Je vous raconte lhistoire de Nicolas, un vendeur très bavard qui était dans le top trois des meilleurs commerciaux de son entreprise. Son charme naturel compensait largement labsence de beauté ou de fortune, et cela lui servait surtout auprès des femmes.
Il a séduit sans trop deffort la modeste orpheline Aimée, une fille douce qui, contrairement aux autres, a vraiment touffé son cœur. Six mois après leur rencontre, il la officiellement demandée en mariage et elle a accepté avec joie.
Les deux jeunes gens se sont installés dans un deuxpièces dune petite ville de la Loire, hérité de la grandmère dAimée, tandis que le studio que Nicolas louait auparavant était remis en location pour arrondir les fins de mois. Ce logement était un cadeau de sa mère pour ses dixhuit ans.
«Après, cest à vous», avait déclaré Thérèse, la mère de Nicolas, avant de reprendre enfin sa propre vie sentimentale.
Nicolas venait rarement rendre visite à sa mère dans la ville voisine ; il ne voulait pas gêner son beaupère ni imposer sa présence à sa mère.
Maintenant, il formait sa propre famille, ce qui le remplissait de satisfaction. Ses amis le taquinaient souvent :
«Aimée ta bien eu, mon vieux!» disaientils. «Tu vas devenir un mari à petitbudget?»
Il répondait en riant :
«Jalourez en silence!» répliquaitil. «Ma femme est parfaite, vous verrez bien.»
Et, effectivement, cétait le cas. Aimée était une excellente maîtresse de maison : elle soccupait de Nicolas sans jamais hausser le ton ni faire la tête. Paysagiste de profession, elle gagnait bien sa vie.
Selon Nicolas, son unique défaut était dêtre trop gentille. Elle distribuait sa bienveillance à tout le voisinage. La vieille voisine Irène le voulait presque oublier, tant elle faisait appel à Aimée pour les injections et les médicaments. Tous les chiots et chatons perdus du quartier finissaient chez Aimée, qui les soignait puis les reliait.
Au travail, elle aidait les collègues paresseux, et dans la rue, elle faisait la charité aux mendiants.
«Aimée, tu ne peux pas être comme ça!», se plaignait parfois Nicolas. «Ils ne font que profiter de toi!»
«Tout le monde na pas la chance davoir ce que nous avons,» rétorquait-elle avec un petit reproche. «Il faut aider quand on le peut.»
Après quatre ans de mariage, Nicolas commençait à sirriter : sa femme naimait pas les grandes soirées. Pour elle, le repos était une promenade dans les bois, du bénévolat au refuge pour animaux, ou une sortie au théâtre. Rien ne le dérangeait, mais il préférait se détendre après le travail dans un bar bruyant ou un club nocturne.
Aimée ne sopposait pas à ses sorties, mais elle y allait rarement. Un soir, ils se sont encore disputés à ce sujet et, comme dhabitude, la conversation a glissé sur le désir denfants.
Nicolas nétait pas prêt à devenir père ; ils navaient même pas trente ans. Pourquoi se presser ?
Il a donc déclaré que lanniversaire de son ami Léon ne pouvait être manqué et quil lattendrait dans un club. Il a mis fin à la discussion.
Aimée nest pas venue au club. Elle na même pas rappelé, se contentant denvoyer un texto disant quelle ne pouvait pas les rejoindre et quelle expliquerait plus tard.
«Questce que jai à expliquer?» a explosé Nicolas, furieux. «Encore une petite victime!»
Léon, habituellement défenseur de son ami, a essayé de le calmer.
Nicolas, enragé, a avalé cocktail après cocktail, dragué les filles jusquau petit matin et, finalement, est parti avec une nouvelle connaissance vers son appartement.
Ce qui sest passé ensuite nest que très vaguement gravé dans son esprit. Après une soirée qui semblait agréable, il sest réveillé au milieu de cris et dune odeur de brûlé. Il ny avait que de la fumée blanche, mais aucune trace de la jeune femme.
Pris au piège dans un appartement inconnu, il a sauté par la fenêtre du troisième étage, atterrissant sur la pelouse, avant de perdre conscience. Il sest réveillé à lhôpital une semaine plus tard.
Le médecin a indiqué :
«Contusion cérébrale sévère, deux fractures de la jambe, trois côtes cassées, hématomes et éraflures.» «Vous avez eu de la chance, monsieur.»
Parmi le brouillard des médicaments, Nicolas na pu que hocher la tête.
Le docteur a ajouté, en pointant du doigt, que la femme dun patient était toujours à ses côtés, même si tout le personnel infirmier était débordé.
Il a alors croisé le regard compatissant dAimée, qui lui a lancé un sourire forcé: «Bonjour!»
Sa femme na jamais disparu. Elle a pris un congé, a demandé une chambre particulière payante, est restée à son chevet et, le jour même, est revenue à la maison pour préparer le dîner.
Nicolas craignait que Aimée découvre comment il était arrivé à lhôpital, redoutant de perdre son attention et ses soins. Mais les infirmières lui ont confirmé quelle était au courant de tout, et linspecteur venu prendre sa déposition la également confirmé.
«Tu as de la chance, mon garçon!», a-t-il dit en secouant la tête. «Une autre femme taurait renvoyé loin dici.»
Lenquête a révélé que lincendie avait été déclenché par les voisins ivres de la jeune femme qui avait quitté les lieux en premier, oubliant le chevalier de fortune quelle avait accueilli. Les pompiers sont arrivés trop tard pour le sauver ; Nicolas était déjà hors de la fenêtre.
Même les infirmières les plus sympathiques le lançaient des regards méprisés lorsquil essayait de les complimenter. Il sest maudit, mais le temps ne pouvait être tourné en arrière.
Rapidement, il a compris quAimée ne comptait pas le quitter. Elle parlait calmement, ne laccusait jamais et continuait de le soigner avec sincérité. Il sest détendu.
Il ne pouvait pas oublier quelle était une femme saintement bonne, généreuse et compatissante.
Ses amis se sont peu à peu évanouis. Léon est venu quelques fois, mais la vue du Nicolas bandé, pâle et amaigrissant, ne lincitait plus à revenir.
Sa mère nest jamais venue.
«Je suppose que tu ne vas pas mourir, et quelquun veillera sur toi,», a-t-elle dit au téléphone, indifférente. «Nous partons en vacances avec Fédor, la tournée ne sannule pas.»
Elle a limité ses messages à son état de santé. Elle a envoyé un peu dargent, mais cétait tout.
Laspect financier était le plus préoccupant pour Nicolas. Une chambre privée, les médicaments, lattention médicale coûtaient cher, et il navait aucune épargne.
«Ne tinquiète pas; javais mis de côté pour un enfant, mais ce nest pas grave,» la rassuré Aimée. «On verra plus tard.»
Il a passé un mois et demi à lhôpital, subissant deux opérations. La rééducation restait à venir, mais il se sentait déjà plus solide.
Cest Aimée qui la récupéré. Il voulait lui offrir un dîner romantique (la livraison ne sest pas annulée), demander de nouveau pardon et lui dire quil était prêt à fonder une famille. Il était désormais prêt à tout pour sa femme adorée.
Nicolas ne savait pas immédiatement où ils allaient, puis, en comprenant, il na pas immédiatement cru. Aimée la conduit à son propre studio.
«Jai demandé aux locataires de partir, le ménage est fait, le frigo est rempli, internet payé,», a dit dune voix posée. «Jai déposé le dossier de divorce. Jespère que tu ne ty opposeras pas.»
Dabord abasourdi, il attendait quelle plaisante et rigole, mais elle na même pas souri.
«Jai demandé pardon,», a balbutié Nicolas. «Je le redemanderai cent fois!Je resterai à genoux dès que je pourrai!Ne me laisse pas!»
«Je suis désolée, mais je ne veux plus vivre avec toi. Je ne taime plus,», a déclaré Aimée avec pitié.
«Pourquoi alors têtre occupée de moi?!», sest énervé Nicolas. «Toujours à faire la bonne fille?»
«Ma grandmère ma appris à ne jamais abandonner quelquun dans le besoin, même sil ta trahi,», a répondu Aimée, sérieuse. «Tu nas plus besoin de mon aide. Désormais, cest à toi de te débrouiller.»
Elle sest retournée et est sortie sans un mot, refermant la porte doucement.
«Désormais, cest à toi,» résonnait dans la tête de Nicolas. Il se souvenait avoir entendu ces mots autrefois, mais la situation était bien différente.
Il a décidé de tout faire pour récupérer sa femme : se remettre sur pied, trouver un emploi, tout inventer.
Un mois plus tard, il a appris quAimée avait vendu lappartement et était partie vivre dans une autre ville, loin de lui.







