12mai2025
Cher journal,
Ce matin, jai de nouveau claqué le couvercle des toilettes et tiré la chasse en râlant : «Maman! Mais encore!», me suisje exclamée, agacée. Jai du mal à croire que je ne puisse pas simplement laisser les choses se vider comme il se doit.
Je suis sortie, le visage bouffi de colère, et je me suis dirigée vers la chambre de ma mère. Madeleine assise, recroquevillée sur le lit, frêle comme une porcelaine, presque transparente. Quand a-telle perdu cette prestance de femme forte pour se réduire à cette petite fille fragile?
«Béatrice, jai encore oublié, nestce pas?», ma-telle demandé dun regard perdu, les yeux grands ouverts dinquiétude. «Pardonnemoi, ma chérie, je ne le fais pas exprès.»
«Maman, que faire avec toi? Tout le monde voit, Michel, Théo», aije rétorqué, exaspérée.
«Pardonnemoi, ma petite, je ferai plus attention», a supplié Madeleine, les larmes aux yeux.
«Questce que je peux prendre?», aije haussé les épaules et quitté la pièce.
Je me souviens encore dune époque pas si lointaine où ma mère était autonome, forte et incroyablement sagace. On pouvait compter sur elle pour un conseil, une oreille attentive, même simplement pour discuter autour dun café. Son esprit aigu était toujours accompagné dun cœur chaleureux et dun humour contagieux. Toutes mes amies denfance disaient que jétais chanceuse davoir une mère pareille.
Jamais personne na eu une mère aussi formidable. Jai grandi en sachant que je pouvais me reposer sur elle, mappuyer sur son soutien. Et voilà que la vieillesse sest glissée, impertinente, froide, collante, malodorante et un peu lourde.
Aujourdhui, on ne peut plus parler avec elle comme avant. On ne lui demande plus de conseils, on ne vient plus sasseoir à ses pieds, on ne se confie plus à elle quand le patron devient insupportable. Elle est devenue, à mon grand désarroi, une enfant lente et naïve.
Je suis entrée dans la cuisine où Michel et Théo, quinze ans, étaient penchés sur un puzzle. Leurs visages concentrés mont un peu apaisée.
«Maman, pourquoi tu découpes la viande du potage en gros morceaux?», a lancé Théo, curieux.
«Je ne sais pas, mon garçon,», aije bafouillé. «Ça ne te plaît pas?»
«Jaime bien», a répondu Théo, jouant avec une pièce du puzzle. «Cest juste que grandmère ne peut pas mâcher, elle enlève la bouchée et la pose sur la table.»
«Ça te dérange?», aije acquiescé, coupable. «Je dirai à grandmère de faire autrement.»
«Non, ça me va,» a poursuivi Théo, observant la pièce. «Cest juste que grandmère ne mange pas bien comme ça, et ce nest pas bon pour la santé.»
«Ah!», aije répondu, décidée à couper plus fin.
«Fais plutôt des boulettes,», ma rétorqué Théo avec un regard espiègle. «Tu te souviens quand mes dents tombaient et que je ne pouvais pas mâcher? Grandmère te préparait la même chose quand tu étais petite.»
«Oui,», aije hoché la tête, embarrassée.
«Et Béatrice,» a ajouté Michel, «ne te fâche pas contre Madeleine pour les toilettes. Théo et moi survivrons, ne tinquiète pas. Si tu la critiques, elle se sentira gênée.»
«Daccord, ne dis pas de mal à mamie,» a répété Théo, les yeux grands ouverts. «Je promets de ne plus vous réprimander quand vous vieillirez.»
Les larmes menaçaient de couler tandis que je sortais de la cuisine. Jai attendu un instant dans le couloir, essayant de me calmer, avant de monter à la chambre de ma mère.
«Maman,» laije appelée, alors quelle était assise sur la chaise près de la fenêtre, contemplant la rue parisienne. «Maman.»
«Oui, ma petite?» a répondu Madeleine, se tournant. «Quelque chose ne va pas, ma chérie?»
«Cest parce que je suis stupide, grossière, intolérante et colérique,» aije déposé ma tête sur ses genoux. «Et je ne supporte plus tout ça.»
«Béatrice, ne te dis pas ça,» a réprimandé Madeleine dune voix ferme. «Ça me fait mal dentendre ça. Questce qui ta prise?»
«Prometsmoi que tu ne vas pas mourir,» aije imploré, les larmes coulant librement.
«Ma fille, pourquoi?» a caressé Madeleine mes cheveux. «Bien sûr que je ne mourrai pas, je nai même pas lintention de le faire.»
«Jai tellement peur de te perdre. Que vaisje faire toute seule?»
«Béatrice, je suis là, à tes côtés. Tu nes pas seule.»
Après un instant, jai essuyé mes larmes et me suis levée. «Je vais préparer le dîner. Une soupe aux boulettes?»
«Oui,» a souri Madeleine.
Je suis revenue dans ma tête, pensant : «Et moi, je me jette sur elle comme un chien, pourtant cest Théo qui remarque tout. Cest honteux. Un adolescent comprend plus que sa tante vieillissante. Jai peur de ce qui mattend quand elle ne sera plus là. Je ne la reprocherai plus. Que Dieu me punisse si je cède à nouveau à la colère!»
En écrivant, je réalise à quel point la peur et la culpabilité me rongent. Mais je veux rester forte pour elle, comme elle la toujours été pour moi.
À demain, cher journal.







