Maman ! Encore une fois, qu’est-ce que tu fais ?

«Maman! Mais encore!» sécrie Élise, en refermant le couvercle des toilettes avec un clic de dégoût et en appuyant sur la chasse. «Estce vraiment si difficile de tout rincer?»

En pleine colère, elle quitte les WC et se dirige vers la chambre de sa mère.

Zoé Dubois est assise sur le lit, recroquevillée, petite, frêle, presque translucide. Quand cette femme forte et sûre dellemême sestelle réduite à cette petite silhouette?

«Ma petite, jai encore oublié, nestce pas?» regarde Zoé, les yeux terrorisés, son fils. «Pardonnemoi, chérie, ce nest pas volontaire.»

«Maman, que faire avec toi? Je le vois, mais Michel et Roméo voient aussi.»

«Pardonnemoi, pardonnemoi, Élise, je ferai plus attention,» implore Zoé, les yeux suppliants.

«Questce que je peux ten demander?» agite Élise la main et sort de la pièce.

Les rides de Zoé saccentuent rapidement. Élise se souvient quil ny a pas si longtemps, Zoé était totalement autonome, forte et très intelligente. On pouvait toujours compter sur elle, demander conseil ou simplement bavarder.

Très cultivée, dun esprit affûté, Zoé gardait toujours un tempérament doux et jovial. Toutes les amies dÉlise, depuis lenfance, disaient quelle avait une mère en or.

Personne navait une mère aussi merveilleuse. Toute sa vie, Élise a su quelle pouvait sappuyer sur elle, lappeler en cas de besoin. Et voilà que la vieillesse simmisce, désagréable, froide, collante, malodorante, un peu stupide.

À présent, on ne peut plus parler à maman, lui demander un avis, sasseoir à ses pieds, se plaindre du patron ou de la fatigue. Maman devient comme un enfant, lente et naïve.

Élise entre dans la cuisine où, à la table, Michel et leur fils de quinze ans, Roméo, saffairent sur un cassetête. Leurs regards concentrés la rassurent un peu.

«Maman,» lance soudain Roméo. «Pourquoi tu coupes la viande du potage en gros morceaux?»

«Je ne sais pas, mon fils,» bafoue Élise. «Pourquoi tu demandes? Ça te plaît pas?»

«Ça me plaît» répond Roméo, distrait, manipulant la pièce du puzzle. «Sauf que mamie ne peut pas mâcher, elle larrache et la pose sur la table.»

«Ça tembête, hein?» acquiesce Élise, penaude, et ajoute: «Je dirai à mamie de ne plus faire ça.»

«Non, ça me va,» poursuit Roméo, observant le puzzle. «Mais cela veut dire que mamie ne mange pas bien, et ce nest pas bon pour la santé.»

«Ah!» sétonne Élise. «Je vais couper plus fin.»

«Fais plutôt des boulettes,» lance le fils, les yeux pétillants. «Tu te souviens quand mes dents sont tombées, et que je ne pouvais plus mâcher? Mamie te préparait la même chose quand tu étais petite.»

«Oui,» hoche Élise, rougissant.

«Et encore, Élise,» intervient Michel. «Ne blâme pas Zoé à cause des toilettes. Roméo et moi allons gérer, ne tinquiète pas. Si tu la reproches, on se sentra mal, elle sera embarrassée.»

«Oui, maman, ne fais pas de reproche à mamie,» sexclame Roméo, les yeux grands ouverts. «Je promets de ne pas vous gronder, vous et papa, quand vous vieillirez.»

«Très bien, mon fils,» dit Élise, les larmes au bord des yeux, en quittant la cuisine.

Elle reste un instant dans le couloir, tente de se calmer, puis se dirige vers la chambre de sa mère.

«Maman,» appelletelle Zoé, assise sur un fauteuil près de la fenêtre, regardant la rue. «Maman.»

«Oui, ma petite,» répond Zoé en se retournant. «Quelque chose ne va pas, ma chérie?»

«Parce que je suis stupide, grossière,» pose Élise la tête sur les genoux de sa mère. «Intolérante, méchante.»

«Élise, ne dis pas ça,» réprimande Zoé. «Ça me fait mal dentendre de telles choses. Questce qui ta pris?»

«Prometsmoi que tu ne vas pas mourir,» implore Élise, en sanglotant.

«Ma fille, questce que tu racontes?» caresse Zoé les cheveux dÉlise. «Bien sûr que je ne mourrai pas. Je nai même pas lintention de partir.»

«Jai tellement peur de te perdre. Comment vaisje faire toute seule?»

«Ma petite, je suis là, à côté de toi. Tu nes pas seule. Questce qui te pèse?»

«Non, non, tout va bien,» sèche Élise ses larmes et se lève. «Allez, je prépare le dîner. Tu veux une soupe aux boulettes?»

«Oui,» sourit Zoé.

Et elle se dit: «Et si je me jette sur elle comme un chien fou? Même Roméo la rattrape. Quelle honte. Un adolescent comprend mieux quune tante débordée. Jaurais même peur de ce qui marrivera quand elle ne sera plus là. Plus jamais je la réprimanderai. Que Dieu me punisse si je rechute.»

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Maman ! Encore une fois, qu’est-ce que tu fais ?
Они не торопились влюбляться, потому что были готовы любить всегда