Vassili s’est blotti dans les buissons derrière le banc, se recroquevillait en boule et tremblait. Il pleurait, pleurait par peur, pleurait par solitude.

Moustache se glissa dans les buissons derrière le banc, se recroquevilla en petites boule et trembla. Il sanglota, sanglota de peur, sanglota de solitude.

La neige tombait depuis trois jours sans cesse, épaisse, lourde, comme si elle nen finirait jamais. Moustache se souvenait encore dun temps où il portait un nom, du goût du lait tiède et des mains douces de Mémé Lucie.

Quand il nétait quun minuscule animal, Mémé Lucie lavait trouvé dans une boîte en carton derrière la petite boutique du quartier. En criant, elle avait franchi le petit portail, sétait faufilée entre les haies et avait soulevé la boîte doù séchappait un petit cri plaintif.

«Quel drame, mon petit!» sexclama le grandpère, en regardant à lintérieur. «Qui ta abandonné ainsi, mon garçon? Questce que tu lui as fait?»

Enlevant son vieux foulard de soie du cou, Mémé Lucie enveloppa le minuscule chaton sans nom. Dabord elle croqua que cétait une petite chatte tricolore, puis, en rentrant, découvrit que cette peluche était un petit mâle, tout petit mais déjà plein de vie.

«Alors, tu seras Moustache», déclaratelle, et alla préparer du lait.

Ainsi Moustache devint le chat domestique, lombre qui suivait sa maîtresse partout. Il la suivait comme un chien, veillait sur elle et sagitait surtout quand elle sentait les gouttes du cœur.

Après un an et demi, le drame survint: une «voiture blanche» emmena Mémé Lucie loin de la maison, et elle ne revint jamais. La voisine continua à nourrir Moustache un temps, puis de nouveaux parents emménagèrent. Ils ne virent pas dun bon œil le chat.

«Tant pis!», direntils, et laissèrent Moustache dehors, au gel.

Le froid et la peur lenveloppèrent. Il navait jamais connu la rue: les feuilles bruissaient sous ses pattes, le craquement le faisait sursauter. Il sélança, sans savoir où il courait.

Un parfum délicieux larrêta. Devant lui un petit stand de galettes se dressait. Le ventre de Moustache gargouilla, et il sapprocha timidement.

«Tu as faim, petit?» sourit la vendeuse. «Viens, je te donne un morceau.»

Ainsi il vécut: il grignotait les restes de galettes, buvait du lait dans un gobelet en plastique et passait la nuit dans une boîte de pilons de poulet.

Un jour, le stand fut déplacé par un camion. Moustache tourbillonna, cherchant désespérément la femme qui lavait nourri ces dernières semaines.

Il se réfugia alors de nouveau dans les buissons, se recroquevilla en un petit nœud tremblant et pleura en silence, à cause du froid, de la solitude, de lincompréhension de son sort.

Il sendormit sans le savoir. Dans son rêve il était à nouveau un grand chat majestueux, perché sur une haute branche, à côté dun oiseau blanc énorme, à la fois colombe et homme.

«Comment se faitil que tu sois là, Moustache?», demanda lOiseau, en déployant ses immenses ailes.

Dans le songe le chat raconta tout: Mémé Lucie, le stand, la faim. LOiseau lécouta jusquau bout, puis disparut.

Moustache ouvrit les yeuxune petite plume blanche reposait sur son nez. Il crut que cétait une plume de lOiseau, mais cétait une flocon de neige, glacé, qui samplifiait autour de lui.

Il gémit de froid, miaula, mais personne ne répondit, seule la neige tourbillonnait, indifférente.

Il survécut ainsi: il dormait dans la boîte, mangeait la neige, le pain que les passants jetaient aux oiseaux, se cachait des chiens, et samincissait de plus en plus.

La neige continuait de tomber, troisième jour déjà, et les souvenirs de la chaleur de la maison de Mémé Lucie sestompaient.

Soudain un aboiement retentit derrière lui. Moustache se lança à toute vitesse, grimpa à un arbre et sarrêta sur une branche haute, où il sendormit de nouveau.

Il revit la même Oiseau.

«Cest dur, mon petit?»

«Oui, terriblement froid, faim les chiens»

«Questce que tu désires le plus?»

«Voir Mémé Lucie ne seraitce quune fois» murmura le chat.

«Regarde,» dit lOiseau.

Et Moustache la vit, vivante, près de lui.

«Ma chère!» sanglotatil plaintivement. «Comme je souffre sans toi»

«Mon rayon de soleil,» répondit Mémé Lucie. «Comme tu mas manqué! Viens chez moi, mon cher»

Elle étendit les bras, et à ce moment lOiseau poussa doucement Moustache sur lépaule. Il chuta.

Sous larbre se tenaient deux jeunes femmes. Lune poussait une poussette, lautre était éclatante, joyeuse.

«Manon, attention!», sécria la femme avec lenfant, quand le chat atterrit dans les bras de son amie.

«Regarde!», ria Manon. «Aujourdhui, mon horoscope dit «bonheur céleste»!Je ne pensais pas que ce serait littéralement!»

Le chat ouvrit lentement les yeux et dit doucement:

«Miaou»

«Bonjour, ma petite joie,» sourit Manon. «Comment tappellestu?»

«Miaou,» confirma le chat.

«Javais un chat nommé Moustache», dit pensivement Chloé.

«Alors appelonsle ainsi,», décida Manon.

Et Moustache pensa: «Je suis bien Moustache», et miaula de nouveau.

Ils sortirent ensemble du parc: Chloé pour nourrir son fils, Manon avec son nouveau compagnon poilu.

Moustache comprit: on lattendait encore, on laimait encore, on lavait retrouvé à nouveau.

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Vassili s’est blotti dans les buissons derrière le banc, se recroquevillait en boule et tremblait. Il pleurait, pleurait par peur, pleurait par solitude.
Deux amies, deux destins