LES MERVEILLES ARRIVENT À L’IMPROVISTE

Les miracles existent, tu sais?
La vie de couple dIrène a commencé à craquer comme un vieux parquet; les douze années de bonheur partagé avec Pierre et leur petit Julien se sont transformées en une routine grise, un peu comme le même dimanche qui se répète sans fin. On navait plus de surprise, plus denvie dapprendre le piano, tout semblait juste stressant. Elle sétait donnée entièrement à la famille, mais la reconnaissance était devenue une simple obligation, sans attention en retour. Ses tentatives de parler avec Pierre et Julien nont rien débloqué; tout le monde restait campé sur ses positions, ses remarques étaient prises pour des caprices.

Un jour, laccumulation de frustration a explosé, renversant toutes les barrières et balayant dun coup dépée tout ce qui était prévu. Irène, à 43 ans, a compris quelle ne pouvait plus continuer ainsi: soit elle se reconstruit toute seule, soit elle bouleverse tout. Julien la écoutée calmement, mais il reste un gros débat à avoir avec Pierre, dont elle nest pas prête à parler sans se sentir submergée.

Et le Nouvel An arrive. Julien a déjà prévu de fêter avec ses potes, et Pierre, malgré tout, ne linquiète pas trop, même si elle narrive pas encore à se détendre à lidée de ce soir. Pendant des années, ils célébraient le réveillon chez les parents dIrène et dAline, à SaintCyrlèsPrés, pendant trois ou quatre heures de préparatifs qui filaient à toute vitesse. Cette fois, les parents sont partis à la station thermale des Deux Alpes, donc le réveillon sera là-bas.

Irène a appelé sa sœur, espérant se glisser dans les plans.
«Salut ma chère, tu vas fêter où? Ça ne posera pas de problème à une demoiselle de 43 ans, pas vrai?»
«Oh!» a ri Aline, «Tu vas revenir! On vous attend, toi et ta petite famille, comme dhabitude.»
Aline, la petite sœur de neuf ans plus jeune, nest jamais mariée, toujours débordée par son boulot et ses ambitions. Elle la déjà présentée à quelques prétendants, même un mariage a été envisagé, mais rien na abouti.
«Il est temps que tu te maries, Irène.»
«Un miracle, un ami qui te sauve, voilà tout.»
Irène a expliqué que Sasha partirait avec ses amis, et que Yvan était en plein crise; «Pas de fête pour nous, cest clair», a ajouté Irène, «jai mes soucis, je viens voir si tu as de la place.»
Aline a répondu, rassurante : «Tinquiète, tes problèmes sont dans ta tête, tout le reste va bien. Pourquoi tu te tourmentes?»
Irène a balbutié un petit récit de maladie, de fièvre qui la clouée au lit un samedi, pendant que tout le monde soccupait sans elle et a demandé à parler de la fête.
Aline a décrit les parents au chalet: cartes, flocons découpés, sapin décoré, numéros de théâtre, devinettesun vrai bonheur qui faisait même jalouser.

«Jai une proposition, ma sœur.»
«Nina, la collègue de maman, vend une belle maison à la campagne, tu te souviens?Cest une vraie perle, le propriétaire est très correct. Elle a un petit domaine près de la mer, ladresse ma été envoyée, les clés sont chez le voisin, tout est prêt. On y va demain, on passe le Nouvel An làbas! Pas besoin de salade, on fait des grillades, on débouche du champagne!»
Irène a accepté avec enthousiasme, et elles ont prévu de partir le lendemain.

Le matin même, elles filaient sur lautoroute enneigée, faisant un arrêt à la «Carrefour» pour la petite collation. Pierre, revenu dun vol après six mois, a trouvé la maison sous un manteau blanc, des tas de neige jusquaux fenêtres, le froid qui pénètre. Mais il adore son foyer, même si le feu de bois crépite et le balai passe rapidement. En trente minutes, il a nettoyé le chemin, sorti le sapin et les décorations. Le sapin était orné de boules en verre, de glaçons et de pommes de pin, des souvenirs denfance allemands qui brillaient comme jamais. Sous le sapin, un père Noël en dentelle et fourrure trônait fièrement, tout droit sorti dun conte de fées.

«Nous voilà, tous les deux,» a souri Pierre, capitaine de la marine marchande, qui passe six mois en mer, six mois à terre. Il a grandi avec ses parents, son frère aîné de 18 ans et sa sœur de 15 ans, tous militaires. Après le décès de leurs parents, le contrat maritime a été son bouée, et sa mère, avant de partir, lui a demandé de se marier, mais le travail le freinait. Elle a promis de laider, même en plaisantant sur les filles de ses anciennes camarades.

Pierre a appelé son frère et sa sœur, les invitant à passer le Nouvel An chez lui, mais leurs billets étaient déjà pris, les trains déjà complets. Ils ont convenu de venir après les fêtes, quand le temps le permettra.

Irène et Aline, en voiture, cherchaient le numéro de la maison.
«Le voilà!Quel beau pavillon, on dirait un petit château!»
«Ce nest pas un habitant, cest le voisin qui a réchauffé le chemin pour nous.» Aline a ouvert le portail, ravie.

Pierre nettoyait les pommes de terre quand deux jeunes femmes sont arrivées à la porte.
«Bonjour, on est venues, on peut entrer?»
«Je suis Aline, on vient de chez Nina,» a répondu lune, plus jeune et radieuse.
Pierre, un peu confus, les a accueillies, les a invités à passer et a proposé de sortir pour acheter des provisions, à trente kilomètres, «on fêtera comme il faut», a-t-il ajouté.

Irène était près du feu, finissant son thé. Pierre était parti avec Aline pour le magasin quand le téléphone a sonné. Cétait Yvan.
«Ma femme a perdu la tête,» marmonna Yvan.
«Pas de drames, cest le réveillon, évite les insultes.»
«Questce qui te manque?Six mois de jeux, tu as quelquun?»
«Perdue? Jai juste changé de vitesse, du «cocotte, mijote lentement» à la «cocotteminute». Jai essayé de te joindre, ton silence ne répondait à rien. Tu me demandes ce qui compte le plus: nos balades, un cinéma, ou ton travail qui ne sarrête jamais?»
«Jarrive dans cinq minutes, on parlera, on ne peut pas fêter séparés.»
Irène a enfilé son doudou, est sortie, le téléphone a sonné à nouveau: «Irène, où estu?»
«Yvan, où ça?Jattends à la porte,» a-t-elle répliqué, confuse.

Après quelques allersretours, Yvan a compris quils sétaient trompés dadresse. Il a demandé à Pierre de lui donner le vrai numéro, promettant de ne pas déranger. Pierre a aidé Aline à enlever son manteau, la voyant briller à nouveau.

Yvan est arrivé juste avant les douze coups, a expliqué la situation, et les deux époux se sont serrés la main, détendus. La soirée a été magique: du champagne, des rires, le vieux père Noël qui rappelait à Irène un souvenir denfance, un lapin en massepain offert par sa grandmère.

Le lendemain, Irène et Yvan reprenaient la route, promettant de revenir le cinq janvier pour rencontrer la famille de Pierre. Aline sest endormie, et Pierre a revu ce même rêve du père Noël et de sa mère jeune, marchant dans le jardin enneigé, riant et se demandant si la petite fille était satisfaite.

Les miracles, tu vois, ils arrivent quand on y croit vraiment.

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