles copines, séparées par le hasard. Véronique est restée à Nantes, tandis que Gisèle sest mariée et a suivi son époux dans les montagnes de la Savoie.
«Gigi, tu as bien grandi! Ce doit être le bonheur qui te gonfle», aije ri. Les cheveux sont plus gris, quelques rides se sont dessinées autour des yeux, mais lessence reste la même. «Questce qui ta ramenée dans nos contrées? Tu nas plus personne ici, nestce pas?»
«Pas du tout, ma cousine Svetlana me rappelait à lesprit», ma-t-elle répliqué. «Tu te souviens delle, plus grande que moi»
«Oui, je la croisais parfois, pourquoi?»
«Elle est décédée. Cest à ses funérailles que je suis revenue Ce soir, je prends lavion pour rentrer. Il ne me reste plus vraiment personne ici,», a-t-elle soupiré.
«Quelle tristesse, elle était une femme bonne.»
«Tu sais qui jai revu au cimetière?», a poursuivi Giselle. «Mickaël.»
«Mickaël?»
«Ce type avec qui tu sortais brièvement, non?Je ne connais pas les détails, mais tu las quittée vite»
«Ah, Mickaël Je ne sais rien de lui.»
«Cest un parent éloigné de Svetlana, du côté de son mari je crois. Il a vieilli, devient négligé Il sest séparé de sa première femme rapidement, sest remarié, deux fils, le second né handicapé. Incapable de supporter les épreuves, il a abandonné sa femme et ses enfants, puis sest marié une troisième fois. Il était seul aux funérailles,», a expliqué Giselle.
«Il a toujours été dur, cest pour cela que nos chemins se sont séparés, grâce à Dieu.»
«Sa sœur, qui ne le fréquente plus, ma tout raconté, ainsi que Vera, qui était aussi là. Elle a décrit la deuxième épouse et le fils invalide. Quand il a laissé ce petit garçon, la famille la critiqué, mais il a répliqué:«Le monde est plein de femmes sans soucis, pourquoi devraisje souffrir?», tu imagines?»
«Je le vois bien, je ne suis pas surprise.»
Nous avons évoqué quelques camarades de classe, mais Gisèle devait repartir. Nous nous sommes échangées nos numéros et, en rentrant lentement chez moi, jai repensé à Mickaël, celui avec qui javais fréquenté avant dépouser André.
«Dieu ma guidée, ou plutôt mon père, il a tout de suite décelé la vraie nature de Mickaël,» pensaisje, revivant ces souvenirs.
À quarantesept ans, je suis toujours une femme droite, respectable. Dans ma jeunesse, jétais une jolie fille qui attirait les regards, mais je nétais pas volage; je préférais maintenir des relations amicales.
Javais rencontré Mickaël à vingt ans. Il semblait romantique, mapportait des fleurs, on allait au cinéma, on se promenait. Trois mois plus tard, jétais convaincue de laimer et de lépouser, comme toutes les jeunes filles rêvent.
Mickaël me raccompagnait toujours chez moi. Mes parents le connaissaient bien. Mon père, Zacharie Dupont, homme jovial et sociable, pouvait parler à nimporte qui.
«Ma fille, invite Mickaël à dîner», proposatil un soir. «Nous aimerions le rencontrer, ma femme et moi ne savons pas qui il est.»
«Daccord, papa, nous irons ensemble,» promisisje.
Le lendemain, je linvitai :
«Mickaël, viens chez nous, les parents veulent te connaître.»
«Sils le veulent, jy vais,» acceptatil sans hésiter.
Ils arrivèrent pendant que le dîner se préparait.
«Entrez,» dit mon père en le serrant la main. «Prenez place, le repas est prêt. Sinon vous partez avec ma fille et revenez affamés à minuit. Mangez dabord.»
Après les présentations, Mickaël sinstalla à côté de moi. Jétais un peu timide sous le regard de mes parents, même à la maison. Ma mère, Claire, cuisinait du poisson.
Nous avions un chat, Mimi, qui traînait dehors et revenait quand lodeur du poisson la guidait. En posant le plat, ma mère le déposa dans la gamelle :
«Si je ne le donne pas, il ne partira pas,» ritelle. «Il tournera autour de nos pieds.»
Le père discuta avec Mickaël, la mère le harcelait de friandises. Soudain, Mimi sétouffa avec une arête. Tous se précipitèrent, sauf Mickaël, qui resta stoïque. Nous lentourâmes, cherchant comment laider, mais restions désemparés.
Maman prit le petit félin dans ses bras et courut dehors :
«Il doit rejeter larête,» murmuratelle, presque en pleurs. Zacharie la suivit.
Pendant que la famille sagitait, Mickaël resta assis, mangeant sans bouger. Quand ils revinrent, larête était sortie, le chat allait mieux.
«Grâce à Dieu,» déclara ma mère, soulagée, en libérant Mimi.
«Mimi, tu nous as fait peur,» ajoutaije.
Mickaël, sans se départir de son calme, lança :
«Pourquoi tant de bruit pour une simple chatte? Elle sen remettra, il y a des chats partout dans la rue.»
Nous échangâmes un regard incrédule.
«Vous avez une chatte chez vous?» demanda ma mère.
«Non, je naime pas les animaux, je préfère les appartements sans eux,» répondittil avec indifférence.
Après le thé, il proposa de se promener. Javais envie de le raccompagner, surtout après avoir vu lexpression maussade de mon père.
La soirée, pourtant débutée en beauté, se termina sur une note sombre. Je ne voulais plus marcher longtemps avec Mickaël, alors je rentrai précipitamment.
«Mickaël, je nai plus envie de sortir, je rentre,» dis-je. «Ne me raccompagne pas, cest près dici, je peux y arriver.»
«Très bien,» répliquatil, me donnant un petit baiser sur la joue.
De retour, mes parents discutaient sur le canapé. Mon père, toujours juste, était franc :
«Ma fille, je te le dis clairement. Je ne veux plus voir ce garçon près de toi. Il ne mérite pas dêtre à tes côtés.»
Ma mère resta silencieuse. Javais déjà envisagé cette décision.
«Tu sais, on peut juger une personne à travers ses actions, ses paroles, même à la façon dont il traite les animaux. Aujourdhui, il ne sest même pas inquiété de la souffrance de Mimi. Un homme comme ça abandonnera à la première difficulté. Coupe tout, avant que cela naille plus loin,» concluttil.
«Oui, papa, cest pourquoi je suis rentrée tôt. Je nai pas envie de continuer avec lui,» avouaije, le cœur lourd mais soulagé.
Le lendemain, quand Mickaël me croisa, jétais prête.
«Bonjour, Véronique,» lançatil, voulant membrasser la joue, mais je lévitai.
«Questce que tu fabriques, Mickaël?»
«Je veux te dire que je ne veux plus rien entre nous. Je propose quon reste amis.»
«Pourquoi cette décision? Mes parents tont-ils déplu?»
«Les deux,» répliquatil, sarcastique. «Je ne veux plus te voir.»
Je méloignai, les mots blessants de ses camarades résonnant derrière moi. Je pensais, soulagée, que ma décision était juste, que mon père avait eu raison.
Le temps passa; Mickaël disparut de ma vie. Je compris que nous navions jamais eu damour véritable.
Peu après, jai rencontré André, mon compagnon pour toute la vie. Nous nous sommes mariés, avons eu deux enfants, puis une petitefille. Nous vivons en harmonie, cœur contre cœur.
Ce soir, en approchant de la porte de notre maison à Nantes, mes pensées reviennent à Mickaël, à la rencontre avec Gisèle. «Je ne peux pas oublier cet épisode. Je remercie mon père. Si ce soir-là il navait pas invité Mickaël à dîner, si notre chatte ne sétait pas étouffée, je naurais peutêtre jamais découvert la vraie nature de mon petit ami. Peutêtre que je laurais découvert plus tard, mais alors il aurait été trop tard»
Cest incroyable comme les petites choses révèlent les grandes vérités.
Véronique.







