28octobre2024
Cher journal,
Ce matin, au petit matin, ma mère a appelé: «Tout va bien, ma petite, Léna sest bien comportée. On sest juste coupé les cheveux un peu. Alors, ma puce?» Jai senti mon cœur se serrer, jai serré le téléphone et ai entendu le clic de la ligne avant que la voix de Valérie Romane ne séloigne dans un rire léger. Elle ma promis de me montrer «la nouvelle coupe», puis le combiné sest mis à grésiller.
En sentant que quelque chose clochait, jai attrapé les clés de ma Citroën et suis partie en trombe à la maison de ma mère, à SaintÉtienne. Léna est une enfant hors du commun. Dès sa naissance, on a su quelle était un petit ange. Ses boucles blondes encadraient un visage délicat aux yeux bleus comme le ciel dété. Elle est née déjà bouclée; même le gynécologue la remarquée à léchographie. Jen riais, persuadée quelle ne pourrait pas avoir de boucles, mais lorsquon ma présenté le bébé dans la salle daccouchement, les boucles étaient déjà soigneusement coiffées.
Léna a grandi sans caprices. Dès le premier jour, elle laissait maman dormir. La nuit, elle dormait profondément, sans demander de tétées. Jen étais étonnée quand mon amie me racontait comment elle était épuisée avec son nouveau-né, qui ne distinguait plus le jour de la nuit et ne dormait que lorsquon le berçait dans les bras, sans jamais rester tranquille. Elle mangeait peu, dormait peu Moi, avec Léna, je récupérais mes nuits, et Antoine partait au travail reposé. Le lait était abondant, et Léna avait un appétit dogre. Ainsi, pendant un an, nous ne faisions que dormir et manger. Puis Léna a commencé à marcher. Les choses sont devenues plus compliquées, mais aussi plus amusantes. Jai dû coller hermétiquement toutes les armoires, fixer les poignées avec des verrous, entourer les coins des meubles de protections pour que la petite ne se blesse pas. Jai géré tout cela seule, sans aide extérieure.
Mes deux grandmères, du côté maternel et paternel, venaient de temps à autre, jouaient avec Léna, mapportaient des présents, mais je nai accepté demmener Léna chez elles que lorsquelle a eu un an et demi, comme elles le réclamaient souvent.
Valérie Romane, ma mère, est retraitée après une vie passée à la maternelle: dabord assistante maternelle, puis cuisinière. Elle connaît les enfants comme sa poche, mais je reste méfiante et ne laisse personne soccuper de ma fille.
Aujourdhui, elle sest mise en colère: «Comment ça? Tu ne me fais pas confiance! Je ne suis pas une étrangère! Léna est en pleine santé, aucune allergie, aucune maladie Pourquoi ne pas la confier une demijournée? Tu irais faire les courses, tu te détendrais.» Jai répliqué: «Maman, je ne suis pas fatiguée, je peux bien pousser la poussette au supermarché.» Elle a insisté: «Tu voulais acheter une nouvelle veste! Tu ne pourras pas lessayer avec Léna et sa poussette! Laissemoi la garder, et tu iras à la boutique.»
Le temps était venu. Javais réellement besoin de me procurer cette veste dhiver, un modèle en laine que javais repéré à la Galeries Lafayette. Sans Léna, cétait plus simple, surtout en voiture.
Jai empaqueté une montagne de choses qui, selon moi, pourraient servir à Léna pendant une demijournée: un petit carnet avec les horaires de sommeil, les recettes de purées, même un jouet en forme de poney. Jai mis tout cela dans mon sac et lai remis à ma mère en disant: «Voici la liste, les consignes, le pot de purée Quand elle perd son petit cheval, elle pleure et ne sendort pas. Donnelui la cuillère, comme si le poney mangeait aussi. Et il y a ce livre avec les chansons»
Valérie a pris Léna dans ses bras, la installée sur le canapé et a commencé à jouer: «Allez, petits clapclap Envolonsnous!» Léna a souri, dévoilant ses petites dents comme des grains de riz.
Jai senti une bouffée de liberté menvahir. Jai flâné dans le centre commercial, acheté quelques vêtements, dégusté un café au lait avec une part de tarte aux fraises, puis je suis allée dans un autre magasin où jai enfin trouvé la veste de mes rêves. Jai envoyé des messages à ma mère, qui me répondait avec des photos de Léna heureuse, en train de jouer ou de manger.
La journée sest terminée avec Antoine qui approuvait mon petit «congé»: «Bien joué, ma chérie! Ta mère sait soccuper des enfants, elle nest pas une inconnue. Laissela passer du temps avec sa petitefille, cest tout ce quelle a de libre. Chez moi, les frères ne prennent plus soin de leurs mères, alors profite!»
Avant de partir chercher Léna, jai rappelé ma mère pour savoir comment les choses se passaient. Elle ma annoncé quelle avait décidé de couper les cheveux de Léna.
«Il fallait que ça se fasse depuis longtemps, sinon la nuque se raidit! Après la coupe, les cheveux seront plus doux.»
Jai imploré: «Maman, ils étaient déjà beaux! Pourquoi?»
Elle a rétorqué avec les vieilles maximes de nos grandsparents: «Après un an, il faut couper les cheveux des toutpetits! Même le petit Édouard de Léonidovna a été rasé à zéro, et cest la bonne chose. Quand jétais petite, on faisait pareil au village»
Je me suis sentie submergée, les larmes ont embué ma vision du petit crâne à peine coiffé. Jai pris Léna dans les bras, lai mise dans le siège auto, attrapé mon sac et suis sortie, muette, de la maison de ma mère.
Antoine, en me voyant, a haussé les épaules, sest gratté la tête et a commenté: «Marion, ne dramatise pas. Les cheveux repousseront.»
Je suis restée là, les bras croisés, le regard perdu, murmurant: «Nous nous disputerons encore?»
Valérie, elle, passait son aprèsmidi à appeler ses amies, leur racontant mon «comportement ingrat». Une delles, avocate, ma conseillé de porter plainte: «Larticle67 du Code civil prévoit le droit de visite des grandsparents» Mais Valérie a simplement soupiré: «Ce sont nos enfants, pourquoi tant de querelles?»
Je repense à tout ça en écrivant ces lignes, le cœur lourd mais apaisé par le souvenir du rire de Léna. Les cheveux repousseront, les disputes sestomperont, et nous continuerons à tâtonner, un jour à la fois.
À demain.







