15 mars
Aujourdhui jai à nouveau eu une dispute avec ma bellemère, Madame Valérie Dupont, qui a décidé de mettre mes affaires dans le hall de limmeuble. «Tu as encore acheté la mauvaise farine!», ma hurlé sa voix dans tout lappartement, comme un klaxon de bus. «Je tavais pourtant dit, la meilleure qualité!»
Camille Dubois, je me tenais dans la cuisine, un sac de courses à la main, essayant de garder mon calme.
«Madame Dupont, au magasin ils navaient que la farine de type 45. La type 55, la «haute gamme», était épuisée.»
«Alors il fallait aller dans une autre boutique!», a-t-elle arraché le sac de farine. «Avec cette farine, on ne fera pas de bons gâteaux!»
Jai serré les lèvres, refusant de répliquer. Aujourdhui je dois aller chercher ma mère à lhôpital SaintAntoine, je ne peux pas me laisser déstabiliser.
«Demain jachèterai la bonne farine.»
«Demain!Et aujourdhui, ton fils devra rester sans gâteau?»
«Je ferai avec ce quil y a.»
«Non, je men charge moimême. Va te reposer.»
Madame Dupont a enfilé son tablier avec théâtralité et a commencé à sortir la vaisselle. Jai discrètement quitté la cuisine.
Nous vivons sous le même toit depuis six mois. Valérie Dupont a emménagé chez nous après sêtre cassé la jambe. Victor Legrand, mon mari, a insisté : «Ta mère ne peut pas rester seule dans cet état.» Il avait promis que ce serait temporaire, un mois ou deux. Six mois plus tard, la jambe est guérie, mais elle ne veut plus partir. Elle occupe notre unique chambre, nous obligeant à dormir sur le canapé du salon. Lappartement, un deuxpièces du 11ᵉ arrondissement, est toujours aussi exigu.
Je regarde lheure sur mon téléphone : le rendezvous pour le départ de ma mère est à quatre heures. Je passe voir Victor, qui est absorbé par son ordinateur.
«Victor, je vais chercher maman. Tu restes à la maison?»
«Oui, je ne bouge pas.»
«Tu ne viens pas avec moi ? Elle aura du mal à monter toute seule.»
«Je travaille, jai un délai à rendre demain.»
Je soupire. «Daccord, je me débrouille seule.»
À lhôpital, ma mère, Marie Dubois, était fatiguée mais souriante. «Enfin à la maison!», disaitelle en ramassant ses affaires. «Comment te senstu?» «Normalement. Les docteurs disent que tout va bien, il faut juste du repos et prendre les médicaments à lheure.»
En sortant du garage, ma mère ma demandé : «Tu es sûre que Victor ne verra pas cela dun mauvais œil?Je pourrais aller chez Sophie, elle a proposé.»
«Sophie?Cest à lautre bout de la ville, elle a déjà trois enfants. Reste ici tant que tu te remettras.»
Je serre le volant. «Maman, cest notre appartement, je le garderai jusquau mariage.» Elle a hoché la tête, sans protester.
En arrivant, jai aidé ma mère à monter au quatrième étage. En ouvrant la porte, jai découvert, au hall, mes vêtements, mes chaussures, mon maquillage, mes livres, entassés comme un tas de détritus. Des gamins du voisinage fouillaient déjà dans les cartons.
«Questce que cest?», a murmuré ma mère.
Je suis rentrée, et jai trouvé Madame Dupont dans la cuisine, les mains sur les hanches.
«Ah, tu es là. Prends tes affaires, sinon le hall devient un dépotoir.»
«Vous vous avez mis mes affaires dans le hall?»
«Quy atil de grave?Jai libéré de lespace. Ta mère va vivre ici, il faut bien la loger.»
«Vous auriez pu au moins prévenir!»
«Pourquoi?Cest ton appartement, fais comme tu veux.»
Je sentais la colère monter, prête à exploser.
«Vous avez jeté mes affaires dans le couloir!»
«Je ne les ai pas jetées, je les ai sorties.»
«La différence?Il y a des enfants qui fouillent, les voisins regardent!»
«Alors prendsles vite.»
Ma mère, pâle, a murmuré : «Peutêtre que je devrais vraiment aller chez Sophie»
«Non!Maman, vous ne partez pas. On va ranger les affaires et on se calmera.»
Je suis sortie dans le hall, les mains tremblantes de colère et dhumiliation. Lappartement de la voisine du troisième étage, Lydia Martin, passait par là et a demandé : «Questce qui se passe, Camille?»
«Rien de spécial, Lydia, merci.» Jai traîné les cartons à lintérieur, ma mère ma aidée malgré sa fatigue. Valérie regardait la télévision comme si de rien nétait.
«Où est Victor?»
«Il est allé au magasin, il na pas assez de farine.»
Je lai conduit dans la chambre, lancienne chambre maintenant occupée par Valérie.
«Maman, reposetoi, je vais te préparer du thé.»
«Camille, où vaisje dormir?Tout ça, cest tes affaires!»
«Maman ira dans le salon, cest la chambre de ma mère maintenant.»
Je suis allée à la cuisine, où Valérie me fixait dun air acide.
«Et longtemps ma mère resteratelle ici?»
«Autant que nécessaire.»
«Et moi?Sur le canapé?»
«Vous pouvez retourner dans votre propre appartement, votre jambe est guérie, vous marchez très bien.»
«Tu me chasses?»
«Je ne te chasse pas, je rappelle simplement que tu étais censée rester temporairement.»
Un silence lourd a duré, jusquà ce que Victor entre avec deux sacs de courses, le sourire aux lèvres.
«Salut!Jai acheté la farine,» atil dit, puis sest figé devant nos visages. «Questce qui se passe?»
«Ta mère a mis mes affaires dans le hall,» aije dit dune voix sèche.
Victor a demandé à sa mère : «Maman, cest vrai?»
«Jai simplement libéré de la place pour votre mère,» a répété Valérie, lair innocent.
«Aidée», aije rétorqué, «maintenant tout le hall parle de ce que ma bellemère a fait.»
Victor a essayé de calmer le jeu : «Ce nétait pas méchant, maman na pas pensé aux conséquences.»
«Pas méchant!Elle a jeté mes vêtements, mon maquillage, mes livres!Des enfants fouillaient, les voisins regardaient!Ce nest pas «pas pensé», cest une humiliation!»
Victor a marmonné : «Tu exagères.»
«Quoi?Ma mère voulait juste bien faire.»
Je sentais le souffle se couper. «Victor, sérieusement?Tu dis que jexagère alors que ma mère a mis mon intimité au milieu du hall?»
Victor a baissé les yeux. «Calmetoi, Camille, ma mère nest pas méchante.»
«Ma mère na pas besoin dun séjour chez Sophie, elle vient davoir une opération!»
Victor a proposé : «Ta mère peut aller chez sa sœur.»
Je suis restée figée. «Donc tu suggères dexpulser ma mère malade pour que la tienne, qui va bien, reste ici?»
Victor a rétorqué : «Je ne propose rien, il suffit que ta mère aille chez sa sœur, elle a une appartement.»
«Mais lascenseur est en panne, cest le cinquième étage, cest difficile.»
«Nous sommes au quatrième, sans ascenseur non plus!»
Jai regardé Victor longtemps. «Tu es du côté de ta mère.»
«Je ne prends aucun parti. Jessaie de trouver un compromis.»
«Un compromis, cest quand les deux donnent, mais tu ne veux que que moi cède.»
Valérie sest interposée : «Victor, dislui que je suis la maîtresse du foyer.Je suis ta mère, elle nest quune épouse qui vient et part.»
Victor a hausser les épaules : «Maman, arrête.»
«Questce que jarrête?De dire la vérité?Je tai mis au monde, je tai nourri, je tai élevé!Et toi, que faistu?Tu exhibes ton appartement comme un trophée.»
Je suis intervenue, froide : «Jai acheté cet appartement avec mes économies, avant même le mariage.Cest ma propriété.»
«Propriété!Alors tu vas réprimander mon père?»
«Non, je ne réprimande pas. Je constate simplement les faits.»
Victor a soupiré : «Maman, il faut quon parle ce soir, calmement.Nous sommes tous sous le choc.»
«Il ny a rien à discuter, ma mère reste ici.Ta mère doit soit aller au salon, soit rentrer chez elle.»
Je suis allée voir ma mère, allongée, les yeux fermés. «Maman, comment tu te sens?»
«Normal, ma chérie, juste un peu de mal de tête.Je prends une pilule.»
«Peutêtre que je devrais vraiment aller chez Sophie?Je ne veux pas être la cause de votre dispute.»
«Non, cest Valérie qui crée le problème, pas moi.Mais je comprends que tu sois fatiguée.»
Le soir, Victor et moi étions assis sur le canapé du salon. Valérie a claqué la porte de la chambre avec emphase.
«Camille, réfléchissons,» atil tenté, me prenant dans les bras, mais je me suis détachée.
«Réfléchir à quoi?À comment elles pourront cohabiter?Ta mère dans le salon, la mienne dans la chambre?Et nous, où?Dans la cuisine?»
«Cest temporaire,» atil répondu.
«Ta mère est censée rester six mois, mais ça fait déjà un semestre.Tu crois vraiment que ce sera encore un mois?»
Victor sest levé brusquement. «Où vastu?Je retourne chez ma mère, dans son appartement.Il y a de la place.»
«Tu vas où?Chez ma mère?Tu penses que je deviens folle?»
«Je ne deviens pas folle, je veux simplement que tout le monde soit heureux.»
Je lui ai crié : «Je veux que tu sois de mon côté, que tu dises à ta mère que ce nest pas acceptable.Je veux que tu défendes mon droit.»
Victor est resté muet un instant, puis a hoché la tête. «Demain jen parlerai à Valérie.»
«Vraiment?»
Le jour suivant, le hall était à nouveau calme. Victor et Valérie se disputaient à voix basse.
«Maman, tu dois revenir dans ton appartement.»
«Victor, tu me chasses?»
«Je ne te chasse pas, il faut simplement que tu ailles où il y a de la place.»
«Mais je suis seule, jai peur!»
«Tu as vécu quinze ans ici après la mort de ton mari, tu peux le faire.»
Valérie a fondu en larmes, accusant que Victor lait abandonnée pour sa femme. Jai intervenu calmement : «Je nai rien enlevé, Victor est mon mari, mais cet appartement est le nôtre.Je décide qui y vit.»
Elle ma traitée dinsensible, de cruelle, ma dit que je la mettais à la porte. Jai rappelé quelle possédait déjà un deuxpièces dans le Marais, avec chauffage qui peine à fonctionner. Elle a exigé de largent, mais sa pension était maigre. Victor a promis daider financièrement, et Valérie a finalement quitté lappartement après trois jours de crises.
Depuis, le calme est revenu. Ma mère est installée dans lancienne chambre, Victor et moi avons repris notre place dans le salon.
«Quel soulagement,» aije pensé en allongée sur mon propre lit, « enfin à la maison.»
Victor a remarqué que ma mère ne voulait plus me parler. «Elle dit quelle ne veut plus discuter avec moi.»
«Ça passera.» lui aije répondu, rassurée.
Nous avons trouvé une aide à domicile pour Valérie, une femme de ménage qui vient trois fois par semaine. Cela a coûté, mais cétait moins cher que de perdre notre couple. Valérie a accepté, et bien que nos relations restent glaciales, elle ne me reproche plus la scène du hall.
Il y a six mois, elle ma même appelé pour sexcuser. «Camille, cest moi. Je suis désolée pour les affaires du hall, pour tout.»
Je suis restée muette un instant, puis jai dit : «Merci. Jai compris que tu avais peur de me perdre, mais Victor taime toujours.»
Nous avons convenu de venir prendre le thé un dimanche, elle a même préparé une tarte aux pommes.
Ce soir, en racontant tout cela à Victor, il ma serrée fort. «Merci davoir tenu bon, davoir défendu notre foyer.Je naurais pas pu le faire tout seul.»
«Tu as juste eu besoin de temps pour voir les choses,» aije répliqué.
Nous avons compris que lamour de couple doit primer sur le passé. Ma mère, bien que vieillissante, a retrouvé un peu dindépendance, et Valérie, loin de nous, a retrouvé des amis et des activités.
Quand je repasse devant le hall de mon immeuble, je vois encore la pile de cartons, mais maintenant elle me rappelle simplement une leçon : il faut savoir dire non, même quand cest douloureux. Parce que chaque personne mérite son propre chezsoi, où elle se sent maîtresse, pas simple invitée.
Je ferme ce journal en pensant que, malgré les tempêtes, notre couple est plus solide. Et que, finalement, la vraie force vient de la capacité à écouter, à protéger, à pardonner, sans jamais perdre de vue ce qui nous appartient réellement.







