Le mari se blottit contre sa femme, la serra dans ses bras et, tout doucement, chuchota à son oreille :
Bonjour, Ysaline.
Puis il sendormit à nouveau, à moitié ronflant.
Mélusine se réveilla, ouvrit les yeux sans bouger, comme si elle craignait de déclencher quelque chose. Un frisson glacé parcourut son corps, un sentiment dangoisse lenvahit. Comment cela atil pu arriver ? Tout allait bien, nestce pas ?
JeanPierre, le mari, se leva en bâillant.
Mél, questce que tu as lair si froide ? Jai même perdu le sommeil à cause de toi. Tu vas bien ? Lété est là et tu grelottes sous la couette. Je vais te préparer un thé.
Il sen alla à la cuisine en fredonnant un petit air entraînant.
Mélusine resta quelques minutes au lit, puis, traînant les pieds, se leva enfin pour se laver. Ses jambes étaient lourdes comme du plomb, un bourdonnement blanc résonnait dans sa tête. Oui, il fallait vraiment un thé.
JeanPierre demanda un crêpe. Mélusine le fixa dun regard sombre.
Ce matin, tu mas appelée Julie.
Quoi, ma chérie ?
JeanPierre, ne fais pas lidiot. Ce matin, tu mas appelée Julie.
Tu as dû rêver, ma douce. Julie, Ysaline cest le sommeil qui fait des bêtises. Cest pour ça que tu es si froide et morose ? Ah les femmes, elles se créent leurs propres problèmes. Je pars au cabinet affamé.
Après un moment, Mélusine parcourut la maison, tenta de se remettre les idées en place, arrosa les plantes, fit des crêpes, shabilla rapidement et prit la voiture pour rejoindre son mari au travail. Peutêtre que cétait vraiment un lapsus. Ysaline, Julie enfin
Dans le cabinet, une nouvelle secrétaire lattendait. Un frisson de peur remontait à Mélusine. La secrétaire était jeune, belle, avec une chevelure rousse bouclée et une poitrine généreuse.
Monsieur Dupont est occupé aujourdhui, il ne reçoit pas. Je peux vous proposer un rendezvous la semaine prochaine.
Mieux, prendsle directement, ça te sera plus utile, lança Mélusine, surprise.
Pardon ? la secrétaire agrandit ses yeux déjà grands Qui êtesvous, madame ?
Gontran Villeret. Épouse de JeanPierre Dupont. Allez, dégagez. On va se faire envahir par toutes sortes de charlatans.
À ce moment, la voix de JeanPierre retentit dans le hautparleur :
Ysaline, ramènemoi mon café. Ysaline ?
Mélusine grogna :
Faisle, je lapporte.
Ysaline ? balbutia JeanPierre en voyant sa femme arriver avec le plateau. Questce qui se passe ?
Voilà ton café, et une crêpe. Tu recevras la notification de divorce par courrier. Bon appétit.
Mél, bordel, questce qui se passe ? sénervera-til. Depuis ce matin, je me sens comme une sorcière sur son balai.
Ta « sorcière » est là, dans la salle dattente. Pourquoi ses cheveux ne sontpas coiffés ? Un dentiste respectable et une secrétaire vulgaire, cest vraiment bon marché, Dupont.
Arrête, Mél. Jen peux plus de tes crises. Je pars une semaine à la campagne. Attends que tu te calmes, alors appellemoi.
Trop tard, JeanPierre. Je ne tolérerai plus linfidélité. Je ne pardonnerai jamais. Dismoi juste pourquoi, daccord ?
JeanPierre soupira, but son café, grimaca.
Varvara est partie. Jai embauché Julie sur sa recommandation.
Depuis quand ?
Il y a un mois, réponditil à contrecoeur. Pourquoi tu ne men as rien dit ? On partageait toujours nos nouvelles.
Je ne pensais pas que Julie resterait longtemps. Elle assure très bien.
Pas seulement au travail.
Cest un accident, je te jure !
Si tu ne veux pas, je partje mes affaires et je déménage.
Où ? séchauffa JeanPierre. Jai dit que je passerais une semaine à la campagne, calmetoi. Je veux le divorce, Mél !
Mais je ne veux plus entendre mon nom sortir de ta bouche. Ysaline, Julie ta secrétaire rousse restera gravée dans ma tête. Ne détruis pas ma santé mentale, jai déjà assez de stress avec les enfants.
Reste dans la maison.
Pourquoi devraisje rester ? Jai ma propre maison.
Dans ce coin perdu ? Une vieille maison en bois ?
Cest chez moi, point final.
La maison était un héritage de ses parents, remplie de souvenirs et dune odeur de renfermé. Mélusine sentit les larmes monter. Sa copine Nélia, qui était là, la taquina :
Tu ne peux pas rester ici, Mél, arrête de rêver. Retourne à lappartement, tu verras, tu pourras vendre la maison, prendre un prêt.
Pas besoin de regarder en arrière, cest fini. Tu penses que je pourrais le faire ?
Je ne sais pas comment je réagirais à ta place.
Mélusine ouvrit toutes les fenêtres de la vieille bâtisse.
Tu vois, cest un bon endroit pour vivre. Le village est à quinze minutes de la ville, les travaux sont presque finis, les réseaux déjà installés.
Mais cest du travail ! Il faut vivre maintenant.
Tu peux rester dans le débarras.
Sasha est partie en vacances chez ma mère, tu peux squatter sa chambre jusquà lautomne.
Une chambre dadolescent, cest sacré, je ne suis pas ta mère.
Tu sens cette odeur ? sexclama Mélusine. De lherbe, de la campagne, de lenfance.
Oui, lherbe a gonflé, il faut la couper. Tu nen feras rien toute seule.
Je vais gérer. On peut engager des ouvriers pour remettre le terrain en état. Jai des économies, malgré les cinq ans où je vivais grâce à largent de JeanPierre qui me traitait comme une dépense de loisirs.
Nélia soupira :
Un bon mari, vraiment.
Je pensais la même chose. Cest lourd au quotidien.
Elles parlèrent de la petite fille, Poline, qui aurait peutêtre besoin dun dentiste à cause dune dent qui bouge. Mélusine simagina même arracher les dents de Julie pour que JeanPierre doive en réparer dautres.
Tu es vieille et malade, non ? lança Nélia. À quarante ans, la vie commence.
Comment expliquer tout ça à Poline ? Pas envie den parler. Si je divorce, je le lui dirai, mais elle ne partira pas, elle restera.
Nélia tenta de la soutenir, mais Mélusine restait distante.
Tu veux un seau ? On ira plein deau, on nettoiera les sols, on essuiera les fenêtres.
Tu devrais plutôt aller à lhôtel. Tu veux vraiment toccuper de cette maison ?
Pourquoi pas ? Cest la maison de mes parents, je ne veux pas la démolir ou la vendre.
Embauche des designers, des ouvriers, remets tout en ordre, cest votre appartement commun.
Je ne veux plus rester.
Tu ne la partageras pas, alors ?
JeanPierre nous laissera la maison et le chalet, il a déjà le sien. Poline décidera. Cest son appartement, il ne me sert à rien.
Il aurait pu acheter un grand domaine, un vrai manoir, mais il garde le petit.
Daccord, jai assez entendu tes promesses.
Le système dalimentation en eau était cassé, plus de puits. Mélusine naimait pas les puits, préférait se promener.
Les nouvelles maisons modernes avec de grandes clôtures étaient apparues. Nélia, sceptique, commenta :
Ça fait des années que votre quartier sétend. Vous voyez, les constructions senchaînent.
Mélusine parcourait la maison, cherchant la source deau, quand un homme, le voisin, arriva, le regard vide, les mains dans les poches.
Besoin de quoi ? demandatil.
Du bois pour allumer le feu, répondit Mélusine.
Vous nêtes pas la propriétaire, par hasard ?
Exactement. Avant il y avait une colonne deau ici. Jen ai besoin.
Vous pouvez puiser dans mon puits.
Il ny a plus de puits ici, depuis longtemps.
Daccord, jirai au mien.
Le voisin séloigna, puis, le matin suivant, un cri de cochon réveilla Mélusine, comme dans son enfance. Elle nentendait plus lodeur des pâtisseries, aucune porte claquant. Les larmes lui montèrent aux yeux.
Un autre cri retentit, doù venait ce cochon ? Des pas, du bruissement dherbe.
Hé, qui êtesvous ? Jappelle la police !
Calmezvous, je suis le voisin. Je veux récupérer mon cochon Gauthier.
Mélusine, en pyjama, sortit sur le pas de la porte.
Quel Gauthier ? Vous me roulez ?
Gauthier ! cria lhomme, senfonçant dans le jardin envahi.
Un petit cochon noir sortit des hautes herbes, timide.
Il est de race ?
Honnêtement, je ne my connais pas.
Pourquoi vous voulez ce cochon ?
Il nest pas à moi. Il sest réfugié dans mon hangar, jai cherché partout, personne ne le réclame.
Mélusine, exaspérée, répliqua :
On dirait que vous êtes perdu dans un village de naïfs. Jai un divorce dans une semaine, je suis sous stress, je pourrais vous casser la tête. Jai grandi ici, les porcs étaient partout, ne me regardez pas comme ça.
Lhomme, un peu déconcerté, finit par sexcuser et séloigner.
Le lendemain, un aboiement de chien la réveilla. Mélusine sortit, trouva un chiot tremblant sous le porche. Le voisin, toujours en pyjama, apparut avec le cochon derrière lui.
Cest votre chiot ? demandatelle.
Vous avez pas de clôture, les porcs et les chiens viennent.
Je pensais le garder, je vais le nommer Armand.
Pas Armand, je mappelle Armand, ce serait bizarre.
Alors on lappellera Choup. Gauthier est déjà pris.
Choup et Gauthier, parfait ! Merci.
Vous vous appelez comment ?
Mélusine.
Un joli prénom.
Mélusine resta un moment, indécise, entre le cochon, le chiot et ses souvenirs. Le voisin proposa :
Restez, je vous apprendrai à vous occuper des chiens, vous aurez votre propre animal de garde.
Elle se souvint de ce que Nélia lui avait dit sur les hommes au nom de « Gontran »
Questce que tu fais ici, en pyjama ? entenditelle la voix de JeanPierre, lointaine.
Voilà, soupira Mélusine, JeanPierre, voici Armand. Armand, cest mon mari, en futur exmari. Pourquoi testu introduit chez moi ?
Tas la porte grande ouverte, le portail, alors je me demandais si tu navais pas changé davis pour le divorce.
Depuis quand ? demanda Armand, sérieux.
Depuis longtemps, jai essayé de ne pas te blesser. Mais si tu veux divorcer, on pourra se marier à nouveau le jour du divorce, daccord, ma belle ?
Mélusine resta muette, essayant de garder son calme.
Ma fille est passée me voir, je pensais que la campagne était vide. Tu devrais parler à ta fille, peutêtre quelle tappelle.
JeanPierre fit un geste, sortit par le portail. Mélusine le fixa, curieuse.
Pourquoi tu fais ça ?
Ta maison est vieille, pas deau, pas de gaz, les toilettes sont à lextérieur, tu vas toujours devoir venir chez moi. Et tous les animaux du voisinage finiront chez moi. Alors, déménage chez moi, je ne pourrai jamais me débarrasser de vous. Jai déjà divorcé, je suis seul, je ne veux pas dautres femmes. On pourra vivre ensemble, sans enfants, avec nos animaux. Jai déjà deux enfants, toi tu en as une. On pourra tout réorganiser, ça sera plus simple.
Vous êtes fou ? Vous êtes peutêtre un psychopathe ? Ne vous approchez pas de moi. Je tai prévenue, je vis un divorce et une trahison.
Un an plus tard, ils se marièrent et adoptèrent un chat.







