Les Merveilles Se Produisent

LES MIRACLES ARRIVENT

La vie de couple dIrène sétait fissurée comme un vieux mur de pierre à la campagne. Aucun adultère navait eu lieu, mais la palette colorée de leur quotidien sétait muée en un gris monotone, semblable à une journée de marmotte où le désir dapprendre à jouer du piano nétait jamais né, et tout ce qui lentourait ne faisait plus quirriter. Lengagement volontaire dIrène à vivre pour les besoins de sa famille était devenu, à leurs yeux, une simple obligation, sans réciprocité ni attention. Ses tentatives dexpliquer son mal-être à son mari Gérard et à son fils Sébastien restaient sans effet; personne ne voulait bousculer lordre établi, et ses reproches étaient perçus comme des caprices. Irène se demandait où elle avait perdu la reconnaissance de son soin, de son amour de mère et dépouse, traités désormais comme le devoir dun personnel de service.

Un jour, le découragement accumulé déborda, brisant toutes les digues et déversant sur son chemin les projets de toute une vie sans réfléchir aux conséquences. Elle ne voulait plus, ne pouvait plus, ne serait plus jamais ainsi. À quarantetrois ans, elle devait soit poursuivre seule, soit transformer radicalement son existence. Sébastien lécouta calmement; il restait encore un sérieux entretien à tenir avec Gérard, car Irène nétait pas prête à parler sans émotion.

Le lendemain, le Nouvel An approchait. Sébastien annonça quil fêterait avec des amis, et Gérard ne suscitait plus dinquiétude, même si Irène ne pouvait pas encore y penser sereinement. Pendant des années, la famille célébrait le passage à la nouvelle année chez les parents dIrène et dAline, rassemblés aux alentours de trois ou quatre heures, moment où la fête véritable commençait. Cette foisci, les parents étaient partis au spa de Vichy, et y fêteraient le réveillon.

Irène appela sa sœur, espérant encore pouvoir sinsérer dans les plans.

Salut ma chère, je voulais savoir où tu fêteras? Une demoiselle de quarantetrois ans ne posera pas problème, jespère?

Oh là! sécria Aline en riant, tu ne devineras jamais! Tu seras avec nous, comme il se doit.

Aline, neuf ans plus jeune, nétait jamais mariée ; toujours pressée, plongée dans sa carrière. Elle avait présenté Gérard à quelques prétendants, mais aucun navait mené au mariage.

Il est grand temps que tu te maries, lança Irène.

Un miracle arrivera, on sentraidera, répéta Aline.

Ce ne sera pas possible, mon frère partira avec ses amis, et Yves cest la crise, je nai pas le temps, termina Irène, ajoutant que ses propres problèmes la poussaient à demander de laide.

Daccord, tout va bien, Irène! Tes soucis sont dans ta tête, dehors tout est calme, répondit Aline, un brin taquine. Elle raconta un petit incident où elle était tombée malade, luttant contre la fièvre, et comment personne ne lavait rien offert, même un simple thé. Elle conclut quelle avait besoin de réfléchir et passa au sujet de la fête.

Les parents? demanda Irène.

Jai appelé, ils vont très bien, répondit Aline, en soupirant. Ils samusent comme des enfants à la crèche: cartes, flocons de neige, décor de sapin, devinettes Un brin de jalousie, avouatelle.

Irène rit.

Jai une proposition, ma sœur. Une collègue de maman, Nadine, vend une belle maison de campagne. Tu te souviens delle? Lendroit est parfait, le propriétaire est honnête. On a les clefs, le voisin les garde. On pourrait y aller demain, y passer le réveillon: grillades, champagne, pas besoin de salades. Quen pensestu? proposa Irène.

Jaime lidée, accepta Aline, et déclara quelle viendrait passer la nuit chez nous.

Le matin suivant, elles filèrent sur lautoroute enneigée, faisant un arrêt au supermarché Carrefour. Gérard rentrait dun vol après six mois de navigation, le temps sétirant comme un souffle. La maison lattendait, coiffée dun manteau de neige, les cheminées crépitaient, le balai passait et la poussière était aussitôt éliminée. Une demiheure suffit à nettoyer lallée et la terrasse.

Dans le grenier, Gérard déballa la boîte à décorations et le coffre à jouets. Il orna calmement le sapin, accrochant boules de verre, glaçons et pommes de pin. Les décorations, dorigine allemande, brillaient dun éclat vivant, loin du plastique mat. Au fond du coffre, un Père Noël en bois, élégant, fut placé sous le sapin, revêtu dun manteau richement brodé de perles. Ce vieil homme navait rien de lancien vendeur de boissons; il ressemblait à celui des contes, issu dun portail secret, prêt à offrir une aventure.

Nous voilà seuls, soupira Gérard avec un sourire triste.

Capitaine de la flotte marchande, il passait six mois en mer puis six mois au repos. Il avait grandi avec ses parents, était le benjamin, son frère aîné était plus âgé de dixhuit ans et sa sœur de quinze. Tous trois étaient loin, mais conservaient le contact, partageant les succès et les inquiétudes de chacun. Après le décès de leurs parents, le nouveau contrat de Gérard devint son refuge contre la solitude.

Un soir, sa mère, le regard doux, lavait caressé la tête et dit:

Marieztoi, mon fils, ne reste pas seul.

Maman, mon travail ne le permet pas, réponditil, mais je ne veux pas te décevoir.

Jy travaillerai, ditelle, en plaisantant sur les futures épouses damies, puis, sérieusement, elle ajouta quelle imaginerait chaque jour son bonheur avec sa future femme, persuadée que tout finirait bien.

Gérard invita alors frère et sœur à passer le Nouvel An chez lui, mais leurs voyages étaient déjà réservés et les billets épuisés. Ils convinrent de venir après les fêtes, car la maison ne pouvait être partagée. Les aînés ne pensaient pas à réclamer un héritage ; la maison resterait familiale, même si chacun vivait de son côté.

Irène et Aline parcouraient la rue, observant les façades.

Le voilà! Sécria Irène, admirant la bâtisse comme un petit palais.

Ce nest pas un habitant, cest le voisin qui a chaudé la maison pour notre arrivée, répondit Aline, en ouvrant le portail.

Gérard préparait des pommes de terre quand deux jeunes femmes frappèrent à la porte. La plus jeune, radieuse, dit:

Bonjour, nous sommes là, on peut entrer?

La seconde, plus âgée, acquiesça dun regard un peu triste. Gérard, déconcerté, les invita.

Je suis Aline, nous venons de chez Nadine, nestce pas?

Entrez, dit Gérard, puis il se précipita à la fenêtre, étonné.

Nous voulons rester ici pour le Nouvel An si cela vous convient. Le sapin est magnifique! sexclama Aline.

Alors buvons du thé, puis je propose daller au petit magasin à trente kilomètres pour les courses, accepta Gérard.

Irène buvait son thé près de la cheminée, tandis que Gérard et Aline sétaient éloignés. Le téléphone sonna: cétait Yves.

Questce qui se passe? lança Irène.

Ma femme a perdu la tête, répondit la voix, avant de sénerver sur le silence de Gérard. Il raconta comment elle était passée du «casseroles à feu doux» à la «casserolle à pression», expliquant quelle cherchait à attirer son attention. Elle se demandait sil préférait les promenades, le cinéma ou son travail sans fin.

Jarriverai dans cinq minutes, ditil, et ils résoudraient tout avant le réveillon.

Irène, confuse, mit son manteau dhiver et sortit. Le téléphone sonna à nouveau.

Où esttu? demanda Yves, frustré.

Je suis à la porte, répondirentils, mais la maison était fermée, sombre, aucune lumière.

Irène appela Aline, qui ne répondit pas. Yves, désorienté, se trompa dadresse : il se dirigea vers un «Nicholsville», rue des Bois 7, pensant que cétait le bon lieu. Irène comprit immédiatement le malentendu en voyant le sapin brillamment décoré chez Gérard.

Gérard, pouvezvous me confirmer ladresse, sil vous plaît? demandaelle, espérant ne pas être rejetée.

Bien sûr, répondit Gérard, en aidant Aline à enlever sa veste. Il sourit, révélant que la «Nadine» mentionnée était en fait le prénom de sa mère.

Yves arriva juste avant le son des douze coups de minuit. Irène lui résuma rapidement la situation. Les deux hommes se serrèrent la main, et la conversation devint naturellement fluide.

Cette nuit de Nouvel An fut mémorable : Yves tenait la main de sa femme comme il le faisait il y a plus de vingt ans, leurs sourires reflétaient une jeunesse retrouvée. Aline, elle, était convaincue que les miracles existent, tout comme Gérard.

Le soir suivant, Irène et Yves reprirent la route vers chez eux, promettant de revenir le cinq janvier pour rencontrer la famille de Gérard. Tandis quAline sendormait, Gérard revivait le rêve de la veille : un vieil homme, vêtu comme un roi dhiver, marchait avec sa mère, encore jeune sur une photo, dans un jardin enneigé, échangeant des plaisanteries.

Alors, heureuse? demanda le vieil homme.

Je ne sais comment te remercier, répondit la jeune fille, se rappelant le lapin en massepain quon lui avait offert à six ans.

Ce nétait pas moi, mais ta grandmère, dit le vieil homme.

La leçon qui émerge de ces événements est simple : le bonheur ne se trouve pas dans la conformité aux attentes des autres, mais dans le courage de réinventer sa propre vie, daccepter les changements et douvrir son cœur aux miracles qui surgissent quand on ose franchir le pas.

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