Je me rappelle, dans les années où les routes de la campagne résonnaient du cliquetis des charrettes, que la solitude sétait glissée comme un voile sur la vie dÉlodie. Elle avait épousé le cavalier Henri, mais il lavait rejetée. Mieux vaut une union, même modeste, quune existence sans partage, me disait-on souvent.
«Quy atil donc, ma petite? Lhomme ne doit pas rester seul, la femme doit toujours avoir un mari à ses côtés. Sinon, cest comme si tout était désordonné», me répétait Henri, en se drapant de ses vieilles rengaines. «La solitude, tu sais ce que cest?»
«Quoi?», rétorqua Élodie, épuisée par les plaintes de son mari qui narrêtait pas de se plaindre.
«La solitude, cest une flamme qui ne séteint jamais!», lança Marguerite, la voisine, sans se soucier du ton du discours. «Cest comme de leau que lon veut donner à quelquun qui na même pas soif.»
«Où?», sécria Élodie, perdue dans le flot des questions.
«Au pays de Carcassonne!», conclut Marguerite, réalisant que les rires de la femme étaient ouverts sur la scène de la vie. «Tu devrais tout abandonner, moi je te protège. Cest dur, mais lâme sallège quand on se libère.»
Élodie avait déjà dix ans lorsquelle rencontra Henri, qui, selon les dires, était venu dun village du Sud il y a une décennie, sétablissant à la lisière dune petite ferme. Un jour, il revint, certes, mais sans grand éclat. En apprenant cela, Élodie fit appel à son mari pour deux lits de lit, puis à deux quarts dauberge. Bien que le mari tentât de la convaincre que «une fois suffit» et que «rien nest grave si on nest pas ensemble», en se frappant le pouce avec un marteau, les larmes dhomme qui se rendaient rares némoussaient pas le cœur dÉlodie.
Le mari, dun ton gentleman, laissa la femme à son ancienne épouse et à leurs deux enfants. Les enfants grandirent et séparpillèrent. Le fils aîné travailla à Paris, la fille épousa rapidement et sexpatria au PaysBas. Élodie resta seule, dans un petit deuxpièces du centre de la ville, où le bruit des cloches résonnait chaque matin.
Sa vie solitaire ne la gênait point. Elle devint couturière, professeure et commerçante, ce qui lui permit de vivre à son rythme, accueillant les enfants du voisinage et la tante Marguerite. Malgré un intellect modeste, elle trouvait toujours une occupation, lisant, nageant, pratiquant le yoga, voyageant de temps en temps, et même saventurant dans le restaurant de son cousin. Son existence était, à ses yeux, satisfaisante.
Lorsque Marguerite, la sœur de son mari, décida darranger son destin
«Écoute-moi, Élodie. Un bon mari, encore jeune, dune soixanteun ans, sept ans décart. Une maison spacieuse, des terres, du blé, des vaches, des cochons, des moutons, pas de manque! Une nourriture saine: lait, œufs, viande. Tu vivras cent ans, cest sûr! Un homme sympathique, bien élevé, qui ne parle que de livres», déclara-t-elle, cherchant à la convaincre.
Élodie, lassée, répondit «Très bien, Marguerite, je connais mon voisin, le baladin, et cest ainsi. Mais je nai rien promis.»
Comme on dit, les affaires ne changent pas. Marguerite ne tarda pas à organiser une rencontre entre la sœur et le cavalier. Ce cavalier se révéla sans rien, juste un homme robuste, musclé, bien habillé, aux ongles impeccables, qui parlait doucement, jamais fort, et qui, au moindre mot, se tenait à distance, plaisantant avec la cousine jusquà laube. Son prénom était Pierre, un nom français fiable.
Après la première entrevue, les regards sattachaient. Élodie se demanda si une femme pouvait vraiment être heureuse, à condition davoir un cœur pur. Pierre, persévérant, proposa de se marier pour la terre, mais Élodie, sous linfluence dune promesse de son amie, accepta de ne pas se remarier.
En fin de compte, Élodie réalisa quelle possédait une petite ferme à la périphérie, un travail rentable, une petite maison où elle pouvait cultiver du blé et garder des poules. Elle avait acheté un vieux van, huit euros de dépôt, et se demandait à quoi bon nettoyer les porcs, nourrir les chèvres ou garder le poulailler si elle ne voulait pas sen occuper.
Il lui fallait encore préparer le déjeuner pour le mari, faire les courses, soccuper du jardin, et maintenir la maison propre. Le revenu de cet ouvrage était bon, mais elle vivait modestement, avec une pension qui lui permettait de subvenir à ses besoins, et quelques économies pour les imprévus.
Tout cela était nécessaire pour une vie confortable. Elle voulait à tout prix que la courbe de ses années ne se plie pas sous le poids des travaux, que la petite cabane ne tombe pas, et que le feu crépite toujours.
Un soir, elle appela Marguerite :
«Marguerite, ne te fâche pas. Je renonce à la proposition dHenri, je ne veux pas dun homme qui ne cherche quun travail et de la force. Je resterai dans ma solitude, et si les eaux de la rivière ne sont pas à boire pour tous, quon en fasse ainsi»
La sœur dÉlodie, Kata, resta silencieuse, les larmes retenues, mais lengagement de la vieille promesse lempêcha de parler davantage. Elle écrivit à Pierre un message téléphonique pour décliner la rencontre, expliquant quelle navait plus denvie de poursuivre quoi que ce soit.
Quelques jours plus tard, Pierre rappela brièvement, parlant de viande, de lait, et de la ferme. Élodie pensa alors à son propre travail, à la petite boutique, à la veste de laine quelle devait acheter, au sac à main en cuir, et à appeler la petite Léa, la sagefemme, pour fixer un rendezvous.
Elle se leva à huit heures, fit une sieste, se lava, sinstalla pour boire un café avec un croissant. Elle regarda par la fenêtre, se rappelant quelle navait pas vu ses enfants depuis longtemps, quil fallait rendre visite au fils, envoyer une lettre à la fille le jour de son anniversaire. Elle devait acheter une nouvelle sacoche, une belle écharpe, et rappeler la sagefemme pour la prochaine visite.
Elle se rendit compte quil était bon dêtre un peu égoïste, découter son propre cœur. Le temps passé à partager, à aider, à soccuper des vaches, des moutons, à traire les vaches, à ramasser les œufs, à préparer le feu, tout cela faisait sens. Elle continua à vivre, à travailler, à ne pas se laisser submerger par la solitude, et à se souvenir, avec un sourire, des années où chaque jour était une nouvelle page dune histoire qui, même si elle était parfois mélancolique, restait profondément française.







